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Billet de blog 4 mars 2011

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Tous cannibales, une exposition à déguster.

Une femme en robe blanche, pose un plat sur sa tête, auréole de sainte contemporaine, saisit un couteau et lentement se tranche le sein, l’organetronçonné est en fait un melon placé dansle soutien-gorge, elle l’évide à la cuillère, elle mange tout en parlant, rejette les pépins dans le plat et nous, fascinés, la regardons s’autonourrir, se vider d’elle-même pour mieux s’ingérer (Patty Chang).

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Une femme en robe blanche, pose un plat sur sa tête, auréole de sainte contemporaine, saisit un couteau et lentement se tranche le sein, l’organetronçonné est en fait un melon placé dansle soutien-gorge, elle l’évide à la cuillère, elle mange tout en parlant, rejette les pépins dans le plat et nous, fascinés, la regardons s’autonourrir, se vider d’elle-même pour mieux s’ingérer (Patty Chang).

Dans un tout autre genre et beaucoup plus difficile à affronter, la violence d’un mur carrelé de blanc qui explose sous la pression d’organes violacés et sanguinolents, ils vous éclatent à la figure, encore luisants, humides (Adriana Varejão) ; en regard la célèbre robe de viande de Jana Sterback a perdu en vingt ans de son caractère provocant, la matière a séché, s’est irisée, l’animalité s’est estompée au profit de l’esthétisation, l’art l’a emporté, ou nos regards se sont habitués.

Le plus insupportable pour moi pourtant ce furent de petites aquarelles tendrement pastel d’Aida Makoto, celui-ci a créé un personnage Mi-mi Chan, ravissante nymphette miniature destinée à être mangée, débitée en sushi ou désossée dans une salade ; tel celui d’un esturgeon son ventre est pressé pour en expulser par la vulve des perles de caviar rosé, c’est, dans sa douceur quasi mièvre, proprement intolérable.

Avant ces scènes choc, le visiteur de l’exposition « tous cannibales » à la Maison Rouge aura foulé le lino en rosette et mortadelle de Wim Delvoye, buté sur la flaque de graisse d’un corps obèse épandu à même le sol, souri devant l’explosion du corps d’un diplomate (Gilles Barbier) dont les organes pompeusement ont tous droit à un titre honorifique.

Impossible de citer la totalité des œuvres présentées dans cette exposition dont le titre est un hommage à Claude Levi-Strauss et que la commissaire, Jeanette Zwingenberger, a axé sur les représentations de l’absorption, la dévoration et l’assimilation de la chair. Remarquable mise en parallèle tout au long du parcours entre tradition et art contemporain, on passe avec bonheur d’une Vierge allaitante à un portrait de Cindy Sherman, de gravures du XVIème siècle dénonçant les pratiques alimentaires des Indiens d’Amérique (on croque allégrement bras et jambes, on suçote quelques doigts !) aux variations actuelles sur le Saturne de Goya. Parmi celles-ci un grand cliché de Vik Muniz, au premier abord, un entassement de déchets : piles, bidons, boites et boulons, observé de loin cet ensemble reconstitue exactement la scène de Goya, belle métaphore d’une humanité qui disparait sous les rebuts. Le loup garou, l’ogre, le vampire, trouvent leur place comme le Diable ou la déesse Kali.

C’est un géant débonnaire en spaghettis qui conclut cette riche exposition, on sourit mais ses yeux bleus sont tristes, aspire-t-il à être dévoré, consommé, intégré enfin, ce Solitaire ?

Présent dans tous nos mythes comme parfois encore dans l’actualité des faits-divers, ce thème de l’anthropophagie apparaît, après ce parcours passionnant, d’une violente actualité, interrogeant aussi bien la filiation (la grossesse n’est-elle pas la première forme de consommation d’un autre ?), le fait colonial, très présent ici, notre rapport au corps, la tradition religieuse et nous livrant un regard stimulant sur l’histoire de l’art.

A voir donc, mais sans les enfants !

Tous cannibales. Jusqu’au 15 mai.

La Maison rouge.

10, boulevard de la Bastille.

75012. Paris.

La vidéo de Patty Chang est visible ici : http://sites.asiasociety.org/gofigure/artists/patty-chang/

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