Les nouvelles fusent de partout, je ne sais qu'en faire...
Pour les évènements nationaux concernant la Grèce, je vous conseillerai donc le site d'Okéanos (Okeanews : http://www.okeanews.fr/laube-doree-a-infiltre-la-police-en-grece-affirme-un-officier-superieur-the-guardian/), bien fait, à jour.. je n'ai pas ni le temps, ni surtout le courage de m'y mettre, et puisque ça existe déjà, eh bien! profitons de cette source précieuse.
Je veux vous parler d'Aighion, la petite ville du Péloponnèse où je vis, avec mon compagnon, Christos, et mes deux enfants. Ce soir, les enfants sont chez leur père, sur la montagne. Le village s'appelle Kounina, il est connu pour les maquisards qui s'y cachaient dans les grottes qui trouent la montagne, face au monastère de Saint Léontin. On y cultive le raisin de Corinthe, le petit noir, qu'on fait sécher en septembre, toute la campagne s'emplit de cet arôme-là, un peu fort, presque trop sucré. Les olives, aussi. Dans les années 90, on a vu apparaître les premiers Albanais, ils travaillaient aux champs pour par cher, dormaient dans les granges, ne parlaient pas, bossaient seulement. Bon, des voleurs, ces Albanais, forcément: ils sont Albanais. Ensuite, les Albanais ont fait venir femmes et enfants, certains ont même acheté qui une petite maison, qui un bout de terrain. C'est à ce moment-là qu'on a commencé à dire: "chuis pas raciste, d'ailleurs j'en connais un, c'est un pote"... Ensuite, il y eut les Kurdes, des rudes, ceux-là, ils parlaient encore moins, encore plus bosseurs. Maintenant, on en est aux Pakistanais. Ils travaillent à Manolada dans les champs de fraises, où on leur loue des baraques de plastique et de bidons, je crois que c'est ça qu'on appelle un bidonville. Ici, c'est "les maisons des ouvriers" -question de vocabulaire, hein... et comme on leur fournit des maisons, ben, on leur fait payer. Normal, quoi.
Bon, la cravate d'Athanase. Athanase ('l'immortel", il porte le prénom de feu son grand-père), c'est mon fiston, dix ans, des tibias arrachés à coups de chutes diverses et variées (très...) et un épi un peu couleur de sable foncé, qu’il entretient d’un geste rapide, agile, aussi habile que ceux qu’il exécute pour tripatouiller son vélo, sa radio, un bout de ferraille. Athanase n’est pas un fan de l’école, il adore jouer, rêve, bien, il joue de l'accordéon aussi. Dimanche, il va porter sa cravate, son pantalon bleu marine, sa chemise blanche. Dimanche, c'est la Fête Nationale, enfin, une des DEUX fêtes nationales. En Grèce, on ne fait rien à moitié. La première, le 25 mars, célèbre la Vierge … et le soulèvement qui a mené à la libération des Grecs du joug turc, en 1821. Bon, ensuite, ils ont eu les forces alliées (Français, Anglais) pour leur dire qu’en faire, de cette liberté-là, et puis un roi Germain, … mais tout de même, on a botté les Ottomans hors de Grèce, ça vaut une fête nationale. A une heure de chez nous, perché sur le Mont Helmos, Kalavryta s’est fait une place dans l’histoire en liant son nom aux deux fêtes nationales : le 25 mars 1821, on raconte que le Patriarche Germanos est venu bénir la bannière des combattants pour l’indépendance. Bon, en fait, il semblerait qu’il ait eu besoin d’être menacé de pendaison au platane du parvis du monastère d’Aghia Lavra pour se laisser convaincre d’accorder sa bénédiction. Mais ça, on n’en parle pas. L’histoire a été écrite, pourquoi la désécrire ? La deuxième fête nationale, c’est le 28 octobre, la fête du « OXI », le NON opposé par le gouvernement Metaxas (un dictateur, celui-là aussi, mais bon, passons) aux troupes italiennes exigeant de passer par la Grèce. Les combats furent terribles, les Hellènes, de vrais héros. Les Italiens n’occupèrent pas la Grèce. On chante « Macaroni, tu ne passeras pas », … et toutes les écoles de Grèce, -sauf les maternelles, tout de même un peu indisciplinées, défilent fièrement, en rang, au pas militaire. Cravate de rigueur pour les fistons, on verse forcément une larme émue, les filles en profitent pour mettre des collants très brillants, du rouge écarlate aux lèvres et des jupes qui, si elles ne sont pas mini, sont … encore moins (si, ça existe). Mais on honore les vaillants combattants, tout de même. Les meilleurs élèves sont envoyés, la veille, à la cérémonie de dépôt de gerbe sur le monument aux morts, et le meilleur élève de l’école/collège/lycée se voit attribuer l’insigne honneur de porter –en gants blancs, il/ elle mène la danse- le drapeau flottant au bout d’un manche (ça doit bien avoir un nom, tout de même !) long, lourd, et surmonté d’une croix, bien sûr. Ben oui, on est en Grèce, donc… orthodoxe. Un jour, je dirai ce que c’est de ne pas vouloir être orthodoxe en Grèce. Ca vaut le détour, je vous jure.
Fin de l’épisode Athanase en cravate.
Le bouc, c’est Ambrosios. Ambroise, quel joli nom. En France. Ici, on prononce Amvrossios, en accentuant sur le premier o. Lui, il est évêque, d’Aighialie et de Kalavryta, justement. Le fameux village. Devenu encore plus fameux en décembre 1943, quand les troupes allemandes y firent une descente, rassemblèrent les femmes et enfants dans l’école. Emmenèrent les hommes (et garçons de plus de 14 ans), équipés d’une couverture –pour ne pas avoir froid, disaient-ils- plus haut, dans un amphithéâtre naturel. Là, pendant que l’école s’embrasait, retenant en ses murs les hurlements des centaines d’innocents, les soldats, méthodiquement, assassinèrent tous les hommes. Et les garçons, de quatre ans plus âgés qu’Athanase. Les femmes et les enfants réchappèrent du feu grâce à un soldat autrichien qui leur ouvrit les portes, et perdit sa vie pour sauver la leur. Ambrosios, donc, devint évêque. Quand il était plus jeune, il fut gendarme… bon, un peu spécial, oui : c’était durant la Dictature des Colonels. Lui, il dirait « sous le gouvernement Papadopoulos ». Ca fait plus soft. Grand ami de l’ex archevêque Christodoulos, co fondateur de Chrysopygi, organisation ecclésiastique mise en cause dans divers scandales, financiers, politiques et… roses, dira-t-on. Mauvaises langues. C’est le berger de nos âmes, ici. Peut pas être si mauvais. Ceux qu’il a dénoncés, ils étaient communistes. C’était sûr. N’a jamais dénoncé personne sans en avoir la preuve. Samedi, Ambrosios nous fera l’honneur d’une visite spéciale. Au 62 de la rue Aighialéos, (quelques pâtés de maisons en contrebas de là où j’avais ouvert ma petite école de langues, en 2000, rien à voir, mais… voilà, c’est familier), juste en face du KTEL , la gare des cars. Il viendra bénir les bureaux de la nouvelle cellule locale de Chryssi Avghi.
Je voudrais leur dire, à ces chiens-là, que je les hais. Je ne veux pas qu’ils sachent qu’ils me font peur. Je veux qu’Athanase ne sache rien de ces chiens-là. Rien. Qu’ils n’existent pas. Seulement voilà. Ils sont là, nombreux, armés, déterminés à revenir. A sauver la Grèce. On ne doit pas avoir la même, de Grèce… Alors on surfe sur facebook, avec Christos, on scrute les noms, les photos de ceux qui ont annoncé qu’ils seront présents pour cette inauguration festive. Les chiens. Samedi, on n’y sera pas. On pensait faire un sitting de protestation, devant les bureaux, enfin, à proximité. Mais dimanche, il faut bien qu’il y ait un dimanche pour nous aussi (la cravate d’Athanase, aussi…) Personne n’a voulu organiser.
On dira peut-être, du bout d’un panneau, que « le fascisme ne passera pas », dimanche, alors que nos fiers rejetons défileront pour nos héros nationaux.
Je ne sais pas.
Dites-moi, vous, ce qu’on fait de ce fascisme-là.