Par Cristiano Maronna, avocat et président de l’Institut brésilien de sciences pénales (IBCCRIM).
La démocratie brésilienne est malade. Les procédures judiciaires menées à l’encontre de Lula participent d’une accélération de l’escalade autoritaire en cours depuis au moins 2013. Après la procédure d’impeachment, qui a conduit à la destitution de la présidente élue Dilma Roussef, les dernières décisions judiciaires, entachées d’irrégularités et sur lesquelles on a vu même planer l’ombre d’une menace à peine voilée d’intervention militaire, marquent un nouveau pas en direction d’un glissement dont on ne voit pas la fin. Au cœur de ce glissement, la justice joue un rôle central. Le Brésil vit désormais dans un état de siège informel dans lequel les droits et les garanties individuels ont été placés dans une sorte de coma artificiel. Le système de justice protège des « amis » et poursuit des « ennemis » - et la « lutte contre la corruption » et contre « le crime organisé » sont exploités à des fins politiques. Les limites du pouvoir punitif sont devenues opaques et ambiguës, et les droits de la défense sont désormais qualifiés d’obstruction à la justice. La volonté de punir avant toute condamnation fait que, depuis un certain temps déjà, l’État de droit devient un État policier typique des régimes d’exception.
Plusieurs spécialistes dénoncent l’ascension d’un régime d’exception au Brésil. Parmi ces savants, le juriste Rafael Valim, jeune avocat et professeur responsable du lancement de la maison d’édition Contracorrente et du Lawfare Institute, à Londres. Rafael Valim est un juriste reconnu au niveau national et international, professeur à la Faculté de Droit de la Pontificale Université catholique de São Paulo (PUC-SP) et membre d’un cabinet d’avocats qui figure parmi les plus respectés au Brésil. Il constitue surtout l’une des importantes figures de l’ « opposition juridique » qui s’est constituée contre un détournement de la justice et du droit.
Depuis plusieurs années déjà, Rafael Valim accuse une forte manipulation du système judiciaire, largement exploité désormais pour écarter des figures désignées en tant qu’ « ennemies » et pour les délégitimer dans leur domaine de compétence. Selon lui, l’état d’exception représente une catégorie analytique déterminante pour révéler l’articulation invisible qui soude des phénomènes à première vue déconnectés mais qui, dans leur ensemble, constituent la clé de compréhension de la société contemporaine : la crise de la capacité régulatoire du droit, la crise du constitutionnalisme, le niveau insoutenable des inégalités sociales et économiques, la dépolitisation des sociétés, l’émergence du terrorisme, la recrudescence du fascisme et de l’intolérance sous toutes ses formes, la crise de légitimité des parlements. Une des faces les plus perverses de l’état d’exception, déjà dénoncée par Rafael Valim, concerne la criminalisation de la pratique juridique dans le contexte d’une « procédure pénale du spectacle » : un processus qui passe par une destruction de l’image même de l’avocat, figure désormais associée à la défense des intérêts privés et à la prévalence de l’impunité.
Suivant à la lettre le scénario théorique élaboré par Valim, le destin lui a joué un mauvais tour : le théoricien de l’état d’exception s’est vu transformé en victime de son application pratique. Pointé du doigt pour défendre un client accusé de pratiques illicites, Valim est désormais visé dans l’enquête sur la supposée organisation criminelle. La loi au Brésil protège le caractère inviolable de la communication entre un avocat et son client ; mais la Justice a autorisé l’enregistrement des conversations téléphoniques entre Valim et son client. La loi garantit au même titre le caractère inviolable du cabinet de l’avocat ; mais la Justice a déterminé que le sien peut faire l’objet d’une perquisition et de saisies. Et même si le client de Valim a engagé plusieurs autres cabinets de droit, Valim, seul, figure désormais dans la liste des enquêtés…
Des avocats expérimentés observent que, même à l’époque des « années de plomb », quand ils travaillaient pour la défense de détenus politiques, le droit et la pratique de l’avocat n’étaient pas aussi menacés qu’aujourd’hui. L’OAB (Ordre des avocats du Brésil) a condamné ces pressions, qualifiées de violences inacceptables, et s’est engagé à défendre juridiquement Valim en considérant que l’inégalité va bien au-delà de son cas concret et particulier, tant elle frappe la catégorie des avocats dans son ensemble.
Aujourd’hui, le Brésil se trouve à la croisée des chemins : soit il change de cap, soit la démocratie cessera d’être le régime politique en vigueur dans le pays.