Une exposition réussie c’est celle dont on sort sachant qu’on a fait une découverte, celle où un monde nouveau nous a été proposé.
La dernière exposition à la Maison Rouge, sans compter les œuvres fort intéressantes que j’y ai croisées, a été l’occasion d’une rencontre de ce genre, d’un choc esthétique et émotionnel. Peu plaisant au départ. Au sous-sol du bâtiment je bute littéralement sur une enfant assise, très réaliste dans ses formes comme dans sa chair, à ceci près qu’elle développe sur tout le corps une pilosité sombre très dense, quasi animale, une ado à barbe en somme, elle tient dans ses bras une « chose » rose, boudinée, sans tête, munie de doigts multiples, d’une bouche en son centre, de deux pieds rondelets, la toute jeune fille protège cette masse de toute sa tendresse attentive. Mais cette composition en silicone et cheveux humains assez étonnante n’était rien en regard de ce que j’ai commencé par éviter quand j’ai entrevu, tapis dans un coin, trois petits êtres repliés sur eux-mêmes en position fœtale. L’attirance-répulsion était si forte que je m’y suis reprise à trois fois avant d’oser affronter cette « portée » (c’est le titre de l’œuvre en Anglais). Mon malaise venait en fait de ce que le regard pressent de loin : ces trois bébés ne sont qu’en partie humains, le dos couvert de poils, des doigts au bout des pieds, des oreilles démesurées, leurs corps sont en réalité des mixtes entre animaux et enfants, des hybrides.

Depuis j’y repense, souvent, preuve de la puissance de cette œuvre qui évoque à la fois le thème du savant fou dépassé par sa création, les recherches sur la génétique et les mutants, les liens d’empathie/répulsion entre êtres vivants. J’ai cherché à savoir qui avait eu la force de concevoir, d’engendrer, de tels êtres. Une femme, jeune, australienne (comme Ron Mueck à qui sa technique fait penser), qui invente un monde de créatures aux confins de l’humain et de la bête mais qui insiste sur le fait que ces êtres ne sont pas menaçants, juste dérangeants. Ce qui nous invite à réviser nos certitudes, nos peurs, nos dégoûts. Et accessoirement notre histoire de l’art, j’ai été particulièrement intéressée par sa façon de réinterpréter le thème chrétien de l’incrédulité de Thomas, elle en fait la rencontre, non pas d’un apôtre et du Christ, mais d’un petit garçon curieux et de l’hybride terrifiante d’un croupion de poulet déplumé et de pattes de rat ; le geste, si codifié dans l’iconographie occidentale, du saint mettant sa main dans la plaie divine devient celui d’un enfant osant affronter une bouche répugnante suintante de pustules dentées, juste pour savoir. Je n’ai pas fini d’y réfléchir…
Dorénavant je devrai compter avec Patricia Piccinini.
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