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Billet de blog 2 oct. 2009

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Enfin des parachutes dorés pour les élèves de LEP!

Revue de presse de France Inter ce matin et haut le cœur d’indignation, incrédule, je vérifie à la source.

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Revue de presse de France Inter ce matin et haut le cœur d’indignation, incrédule, je vérifie à la source. En effet on peut lire dans le Parisien qu’: « à partir de lundi, l’académie de Créteil se lance dans l’incitation financière collective. Dans trois lycées professionnels, une « cagnotte » de 2 000 € va être allouée à deux classes : les élèves devront s’y fixer un objectif d’assiduité. S’il est rempli, la classe pourra s’offrir en fin d’année un voyage ou le Code de la route… pour un montant de 10 000 maximum ».

Ma colère, quand j’essaie de l’analyser un peu plus froidement, a plusieurs motifs.

L’entreprise de démolition de l’Ecole, planifiée par le sarkozysme en particulier et la droite en général, se poursuit. Le savoir, la culture, la connaissance, sont réduits à une marchandise monnayable. L’Ecole était le dernier rempart de la gratuité, le seul défenseur du mérite, de l’effort lent, laborieux parfois, dans une société où le gain rapide est partout valorisé (des traders à « secret story »). Moqués par certains de leurs élèves pour leurs salaires dérisoires, les enseignants continuaient, dans la difficulté, à véhiculer des valeurs différentes, celles du savoir désintéressé, de l’effort, du travail quotidien, du bonheur de réussir après avoir tâtonné, échoué. Dans un pays où avoir une Rolex à cinquante ans était tenu pour indice de réussite de sa vie, où la princesse de Clèves était moquée par le président, l’Ecole persistait, malgré tout, à proposer le goût de la lecture, l’amour du théâtre, la réflexion informée sur le monde, la connaissance des progrès scientifiques dégagés des préjugés, les doutes féconds de la philosophie, et à imposer que tout cela fût gratuit.

Evidemment cet abaissement de l’Ecole devant l’argent, ce recul formidable de la culture face à la finance, sont camouflés sous les meilleurs arguments possibles : il s’agirait de lutter contre l’absentéisme, de rattraper les élèves « décrocheurs » ; on se dédouane avec le splendide alibi du collectif : c’est le groupe-classe qui gagne l’argent et les gains devraient être destinés à financer un projet commun. La véritable lutte contre l’absentéisme scolaire passe en vérité par bien d’autres canaux que l’appât du gain : contrats individuels, petits groupes, accompagnement personnalisé, méthodes pédagogiques spécifiques ; faire croire que l’intérêt financier serait la seule solution face au décrochage scolaire est en réalité la marque d’un véritable mépris de la jeunesse. En fait, chaque fois qu’on leur donne la parole, les lycéens réclament davantage de culture et de formation artistique, eux attendent justement de l’Ecole tout autre chose que de l’argent.

La démagogie n’ayant plus de limites, ceux-là mêmes qui sont prêts à soudoyer des adolescents pour qu’ils aient le courage de se lever le matin et de fournir un effort intellectuel quotidien, n’ont de cesse de réclamer le retour de l’éducation civique la plus rétrograde et ont réintroduit le terme de morale à l’Ecole. Belle morale en effet que celle qui consiste à faire croire que le savoir dispensé à l’Ecole relève de la consommation et que la fréquentation scolaire dépend de l'enveloppe allouée en fin d'année !

Outre ce premier aspect, capital, qu’est la victoire de l’argent sur la culture et l’effort intellectuel, d’autres réflexions s’imposent. Un élève n’a pas à être rémunéré, c’est la Nation tout entière, ce sont les citoyens par leurs impôts qui lui offrent la chance d’être instruit. Considérer qu’il peut être payé revient aussi à dire qu’il a le choix, et notamment celui de refuser d’aller en classe. Dans un ordre d’idées comparable que dira-t-on aux élèves des autres classes, à ceux qui ne seront pas rémunérés ? On entend déjà les revendications salariales de ces malheureux obligés d’aller en cours juste pour le plaisir d’apprendre, quand les autres iront pour « la thune ».

Plus effrayant encore, si c’est possible, me semble le fait que l’expérimentation porte sur des lycées professionnels, à Louis Le Grand, à Marcellin Berthelot (le lycée d’excellence de l’académie de Créteil) pas besoin de motiver les élèves par l’argent, leurs familles, les jeunes eux-mêmes, savent bien ce que leur apporte l’Ecole pour la suite de leur existence tant professionnelle qu’individuelle, mais les pauvres, c’est bien connu, ne sont motivés que par le fric ! Quelle conception du lycée professionnel et de ses élèves se révèle ainsi chez nos dirigeants!

Que ce soit l’académie de Créteil qui se propose, la première, de franchir le dernier tabou, est aussi une chose qui me scandalise. Cette académie, j’y ai passé l’essentiel de ma vie professionnelle dans des fonctions diverses. Je la connais, je sais ses grandes difficultés, ses résultats décevants, je sais aussi l’inventivité de ses enseignants et de ses chefs d’établissement, leur volonté de faire réussir leurs élèves ; c’est dans cette académie qu’ont souvent été inventés et testés des dispositifs efficaces ensuite étendus partout, pour n’en citer qu’un, en lien avec notre propos, on peut évoquer le micro lycée de Sénart. Que ce soit justement le recteur de cette académie qui détruise des années d'action et de réflexion, est particulièrement navrant. Jean-Michel Blanquer, toujours désireux de coller aux désirs du pouvoir et même de les devancer, après avoir inventé l’école primaire de 750 élèves (voir ici http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/marie-lavin/080409/guy-bert-ou-paul-moquet et là : http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/marie-lavin/260509/guy-bert-ou-paul-moquet-suite-mais-pas-fin), imagine donc maintenant le lycéen soudoyé.

Enfin, quand on sait que chaque année on supprime, faute de moyens dit-on, des milliers de postes de professeurs, et qu’on constate qu’on peut, sans problème, mobiliser 10 000 euros par classe pour marchandiser l’Ecole et réduire les élèves au rang de purs consommateurs stipendiés, on ne peut que se dire qu’il s’agit bel et bien d’une décision idéologique qui vise à terme à détruire une certaine conception du service public d’Education Nationale.

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