Qui nous le dira?
Je ne veux pas oublier les petits prématurés de l'hôpital al Shifa en partance pour l'Egypte
Je ne veux pas oublier leurs petits visages chafouins, blanchâtres, enveloppés dans des linges, des linceuls, presque...
Je veux me souvenir de ces visages émaciés qui en rappellent d'autres, martyrisés, effacés de l'histoire
Se peut-il que des visages fantomatiques d'enfants fassent ressurgir d'autres fantômes?
Où sont leurs parents?
Sont-ils encore vivants?
C'est l'odeur du sein que ces petites bouches encore muettes devraient sentir; c'est l'odeur du sang qu'ils respirent
L'odeur rouge de la guerre, l'odeur des plaies éternellement rouvertes
Ils vont s'en aller au gré des cliquetis des armes, des chars, cahotant sur les chemins, les pistes, dans la poussière, vers le pays de toutes les civilisations
Mais la mer rouge ne s'ouvrira pas devant eux
Ballotés, déplacés, que perçoivent ces petits êtres à peine formés?
Quel visage se penchera sur eux? Quelles mains pacifiques les rassureront, quelles voix amies les berceront?
Se peut-il qu'un miracle ait lieu, que la mer rouge s'ouvre devant eux et les projette vers un avenir glorieux: celui d'êtres humains qui ont décidé de vivre ensemble au lieu de se tuer, de se mutiler, de se ceinturer le cœur, de se murer dans des certitudes identitaires?
L'absence de terre sous leurs minuscules pieds les fera-t-elle basculer dans l'au-delà comme des petits pendus?
Où sont-ils maintenant? Sont-ils encore vivants ou bien manquants? Inscrits sur des listes aux mots échevelés, brûlés, déchiquetés, traînant sur les pierrailles des ruines de Gaza
Où sont-ils maintenant ces bébés que je ne peux oublier?
Qui nous le dira?
Dieu ou Allah?