"Escroquerie en bande organisée", tel est le motif d'inculpation de Pierre Estoup, un des trois arbitres qui a joué un rôle majeur dans l'arbitrage privé en faveur de Bernard Tapie, qui a coûté 403 millions d'euros au contribuable. De quelle bande parle-t-on ? Sont cités : Christine Lagarde (même si préservée par le gouvernement pour l'image de la France au FMI), Claude Guéant, Stéphane Richard, Maurice Lantourne avocat de B.Tapie, Jean-Louis Borloo, des hauts fonctionnaires impliqués,... et même Nicolas Sarkozy qui a reçu B.Tapie 18 fois dans l'année précédent l'arbitrage et aurait été l'instigateur de la décision ou aurait au moins donné son approbation au plus haut sommet de l'Etat, mais qui ne peut être entendu comme témoin par l'immunité de la fonction au moment des faits. La question qui suit, sur toutes les lèvres des journalistes : "Mais alors, est-ce simplement par reconnaissance envers Tapie pour son soutien à la présidentielle de 2007, ou ... sous la pression, une forme de chantage, que cette décision aurait été prise ?"
Bien sûr il faut laisser l'enquête avancer, mais en attendant je livre ici mes propres déductions et recoupements, réalisés à partir d'informations publiques, qui montrent des coïncidences troublantes et pourraient bien ajouter d'autres protagonistes à la "bande organisée".
Voir mes anciens billets :
Affaire Tapie: la CJR dévoile ce que Bayrou avait écrit déjà en 2009 !
Il se trouve que B.Tapie a été voisin de taule (à la prison de la Santé) du marchand d'armes et intermédiaire en pétrole André Guelfi, alias "Dédé la sardine" (sur affaire Elf) et ils avaient là-bas conclu un accord secret. Nanard avait prévu de partager avec Dédé à 50-50 le magot d’Adidas restitué par l’Etat de même qu'en échange Dédé partagerait 50-50 avec Nanard ce qu'il récupèrerait sur des affaires en cours "en Russie".
Alors on peut se demander ce qui aurait pu justifier un tel pacte. Guelfi disposait-il d'informations qui auraient pu être utile pour faire pression sur l'Elysée en vue d'obtenir un arbitrage ?
Guelfi était marchand d’armes, comme Ziad Takkiedine, habitué des commissions et des circuits financiers par lesquels transitent ces commissions. Il a pu monnayer des informations, il disposait peut-être d'information sur le sujet qui aurait pu indisposer N.Sarkozy, vu les présomptions de financement de campagne d'E.Balladur en 1995, lié auc ventes de frégates à Taïwan ainsi que d'armes au Pakistan (Karachi).
Guelfi a maintenant 93 ans et aimerait récupérer sa part de gain mais Tapie ne l'entend pas ainsi et la brouille entre les deux hommes pourrait bien faire resurgir les éléments du pacte. Ou bien Tapie a peut-être versé une part dans un paradis fiscal, ce qui expliquerait qu'il dise qu'il ne lui reste QUE 100 Millions alors qu'il en avait récupéré 280 net de remboursement des créanciers et frais d'avocats sur les 403 millions reçus ?
http://www.lepoint.fr/economie/ou-est-passe-l-argent-de-dede-la-sardine-04-08-2011-1361752_28.php
Il faut aussi se souvenir d'une réunion dans un palace à Agadir fin 2006, relatée par le Canard Enchaîné en juillet 2008 qui a reçu un témoignage, point que rappelle François Bayrou dans son livre "Abus de Pouvoir", qui démontre un lien entre Guelfi et l'arbitrage en faveur de Tapie. Voici l'extrait du chapître du livre de F.Bayrou consacré à Tapie :
[La scène se passe au luxueux Dorint Atlantic Palace, cinq étoiles et opulence garantie, lieu discret de villégiature de riches vacanciers, à Agadir. Aussi stupéfiant que cela puisse paraître, sont réunis autour de la table Tapie, son ami André Guelfi, dit «Dédé la Sardine », que Tapie a rencontré en prison où l’avait conduit son rôle dans l’affaire Elf, Brice Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales auprès de Nicolas Sarkozy, et Jean-François Copé, ministre délégué au Budget, tous deux encore ministres du gouvernement Chirac-Villepin. Et de quoi parlent-ils, ouvertement ? De régler favorablement la question Tapie par un arbitrage ! Ils parlent si ouvertement et si fort que la conversation est entendue et notée. L’arbitrage, espoir suprême et suprême pensée ! L’arbitrage n’est pas rendu par des magistrats. Il est confidentiel. Il n’a pas à rendre publiques ses raisons. Normalement, il n’est pas susceptible d’appel. Et les arbitres sont choisis d’un commun accord. Tous les inconvénients des décisions de justice, aléatoires et dans le cas présent condamnées à l’échec, sont ainsi benoîtement évacués!"]
On retrouve les même protagonistes que dans l'affaire Takieddine (avec photos de vacances en plus), qui lui aussi comme Guelfi est intermédiaire dans le commerce d’armement : Copé et Horfefeux. Et André Guelfi, alias "Dédé la Sardine", qui avait fait un pacte avec Tapie à la prison de la Santé pour se partager 50-50 sur les gains qu'ils obtiendraient l'un et l'autre de leurs procès.
André Guelfi a fait de la prison dans le cadre de l'affaire Elf. Comme le montre cette chronologie de l'affaire Elf publiée par l'Express (voir 1995), il était très lié à André Tarallo, président d'Elf Gabon, impliqué aussi dans l'affaire Elf. Un des arbitres contestables de l'affaire Tapie, Pierre Estoup, a été lui même contesté dans une affaire d'arbitrage privé impliquant André Tarallo et Omar Bongo (voir l'article de Laurent Mauduit "Affaire Tapie: Pierre Estoup, un très «étrange» arbitre"), affaire où on retrouvait Maurice Lantourne, l'avocat de Tapie ! Ces personnages ont très bien pu s’échanger une information importante au sujet des circuits financiers utilisés pour les commissions des intermédiaires et exercer des pressions entre eux à ce sujet.
Par ailleurs, selon le témoignage de l'avocat Me Chouraqui, qui avait déjà fait intervenir Pierre Estoup en consultation sur l'affaire Tapie pour le compte de l’association des petits porteurs de la société Bernard Tapie Finances, Pierre Estoup est aussi intervenu comme arbitre dans l'affaire Elf, sur proposition de Me Chouraqui qui défendait alors André Guelfi dans cette affaire [Nouveaux éléments découverts ultérieurement à mon article suite à la publication par Mediapart de cet article le 3 juin 2013 :http://www.mediapart.fr/journal/france/030613/tapie-les-interventions-cachees-de-larbitre-pierre-estoup]. Les enquêteurs ont aussi mis la main sur un courrier par lequel Me Chouraqui remercie M. Estoup pour son intervention dans le dossier Guelfi [Nouveaux éléments découverts ultérieurement à mon article suite à la publication par Le Monde de cet article le 20 juin 2013 : http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/06/20/affaire-tapie-les-enqueteurs-ouvrent-le-front-des-comptes-de-l-om_3433303_3224.html]
Coïncidence troublante : le deuxième arbitre Pierre Mazeaud était lui aussi lié à André Guelfi. Ce dernier l'avait sponsorisé en lui apportant un financement pour ses activités politiques, selon le témoignage de son ancien attaché parlementaire : «M. Mazeaud n’est pas un homme d’argent mais, comme tant d’autres, il cherchait des sponsors pour financer son activité politique. En acceptant d’être arbitre dans l’affaire Adidas, je pense qu’il s’est cru obligé de régler une sorte de dette morale envers celui qui avait été son sponsor.» [Nouveaux éléments découverts ultérieurement à mon article suite à la publication par Libération de cet article le 27 juillet 2014 : http://www.liberation.fr/economie/2014/07/27/tapie-guelfi-petits-derangements-entre-amis_1071294]
Enfin, le troisième arbitre de l'affaire Tapie, Jean-Denis Bredin, outre le fait qu'il était un dirigeant radical de gauche le parti de Tapie, il a été lui aussi arbitre dans une autre affaire, celle qui opposent quelques uns des protagonistes de l'affaire des frégates de Taïwan, comme l'a évoqué une enquête de Mediapart. Par ailleurs, des éléments relevés lors de l'enquête montrent que, tout comme l'arbitre Pierre Estoup, Jean-Denis Bredin lui aussi n'était pas vraiment un arbitre indépendant puisqu'il connaissait Bernard Tapie avant l'arbitrage. La vente d'Adidas avait même été signée à son cabinat d'avocat Bredin-Prat ! Et la Brigade financière a saisie lors d’une perquisition une lettre lettre adressée par Me Lantourne à Me Bredin, disant ceci : « Mon cher confrère, Monsieur Bernard Tapie m’a demandé de vous faire parvenir par la présente copie du projet d’avis de Monsieur Lafortune, avocat général près la Cour de cassation. Je vous en souhaite bonne réception. » [Nouveaux éléments découverts ultérieurement à mon article suite à la publication par Mediapart de cet article le 24 février 2015 : http://www.mediapart.fr/journal/france/240215/tapie-la-justice-face-de-nouvelles-embuches].
Le rapport entre Karachi et l'affaire Elf , celle des Frégates de Taiwan, ne serait-il pas les ventes d'armes de la France et ... les commissions et rétrocommissions supposées avoir financé la campagne de Balladur en 1995 sous l'égide de Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget et directeur de campagne ?
Le juge Renaud Van Ruymbeke, qui instruit le volet financier de l'affaire de Karachi, "a très certainement trouvé la pièce du puzzle qui lui manquait", "le lien entre les commissions versées à des intermédiaires étrangers en marge de contrats d'armement conclus par la France en 1994 et 1995, et le financement présumé occulte de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur", révèle France Info, samedi 18 mai. L'AFP a eu confirmation de cette information par une source proche du dossier. Voir article du Monde. Et comme par hasard, Ziad Takieddine, impliqué dans l'affaire, s'apprêtait à fuir la France avec un passeport de complaisance ...
L'article du Monde décrit que lorsqu'il était premier ministre (1993-1995), Edouard Balladur avait mis en place un système de commissions légales pour conclure des contrats d'armement avec le Pakistan et l'Arabie saoudite. Des intermédiaires étaient payés pour faire du lobbying auprès de ces deux pays. Jusqu'ici, rien d'illégal. Mais les juges soupçonnent qu'une partie de l'argent reçu par ces intermédiaires soit revenue à M. Balladur, à travers des sociétés écrans, afin de financer illégalement sa campagne pour l'élection présidentielle de 1995. Ce qu'on appelle les "rétrocommissions". Voir aussi cet article de La Dépêche.
Enfin, le procureur Jean-Claude Marin est également un protagoniste lié à plusieurs de ces épisodes clés, les frégates de Taïwan, et Clearstream puis l'affaire Tapie et enfin l'instruction en cours de la CJR sur Christine Lagarde.
On sait depuis longtemps que cette affaire est concertée et on aurait pu perquisitionner chez Estoup dès les premiers doutes de liens de celui-ci avec l'avocat de Tapie car on savait qu'il avait déjà eu des affaires d'arbitrage avec lui, et en plus qu'un de ses arbitrages avait déjà été contesté et annulé, ce qui aurait pu servir à Christine Largarde pour demander un recours alors qu'elle l'a refusé de le faire.
http://www.rue89.com/2011/08/17/affaire-lagarde-une-action-concertee-au-profit-de-bernard-tapie-218244
C'est Jean-Claude Marin, procureur de Paris et grand protecteur de N.Sarkozy qui avait le dossier "sous contrôle", avant d'être remplacé par François Molins qui a ordonné la perquisition. JC Marin avait déjà refusé de verser au dossier des Frégates de Taïwan un témoignage du trésorier de la filiale luxembourgeoise Heine, qui mentionnait les rétrocessions pour financement de campagne de Balladur. Renaud Van Ruymbecke s’apprêtait à remonter la piste des virements des commissions sur les frégates de Taïwan pour en tracer les bénéficiaires, à partir d’un fichier de Clearstream, quand a éclaté l’affaire du fichier grossièrement falsifié, incluant des noms tels que Nagy-Bocsa (patronyme du père de N.Sarkozy) et même Edwy Plenel. Une affaire rocambolesque qui visait probablement à orienter l’enquête et les projecteurs médiatiques sur un conflit politique Villepin-Sarkozy, mais pourquoi pas aussi à discréditer une source, un fichier dans lequel figurait peut-être, avant falsification, des preuves permettant de tracer les paiements des commissions ?
J.C Marin a été pugnace dans son procès à charge contre D. Villepin dans le procès Clearstream ... Nommé maintenant à la plus haute fonction de procureur de France, celle de procureur général près la cour de Cassation, il est donc également le procureur de la république, de la Cour de Justice de la République, celle qui juge Christine Largarde en tant que "témoin assisté".
Dans ces affaires, Tapie, Elf et Frégates, Karachi, comme dans l'affaire Clearstream, on retrouve une convergence de protagonistes, d'avocats : non seulement Maurice Lantourne avocat de Tapie, de Loïk Le Floch-Prigent dans l'affaire Elf, de Florian Bourges sur l'affaire Clearstream, mais aussi l'avocat de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog qui était avocat de Thales dans l'affaire des Frégates de Taïwan et celui de Sirven dans l'affaire Elf, et également le procureur Marin ayant toujours protégé Nicolas Sarkozy, refusant de verser au dossier un témoignage au sujet des rétro-commissions.
C'est de ce côté-là que la justice doit chercher le mobile du crime ...

Bernard Tapie et André Guelfi, alias "Dédé-la-Sardine" ont conclu un accord secret en mai 2000. (AFP-Sipa)