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Billet de blog 11 juin 2009

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« Nous on n’aime pas lire ».

« Nous on n’aime pas lire ».Ce livre très court, Danièle Sallenave l’a écrit pour rendre compte de ses rencontres avec des élèves de troisième d’un collège toulonnais en zone sensible.

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« Nous on n’aime pas lire ».

Ce livre très court, Danièle Sallenave l’a écrit pour rendre compte de ses rencontres avec des élèves de troisième d’un collège toulonnais en zone sensible. Comme d’autres écrivains, elle a parrainé en 2008 deux classes à qui elle a présenté une de ses œuvres, en l’occurrence une pièce de théâtre, les adolescents étant ensuite invités à écrire à leur tour, en écho, une série de saynètes. Ces textes d’élèves ont été lus en public, édités avec des illustrations réalisées aussi par les jeunes.

Au départ l’auteure est assez sceptique (et un peu inquiète) sur le rôle qu’elle pourra jouer : « Pourquoi la vue, la venue d’un écrivain vivant donnerait-elle à ces enfants...le goût de lire ?». Très vite au cours du dialogue qui se noue, les jeunes, très curieux de son travail, lui balancent « nous, on n’aime pas lire ». Elle relève que ces jeunes vivent dans un « monde sans livres » et s’interroge : « ce qui se trouve uniquement dans les livres...où le trouvera-ton ? ». Révélatrice, l’anecdote de l’élève criant : « quand je lis, je vois bien les mots, mais je vois rien là » et elle se frappe vigoureusement le front du plat de la main ». Avec une vraie empathie Danièle Sallenave s’interroge sur les conditions de vie de ces adolescents, sur leur avenir, sur les rapports filles/garçons et conclut que « tout est gagné » dans l’expérience entreprise. Gagné, non dans les résultats scolaires, qu’elle ne se reconnait évidemment pas compétente à évaluer, mais dans la satisfaction mutuelle d’avoir travaillé ensemble : « ne serait-ce que d’avoir appris ça : que le travail rapproche et rend heureux...et ma venue serait justifiée».

Un superbe plaidoyer pour l’Ecole qui « persiste à montrer des modèles d’existence, de pensée, de vie, arrachés à l’emprise des religions, à perpétuer des traditions d’émancipation. L’école demeure un lieu où la valeur suprême, l’argent, est sensiblement contenue, voire contredite par des modèles autres : la science, les arts »... Un notable coup de chapeau aux professeurs et à tous les personnels : « un monde d’adultes responsables et bienveillants ». Surtout cette phrase à la fin du livre : « en les regardant faire je me disais c’est un fragile barrage qu’ils [les professeurs] dressent contre l’inacceptable. L’inacceptable ? Oui, parfaitement, j’ose le mot : c’est ce qui se passe quand une fraction de la jeunesse d’un pays est laissée au bord de la route. Et privée du secours essentiel de la langue, de sa langue ». Et, en conclusion : C’est cela aussi que j’ai appris à la Marquisanne : à quel point la société a besoin de ses professeurs ».

Je n’adhère pas à tout ce qu’écrit Madame Sallenave, elle a tendance parfois à dénoncer un « pédagogisme » qui, d’après elle, règnerait dans l’Education Nationale et, ce faisant, à caricaturer l’indispensable (et insuffisamment développée) réflexion didactique et pédagogique. Ainsi, si j’adhère complètement à son affirmation selon laquelle : « on ne peut jamais enseigner bien ce qu’on connaît mal », je suis en total désaccord avec elle lorsqu’elle écrit : « n’oublions jamais que l’idée d’enseigner à enseigner est une aberration ». Mais on trouve dans ce livre tant d’amour pour la lecture, pour la langue, une telle sympathie pour ces enfants malmenés par la vie, une telle admiration pour le métier d’enseignant, une si belle défense du non-conformisme et de l’audace intellectuelle, que je veux le recommander à tous ceux qui s’interrogent sur les problèmes d’éducation.

Danièle Sallenave. Nous, on n’aime pas lire. Gallimard. Paris. 2009.

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