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Billet de blog 29 mars 2014

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L’euro est-il vraiment l’instrument de la dictature néocapitaliste de l’Europe ?

C’est ce que tentent de démontrer certains économistes, comme Frédéric Lordon et Jacques Sapir, thèses dont se nourissent les extrêmes, participant à la vague populiste de rejet de l’Europe, relayés par des médias comme le journal Marianne, qui prétend ouvrir le débat alors qu’il donne carrément une tribune à ces thèses sans contradicteurs.

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C’est ce que tentent de démontrer certains économistes, comme Frédéric Lordon et Jacques Sapir, thèses dont se nourissent les extrêmes, participant à la vague populiste de rejet de l’Europe, relayés par des médias comme le journal Marianne, qui prétend ouvrir le débat alors qu’il donne carrément une tribune à ces thèses sans contradicteurs.

Sans chercher à politiser le débat, réfléchissons vraiment aux causes des faiblesses de nos économies européennes, du niveau excessif des dettes publiques, de l’atonie de la croissance. Est-ce vraiment dû à l’Euro ? Et ne faisons pas de déni non plus, regardons en face quels sont les inconvénients et les contraintes de la monnaie unique, les lacunes et faiblesses d’un dispositif qui aurait dû accompagner sa mise en place.

Une monnaie est représentative de la valeur d’une économie. La variation relative d’une monnaie reflète la solidité de son économie comparée à celle des autres pays, son pouvoir d’achat relatif comparé à celui d’une autre monnaie. Plus un pays est endetté, plus sa dette publique est élevée, plus il a de risque de rencontrer des difficultés à la rembourser, plus le taux d’intérêt exigé sur cette dette par les investisseurs est élevé, d’autant plus si ces derniers anticipent un risque de dévaluation de sa monnaie par rapport à la leur. La politique budgétaire impacte la valeur de la monnaie, pas seulement en termes de dette et de déficit public. L’anticipation d’inflation, notamment du fait de création monétaire (augmentation de la monnaie en circulation, des crédits, sans création de richesse en contrepartie, traduite au final par une hausse des prix), fait baisser la valeur de la monnaie. D’où la théorie de parité des pouvoirs d’achat établissant une équation d’équilibre entre trois variables : le taux de change entre deux monnaie, taux d’intérêt et taux d’inflation (voir définition Wikipedia ou plus d’explications dans cet article de Christian Biales).

En simplifiant, l’équation de parité entre taux de change, taux d’intérêt et inflation (∆ représente le différentiel, l’évolution) est ainsi traduite :
 ∆Taux de change anticipé = -∆Taux d’intérêt - ∆Taux d’inflation

Plus le taux d’intérêt est élevé sur une devise par rapport à une autre, moins le taux de change anticipé contre cette autre devise sera élevé, pour que les investisseurs trouvent l’équilibre. De même, plus l’inflation est élevée, moins le taux de change anticipé sera fort.
Notons même des cas atypique de stagflation (stagnation, récession en même temps qu’une déflation, une inflation négative), comme ce fut le cas au Japon pendant vingt ans depuis le début des années 1990. Le Japon a connu des taux d’intérêts nuls qui se traduisaient en taux d’intérêt « réels «  (hors inflation) positifs du fait de la déflation (inflation négative).

Une monnaie commune et unique, partagée par une communauté de pays, signifie donc que l’on considère la communauté comme un tout. Mais si les pays de cette communauté n’ont pas le même niveau de dette publique, ne partagent pas la même politique budgétaire, doivent recourir chacun de leur côté à un financement propre sur les marchés, il est évident qu’ils ne financeront pas leur dette au même taux d’intérêt, les Etats les plus endettés et les plus risqués devant payer plus cher. Et ils ne peuvent pas chacun dévaluer leur monnaie sans accord de la collectivité puisqu’elle est commune. Si bien que dans l’équation de parité, l’écart de taux d’intérêt (« le spread »)peut se creuser fortement entre pays partageant la même monnaie puisque le taux de change ne joue plus le rôle d’amortisseur, il est stable ou évolue selon la situation moyenne de l’ensemble des pays. Ainsi un pays fortement endetté qui voit son taux croître fortement entre dans une spirale infernale car son déficit est accru par les intérêts financiers de la dette, incrémentant la dette (effet boule de neige).

C’est pourquoi les critères de Maastricht ont été fixés, pour contenir les pays de la zone euro dans un cadre obligeant à une convergence pour assurer la cohérence et éviter un écartement excessif des spreads :
- Déficit public < 3% du PIB
- Dette publique < 60% du PIB
- Inflation < 2%

De plus, la BCE a été décrétée indépendante des Etats pour garantir la stabilité de la monnaie, s’est vue interdire les prêts directs aux Etats (qui reviennent à créer de la monnaie donc la dévaluer et induire une hausse d’inflation) pour ne pas induire une création monétaire excessive ni permettre une pression de certains Etats en vue d’exercer une politique en leur faveur qui pourrait nuire au reste de la communauté.

Mais le péché originel de l’Euro a surtout été de ne pas être accompagné d’une politique économique et budgétaire commune, ce qui a permis des divergences économiques importantes entre Etats et n’a pas favorisé la solidarité entre les Etats. Il aurait fallu une agence d’émission commune de la dette en euro, à un taux unique, finançant les Etats à ce taux. Ce qui revient à une solidarité financière (l’Allemagne se financerait à un taux un peu plus élevé qu’en empruntant directement sur son nom mais en revanche la Grèce, le Portugal, l’Espagne, se seraient financées à un taux faible). Au lieu des critères de Maastricht, il aurait fallu permettre sans doute plus de souplesse, peut-être autoriser un peu de création monétaire comme le fait la Fed aux Etats-Unis tout en la contrôlant, autoriser un niveau de dette, de déficit et d’inflation  qui ne s’écarte pas de la moyenne (comme avant l’euro on avait au sein du SME  le serpent monétaire pour les monnaies). Ainsi on aurait pu bénéficier d’une dévaluation mesurée de l’euro pour relancer l’économie européenne si la communauté des Etats en était d’accord. Remarquons que les Etats Unis d’Amérique partagent d’ailleurs la même monnaie, le dollar, alors que certains Etats sont en quasi faillite (la Californie), donc c’est possible.

Mais plutôt que proposer une telle évolution de l’Europe, de la zone euro, en ce sens, certains préfèrent présenter ainsi  les défauts du système :

-          Le carcan imposé par le Traité n’est pas démocratique (pourtant il a été voté…) et contraint les Etats à une politique économique lui faisant perdre sa souveraineté. « Les traités ont congelé la politique économique, l’ont emprisonnée dans les rets si serrés que les peuples n’ont plus le pouvoir de choisir leur avenir, ce qui est bien l’absence de toute démocratie » (cf. article de Marianne, n°883 du 21 mars 2014 « Pourquoi il faut sortir de l’Euro ») ;

-          Un pays ne peut pas décider de dévaluer sa monnaie pour relancer son économie, ne peut pas financer sa dette par création monétaire, il est pieds et poings liés à une dictature venue de Bruxelles, le la communauté des Etats ;

-          C’est aussi la faute de l’Allemagne, qui impose sa loi aux autres pays. Comme c’est l’Etat fort qui devrait payer pour les autres en cas de solidarité, il fait pression pour maintenir ce carcan.

Ce langage est dangereux, voire pervers, car il fait appel aux mauvaises passions, incite à l’esprit de haine,  de vengeance et de xénophobie, à la révolte, contre certains Etats, contre les dirigeants, contre les institutions européennes et même contre la solidarité de la communauté, prônant un repli sur soi, un retour en arrière, une sortie de l’euro, qui pourtant serait plus nocive encore.

Alors qu’une autre attitude est possible, plus constructive, visant à corriger les erreurs et redonner de l’air à l’euro, permettre aux Etats d’emprunter à taux faible par une émission de dette commune, de même pourquoi pas de permettre à la BCE de faire un peu de création monétaire, d’accepter un peu d’inflation à condition que ce soit contrôlé et autorisé par l’ensemble de la communauté. Ces emprunts pourraient non seulement financer les dettes publiques mais aussi des investissements européens de recherche et d’infrastructure. Ils pourraient être souscrits non seulement sur les marchés mais aussi directement auprès des citoyens épargnants européens avec un placement sécurisé, comme le livret A (pourquoi pas un livret « E » ?) et sauraient où leur épargne est fléchée, pour l’économie réelle, pour le bien des pays.

L’impression générale qui se dégage de l’argumentaire des prédicateurs anti-euro, c’est qu’ils attisent les mauvaises passions pour convaincre que l’intention sous-jacentes de nos dirigeants est de nous soumettre à une dictature, celle du capitalisme, sous la pression des puissances financières. Ceci pour justifier une idéologie, et aussi pour faire accroire une solution apparemment facile pour continuer à financer des déficits abyssaux, dépenser sans compter, plutôt que faire des économies sur les dépenses publiques. Ainsi sortir de l’euro nous permettrait de créer de la monnaie à volonté pour financer les déficits. C’est aussi simpliste que faire croire qu’il suffit d’avoir une carte de crédit pour tirer de l’argent au distributeur. C’est prendre les gens pour des imbéciles, c’est avoir une attitude irresponsable, car au final ce sont les plus faibles, les plus démunis, qui souffriront le plus d’une telle politique, par l’effondrement de leur pouvoir d’achat et une généralisation de la misère.

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