Les analyses et les débats sur le coût du travail et le pouvoir d'achat ont éludé un sujet essentiel : celui du coût du logement, qui pèse pour 20-25% en moyenne dans le budget des ménages (50% pour les plus modestes). Il a très fortement augmenté, beaucoup plus que les revenus, du fait de la hausse du prix de l'immobilier, à la fois à l'achat et à la location, qui lui même a beaucoup plus augmenté que le coût de la construction, signe d'une bulle inflationniste sur le foncier. Or ce problème pénalise plus qu'ailleurs le pouvoir d'achat donc le niveau de vie des familles en même temps que la part du coût du logement croît dans leur budget à la fois par l'effet prix mais aussi par une demande croissante de logements (éclatement des familles, natalité en hausse) alors que l'offre est insuffisante. Les Français le savent mais ce problème n'est pas reconnu à sa juste mesure dans l'indice de prix. L'évaluation de leur niveau de vie comparé et de l'évolution de leur pouvoir d'achat est faussée. Ils auront du mal à accepter une modération salariale dans ces conditions, qu'elle soit par gel des salaires ou par hausse de leurs impôts, alors que les Allemands l'ont accepté ces dix dernières années dans un contexte tout différent.
Quelques chiffres et quelques graphiques parlants étayent ce raisonnement :
- Depuis 2000, les prix des logements ont augmenté 3 fois plus vite que les revenus des ménages : Alors que le revenu disponible par ménage a progressé de 25% entre 2000 et 2009, les prix de l’immobilier ancien ont flambé de 86% sur la même période. Le prix de l'immobilier à l'achat a beaucoup plus augmenté que les loyer, induisant une baisse du rendement locatif, incitant de moins en moins les propriétaires à louer et néanmoins les motivant encore à placer dans la pierre, placement jugé plus sûr pour conserver son capital dans un contexte financier incertain. Cette hausse généralisée ne semble pouvoir être expliquée que marginalement par l’augmentation du coût de la construction ou un déficit généralisé de construction. C'est la rareté du foncier dans les zones les plus demandées qui contribue probablement assez fortement à la hausse des prix. Cette augmentation a aussi été favorisée par l’amélioration de la capacité d’emprunt des ménages, alliée à une fiscalité favorable, qui alimente la demande.
- en Allemagne, les salaires ont stagné par la politique de modération salariale, pendant qu'ils augmentaient de 25% en France, mais le prix des loyers et de l'immobilier est aussi resté stable en Allemagne. L’Allemagne bénéficie d’un vaste parc locatif et a un très faible taux de propriétaires : autour de 43% contre près de 60% en France. Depuis le début des années2000, l'Allemagne construit autour de 290 000 logements neufs par an, de quoi absorber une demande évaluée à "280 000 par an sur la période 2006-2010. La France met elle en chantier autour de 300 000 logements neufs chaque année, mais les besoins sont estimés à 500 000. Au final le logement (loyer et à l'achat) est 2 à 3 fois plus cher en France qu'en Allemagne, tant à l'acquisition (x3) qu'à la location (x2), ceci étant dû à une insuffisance de l'offre en France, qui a attisé une bulle inflationniste.
- En moyenne les revenus disponibles et les salaires chargés des Allemands sont du même niveau que ceux des Français (comme je l'ai montré dans cet article), avec des niveaux de prix à la consommation également de même niveau. Donc in fine les allemands ont en absolu un pouvoir d'achat supérieur à celui des français, rien que par l'effet logement. Le logement doit peser au moins 2 fois moins dans leur budget que dans celui des Français et pour eux le logement n'est pas un problème. Ceci libère au moins 12% de pouvoir d'achat comparé au Français !
- Donc on ne pourra faire accepter une modération salariale aux Français que si on résout ce problème du logement. Et on ne résoudra ce problème de logement qu'en en construisant suffisamment pour satisfaire la demande, ce qui équilibrera les prix de l'immobilier. Pour ce faire, comme ce sont les zones urbaines qui sont demandées (concentration beaucoup plus forte que sur le territoire allemand qui est beaucoup plus équilibré), il faut viser soit la densification des villes, soit une libération de foncier en zone périurbaine en y associant les transports, ainsi que l'implantation d'activités, d'entreprises, des emplois, dans ces zones. Les mesures d'incitation fiscale à la construction (de type Scellier) ou de bonification des prêts (prêts à taux zéro, déductibilité fiscale) peuvent être perverses et contribuer à une augmentation des prix sans forcément augmenter l'offre existante (par substitution) si elles ne sont pas accompagnées d'une rélle libération de foncier pour la construction. Le bilan sur les lois Scellier (assez difficile à faire) est d'ailleurs assez mitigé.Tout ceci est une vision à long terme, sur un rythme différent du choc de compétitivité souhaité qui viserait une modération salariale à court terme.
- Dans l'indice de prix de l'INSEE, qui sert au calcul d'évolution du pouvoir d'achat et à l'indexation de nombreuses valorisations (valorisation des retraites, des pensions alimentaires, ...), la part du coût du logement ne pèse que 13,5% (dont 6.1% pour le loyer et le reste en charges). Ceci car 40% des ménages sont locataires et on ne retient pas de coût pour les propriétaires (alors qu'ils en ont un, leur coût d'investissement, intérêts bancaires et amortissement, mais considéré comme un investissement et non comme une consommation). Pour cela il existe un autre indice intégrant les loyers imputés (comprenant des loyers fictifs attribués pour les propriétaires) dans lequel le coût du logement devient 18.4% du total. Mais lorsqu'on utilise l'indice pour calculer l'évolution du pouvoir d'achat etc., ce n'est pas ce dernier qui est utilisé !
La vision du pouvoir d'achat est donc complètement biaisée, tant en évolution qu'en comparaison relative et absolue avec nos voisins !
J'ai eu l'occasion de rencontrer Louis Gallois le 22 novembre dernier et de discuter avec lui, lors d'un débat franco-allemand très intéressant sur le Mittelstand organisé par le FSI et la Fabrique de l'Industrie (think-tank présidé par Louis Gallois), faisant intervenir des entrepreneurs allemands. J'ai abordé ce sujet et il était absolument d'accord avec mes remarques. J'espère donc que ce sera pris en compte dans les réflexions ... et les actions du gouvernement, tant pour mieux prioriser la politique du logement et la libéralisation du foncier que pour moduler l'indice des prix de l'Insee ou en utiliser un autre pour évaluer l'évolution du pouvoir d'achat.
La hausse des prix dans l’ancien a été plus rapide que les loyers
Le rendement locatif est en baisse
Conséquence directe on peut en déduire que le ratio loyer / prix, indicateur utilisé pour mesurer le rendement d’un investissement immobilier est en chute libre. D’ailleurs les loyers, une fois rapportés au revenu disponible moyen ne présentent pas de hausse significative :
L’explosion du foncier
L’étude analyse la part du foncier et de la construction dans le prix de l’immobilier neuf. En présentant l’évolution sur 20 ans, on note que le foncier prend une part de plus en plus importante dans le prix du neuf :
Sources et références :
Mon article publié l'an dernier comparant les modèles de société français et allemand :
http://blogs.mediapart.fr/blog/marie-anne-kraft/291211/comparaison-france-allemagne-quel-modele-privilegier
http://lexpansion.lexpress.fr/immobilier/comment-l-allemagne-empeche-les-prix-de-l-immobilier-de-flamber_249642.html
http://www.politiquessociales.net/IMG/pdf/CAS.pdf
http://blog.mon-credit-immobilier.info/2011/05/actualite/prix-logement-france-bulle-immobiliere-gouvernement-1615.html
LES PRIX FONCIERS ET IMMOBILIERS EN FRANCE :
http://www.metropolisation-mediterranee.equipement.gouv.fr/IMG/pdf/2._def_cle1355ca.pdf
INSEE : Questions sur le logement et l'indice des prix à la consommation
http://www.insee.fr/fr/themes/indicateur.asp?id=29&page=info_ipc_plus.htm
AJOUT le 4 décembre 2012 :
Dans le dernier Marianne, un article qui corrobore mon analyse :
http://www.marianne.net/Immobilier-la-bulle-coince-en-Allemagne_a224840.html
"Entre 2000 et 2010, toujours selon nos deux économistes, la France aurait perdu 5 % de sa compétitivité à cause de la hausse des prix de l'immobilier."
"Une spécificité distingue l'Allemagne des autres grands pays industrialisés (à l'exception du Japon et, dans une moindre mesure, de la Belgique) : son marché immobilier est libre de toute bulle. Une démographie atone, un stock de logements important et un vaste marché locatif - contrepartie d'un faible taux de propriétaires - expliquent pour beaucoup cette situation. Résultat : alors que les Français font face à une envolée des prix de la pierre (+ 140 % en dix ans) et doivent se saigner pour se loger, nos voisins connaissent les joies d'une courbe plane épargnant leur pouvoir d'achat. "