Mohamad Ben Salman, alias MBS, 32 ans, connaît une ascension fulgurante. Désigné prince héritier en juin par son père le roi Salman, il évince son cousin Mohamad Ben Nayef, héritier légitime, détenant désormais les rênes du pouvoir.
De prime abord, il semble être un réformateur, posture inédite dans ce pays ultraconservateur. En très peu de temps, il effectue plusieurs réformes, transgressant les règles qui régissent l’Arabie Saoudite depuis des décennies. Chantre d’un islam moderne, il annonce vouloir en finir avec le rigorisme religieux, donnant aux femmes émancipation et droit de conduire. Inspirateur d’un programme ambitieux : « vision 2030 », il vise la fin de la dépendance au pétrole en diversifiant l’économie. Il mène alors une politique plus agressive que ses prédécesseurs: il est l’initiateur de la guerre à l’encontre des Houthis au Yemen, de la mise au ban du Qatar. Quatre bouleversements en si peu de temps : économique, social, religieux et politique. Ce prince que rien n’arrête n’accepte aucun compromis. Soit !
Comment parvient-il à un tel résultat ? Il ne semble respecter aucun principe diplomatique. La démesure d’une telle entreprise inquiète par sa ressemblance avec quelques personnages sombres de l’histoire. Sous prétexte de lutte contre la corruption, il arrête émirs, ministres, hommes d’affaires, quiconque susceptible de constituer une menace – dont le premier ministre libanais, Saad Hariri, qu’il contraint à annoncer sa démission depuis Riyad. Cet acte, qui prend l’allure d’une déclaration de guerre contre le Hezbollah et l’Iran, viserait selon MBS la sécurité du Liban. De quelle nature est la menace qui plane ? Le Liban accueille plus d’un million de réfugiés syriens : en cas d’instabilité, le chaos régional risque de s’étendre à l’Europe.
Cette subite ascension accompagne la promotion d’autres chefs d’Etat "autoritaristes". Hasard ? Et comment ce "succès" est-il possible ? La clinique enseigne que le paranoïaque entre en maître dans le discours qui fait lien social, et ceux qui y trouvent abri sont en quelque sorte disposés à lui faire allégeance. L’histoire le confirme. De la Corée du Nord en passant par l’EI et sans doute d’autres dirigeants plus soft dans l’ombre médiatique, les dictateurs de ce type sont légions et posent un véritable problème politique qui doit nous intéresser. L’histoire montre que le maître d’allure paranoïaque ne se satisfait pas de l’allégeance de ses subordonnés, à regarder les purges qui ont frappé l’entourage de Staline et d’Hitler et de tous les autres. L’un a disparu parce qu’il est mort et il a fallu plus de cinquante ans pour se débarrasser du système qu’il a installé. Le second a disparu parce qu’il a perdu une guerre, un néonazisme lui survit.
Si le régime stalinien a cédé la place à un nouveau système, le néolibéralisme, n’est-ce pas parce que ce dernier était finalement plus prometteur pour les prédateurs qui ont repris le pouvoir et leurs alliés capitalistes ? Et si Hitler a perdu la guerre, le système capitaliste a là encore gagné. Il y va de victoires à la Pyrrhus, un peu comme de l’abolition de l’esclavage : derrière l’argument humaniste s’est dissimulé le même capitaliste heureux de pouvoir asservir désormais plus de gens !
Compterions-nous sur une rébellion ? Et sous quelle forme ? On peut toujours y travailler. Mais ne peut-on craindre que ces dictateurs paranoïaques et chefs d’Etat autoritaires n’en viennent à s’affronter et, ne voulant céder sur leurs intérêts partisans, n’embrasent "notre" monde une troisième fois ?
Une seule véritable issue : la sortie du néolibéralisme. Ne transigeons pas.
Dina Germanos Besson
Marie-Jean Sauret
Dina Besson est l'auteur d'une thèse sur La farce ou la condition humaine post-tragique : le Liban d’après-guerre à l’épreuve de la psychanalyse.