lespierresvives@orange.fr (avatar)

lespierresvives@orange.fr

Proviseur retraité, traductrice

Abonné·e de Mediapart

12 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 juin 2011

lespierresvives@orange.fr (avatar)

lespierresvives@orange.fr

Proviseur retraité, traductrice

Abonné·e de Mediapart

Une nouvelle simonie

lespierresvives@orange.fr (avatar)

lespierresvives@orange.fr

Proviseur retraité, traductrice

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Villon écrivait autrefois : « Mort tous saisit sans excepter », mais il n'y a pas que la mort, aujourd'hui, qui saisit tout sans excepter. La loi de l'offre et de la demande, elle aussi, saisit tout. L'Etat renonce à ses missions régaliennes, tout est vendu ou bien tout est à vendre, les prisons, les routes, le rail, la Médecine, et l'Ecole. Cette dernière fut pourtant un bel et solide édifice, que des générations de patients érudits, de savants instituteurs, de professeurs sûrs d'eux-mêmes avaient su bâtir grâce à la volonté de gouvernements qui n'étaient pourtant ni populaires, ni populistes, qui furent souvent conservateurs, nous dirions « de droite », mais qui croyaient qu'on n'améliore une cité que si l'on rend ses citoyens meilleurs.

Les princes d'à présent sont bien loin de ces mœurs. Une longue série de réformes a permis de parvenir au résultat que nous déplorons aujourd'hui, et qui paradoxalement justifie le mépris que l'on suscite dans la population française pour cette institution autrefois vénérable. L'Ecole coûte cher ? Justifions donc les coupes dans son budget par la démonstration de son insuffisance, ou de son inadéquation aux besoins, après l'avoir d'abord saignée, affaiblie et déconsidérée. On pourra alors vendre les élèves et les enseignants aux groupes privés.

Déconsidérer l'Ecole est devenu facile. On la voit souvent à travers le regard des élèves qui s'y ennuient car les programmes appauvris n'ont plus rien de nourrissant pour leur esprit. Ces programmes misérables sont inspirés des bons sentiments d'une gauche égalitariste, qui a fini par préconiser l'enseignement de l'ignorance. Pour reprendre l'expression de Jean-Claude Milner, à force de vouloir se mettre au niveau des élèves les plus défavorisés, on leur « apprend le caniveau ». Alors, s'appuyant sur cet ennui, la droite déconsidère aussi le savoir, et l'exemple du chef de l'état honnissant La Princesse de Clèves n'en est qu'une illustration parmi d'autres. C'est toute l'Ecole, tout le système scolaire qu'on traîne aux gémonies. Paradoxalement, ceux qui savent quelque chose, les enseignants, sont amalgamés dans ce maelström de l'échec scolaire, on leur reproche l'ignorance de leurs élèves alors que celle-ci est due aux concessions et aux lâchetés des faiseurs de programmes , et l'on finit par persuader l'opinion que puisqu'ils ont raté leur coup – ce qui heureusement n'est pas vrai pour une bonne majorité d'élèves - ils sont sinon inutiles, du moins trop coûteux pour ce qu'ils font, et l'on s'emploie à les remplacer par n'importe qui.

Les faiseurs de programmes ont tellement amputé l'enseignement du français que les productions écrites des élèves du second degré sont fréquemment incompréhensibles. Un élève de seconde en 2011 a reçu moins d'heures d'enseignement de sa langue maternelle qu'un élève de cinquième il y a quarante ans. Aussi entend-on les pauvres parents, effarés de lire les rédactions de leurs bambins, hurler contre les profs bons à rien. Hélas, les profs ont enseigné ce qu'on leur disait d'enseigner, la plupart du temps à leur corps défendant, et comme ce sont des gens disciplinés, et qu'ils se font une haute idée de leur fonction, ils ont souffert, souffrent et vont encore souffrir. Mais ce n'est que la première station de leur chemin de croix.

En effet, le pire mal est à venir. Déconsidérés eux aussi, au même titre que l'institution qu'ils tentent de continuer à faire vivre, les professeurs vont faire l'objet des critiques du pouvoir libéral, qui ne peinera pas à persuader l'opinion que ces bons à rien sont trop payés, que ces fainéants grèvent le budget de l'Etat pour enseigner des inepties (comme le latin ou La Princesse de Clèves) aux pauvres enfants, et qu'il faut à la fois, pour réduire les coûts, « dégraisser le mammouth » et donner le bac à tout le monde le plus vite possible – d'où la suppression des redoublements qui, il est vrai, ne sont guère profitables : deux fois zéro, cela fait zéro, deux années à ne rien faire et s'embêter.

Les suppressions massives de postes sont donc compensées par le recrutement d'enseignants qui sont tout sauf des professionnels de l'enseignement. A Paris, Pôle Emploi vient de constituer le vivier des remplaçants avec des entretiens de cinq minutes par candidat. Qu'on ne s'y trompe pas, ils finiront par prendre doucement la place des vrais profs, ceux qui, après cinq années d'université, ont passé le CAPES ou l'Agrégation, qui connaissent à fond la discipline qu'ils enseignent, qui savent transmettre leur savoir, quand bien même les programmes amputés leur en ont limité la possibilité. On a supprimé le CAPES de Lettres Classiques (Français, Latin, Grec), on supprimera bientôt le CAPES de philosophie. C'est difficile, la philo, il faut écrire une dissertation, et puis franchement, à quoi ça sert ? Ce n'est pas avec de la philo qu'on trouvera de l'embauche. Pourquoi donc alors ne pas faire appel aux services d'un comptable, d'un technicien, d'un ingénieur commercial ? Voilà des professions utiles ! Passons sous silence le fait que ces spécialités n'ont pas permis à ces candidats professeurs de trouver du travail dans leur domaine. Pauvres jeunes gens, qui eux aussi souffriront, sans grand profit pour leurs élèves.

Le profit, le profit, le mot clé de toute l'affaire. Car désormais, l'Ecole doit être rentable. Nul ne songe que ces graines de savoir semées dans les jeunes têtes ne peuvent donner leurs fruits que bien plus tard dans la vie, nul ne pense que la connaissance n'est pas toujours immédiate, qu'elle implique une mémorisation qui ne se fait que progressivement, que comme le corps elle grandit lentement, de façon peu spectaculaire, difficilement évaluable. Or ce qui n'est pas quantifiable ne peut appartenir au monde du profit. Les princes qui nous gouvernent passent donc du temps à évaluer l'Ecole, on a créé au Ministère la DEP (division de l'évaluation et de la prospective), on teste, on mesure, on calcule. Nul ne pense que l'essentiel est ailleurs, que la transmission des savoirs est un acte de l'esprit et par là-même non quantifiable, non mesurable.

Nous sommes à l'ère d'une nouvelle simonie, nos princes trafiquent les biens spirituels, ils vont vendre bientôt l'Ecole à des groupes privés, à l'enseignement confessionnel – l'affaire est déjà bien avancée – mais aussi aux divers cours de soutien qui s'organisent et font de l'argent facile avec l'angoisse des enfants et de leurs parents. Broyés par un système qui les méprise, les vilipende et les meurtrit, les professeurs laisseront doucement la place aux « enseignants » amateurs. Ils emporteront avec eux les derniers trésors du savoir, comme les évêques byzantins emportaient vers Ferrare ou Florence leurs livres grecs pour les sauver du désastre. Lorsqu'ils ne seront plus là, l'ignorance triomphante ouvrira les portes à la tyrannie.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.