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Billet de blog 20 décembre 2011

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La Fondapol invente l’école du retour en arrière et de la stigmatisation sociale.

La Fondapol est un think tank libéral présidé par Nicolas Bazire (une référence pour les lecteurs de Médiapart !) et dirigé par un cumulard des médias, Dominique Reynié. Elle vient de publier 12 idées pour 2012, afin de «prendre une part active au mouvement historique qui vient de commencer et apporter notre contribution au grand débat qui doit l'accompagner. » Tout est à lire dans ce texte d'inspiration libérale revendiquée pour se faire une idée de ce qui sert d'outil idéologique à la droite.

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La Fondapol est un think tank libéral présidé par Nicolas Bazire (une référence pour les lecteurs de Médiapart !) et dirigé par un cumulard des médias, Dominique Reynié. Elle vient de publier 12 idées pour 2012, afin de «prendre une part active au mouvement historique qui vient de commencer et apporter notre contribution au grand débat qui doit l'accompagner. » Tout est à lire dans ce texte d'inspiration libérale revendiquée pour se faire une idée de ce qui sert d'outil idéologique à la droite. Je me limiterai pour ce billet à une seule proposition de la Fondapol, mais quelle proposition ! Ni plus ni moins de renoncer au collège unique pour créer des « écoles fondamentales » destinées aux enfants dont les résultats sont jugés insuffisants. Cette suggestion dévoile une conception de l'enseignement effarante à plus d'un titre, je ne retiendrai que deux points essentiels pour ne pas alourdir outre mesure ce billet.Méconnaissance totale d'abord de ce qu'est l'enseignement actuel, ainsi le rapport présente comme une innovation considérable le fait de « reconfigurer la salle de classe » et de systématiser « l'organisation de groupes d'élèves et leur placement autour de tables équipées du matériel informatique nécessaire. » Si monsieur Reynié et son équipe avaient mis les pieds dans des classes pour rédiger leur rapport, ils sauraient que cela existe dans bien des endroits et depuis belle lurette, que les configurations de classe peuvent varier au quotidien en fonction des objectifs du professeur : travail de groupe, individuel, classe entière et même travail en autonomie au CDI, voire enquêtes à l'extérieur....Ils sauraient aussi qu'il existe depuis un bout de temps un B2I qui valide les compétences en informatique et technologies de la communication des élèves, cela leur éviterait d'écrire : « La méthode d'enseignement privilégiera en effet les exercices pratiques et s'appuiera très largement sur les technologies d'information et de communication pour l'enseignement (TICE) ». On sourirait aussi, si ce n'était si désespérant, de lire que : « Les enseignants transmettront les savoirs selon des méthodes adaptées, par exemple en mode projet ». Les professeurs n'ont évidemment pas attendu M. Reynié pour choisir des méthodes adaptées à leurs élèves (c'est même le B A BA de leur métier !) et ils savent leur proposer de travailler sur projet ou sur des situations-problèmes. Les professeurs liront aussi avec un sourire de pitié le conseil que leur prodigue Fondapol : « L'enseignement du français donnera lieu à la formation à la prise de parole, au débat, à la création, etc. », si les rédacteurs du rapport avaient simplement pris le temps de lire sur Internet les instructions officielles de l'enseignement du Français à l'école primaire et au collège ils sauraient que c'est déjà le cas depuis un bon moment ! De même l'idée de la Fondapol selon laquelle « Toutes les heures de cours doivent intégrer un objectif de socialisation des élèves, notamment au travers de la relation avec les enseignants et les autres élèves (« savoir-être ») » figure en bonne place dans les consignes aux enseignants. Mais le pire dans ce rapport n'est pas l'ignorance totale de ce qui se pratique au quotidien dans les classes, c'est la conception de l'enseignement qui en découle et l'avenir qui se profile pour l'enseignement républicain si les prescriptions de la Fondapol venaient à être mises en œuvre. D'abord, ces écoles fondamentales ne seront pas créées partout, elles devraient être instituées « dans les zones identifiées comme devant faire l'objet d'une action spécifique ». Nul besoin d'être grand clerc pour deviner que ces zones ne seront pas situées en centre ville.... Ce rapport suppose, sans le dire, de recréer un examen d'entrée en sixième, puisqu'il prévoit d'envoyer dans ces écoles fondamentales les élèves n'ayant pas atteint le niveau requis dans trois domaines : « le Français, les mathématiques et le « savoir-être » ». Outre qu'il faut toujours s'interroger sur la notion de « niveau » et qu'on peut aussi se demander pourquoi il n'est nécessaire de l'obtenir que dans deux disciplines( drôle d'innovation qui revient à se cantonner à deux disciplines certes fondamentales mais quelle pauvreté d'imagination chez Reynié et ses comparses !), le plus grave réside dans l'idée qu'on y enverra aussi les enfants n'ayant pas le fameux « niveau » en « savoir-être » ! Porte ouverte à toutes les dérives, le gosse un peu agité, celui qui a des problèmes psychologiques, celui qui a subi un deuil dans l'année ou dont les parents ont divorcé, l'enfant négligé par sa famille, celui dont les parents ne possèdent pas les codes sociaux, ceux qui viennent tout juste d'arriver en France, et plus généralement les moins favorisés, ceux-là seront bien placés pour l'orientation vers « la fondamentale » ! Pour que les choses soient bien claires la Fondapol nous gratifie en outre d'un graphique qui montre que l'essentiel des retards scolaires concerne les enfants de chômeurs ou d'ouvriers (graphique exact probablement mais qui devrait conduire à des propositions de remédiation et non d'exclusion), rien n'est dit clairement mais on comprend qu'ils seront les premiers usagers de l'école fondamentale, avec les enfants ayant des difficultés d'ordre psychologique. Si on peut à la rigueur déterminer un niveau en mathématiques et en Français qui décidera comment fixer la barre et les critères pour le « savoir-être » ? Il serait plus simple de dire carrément qu'il est, selon M. Reynié, souhaitable de débarrasser le collège d'un certain profil d'élèves, les plus faibles, ceux qui posent problème. Actuellement certains d'entre eux sont dirigés vers les SEGPA au sein même des collèges, mais, soit M. Reynié ignore aussi l'existence des SEGPA, soit il préfère exiler loin des élèves « normaux », tous ceux qui n'ont pas le fameux « niveau ». Une fois bien isolés que va-t-on enseigner à ces enfants ? Aux mêmes mathématiques et Français qui les ont conduits à la ghettoïsation on ajoute le sport qui, comme chacun sait dans un imaginaire simpliste, aide à se tenir tranquille et...C'est tout, trois matières ; de façon quasi sadique le rapport liste toutes les disciplines étudiées au collège pour conclure qu'on n'encombrera pas les élèves de la fondamentale avec tout ce fatras inutile, tout juste concède-t-on que : « Par le choix des thèmes, des textes, des exercices d'application et des activités, l'enseignement dispensé dans ces écoles fondamentales sera l'occasion de présenter aux élèves les bases élémentaires des savoirs qui n'y seront plus enseignés en tant que tels (sciences de la vie et de la terre, histoire, géographie, arts plastiques, actualité, etc.) ». Ainsi nos jeunes de l'école fondamentale seront privés de toute culture culturelle ou scientifique, l'exact contraire de ce qu'il faut faire pour compenser les déficits culturels qui souvent handicapent les jeunes en difficulté, tout ce qui, paradoxe que néglige la Fondapol, est justement un des moyens de les aider à surmonter leurs retards. Ils seront aussi exemptés de toute initiation critique à l'actualité, on n'est jamais trop prudent avec les classes dangereuses ! Une fois achevée leur scolarité, ces jeunes sont en toute logique libérale envoyés par la Fondapol vers ce que leur promettait leur naissance les: « filières d'apprentissage et formations professionnelles.... » Et c'est ainsi que la Fondapol règle le grave problème de l'échec scolaire tout en éliminant la mixité sociale. Cette proposition qui se veut progressiste marque en réalité un grave retour en arrière. Qu'il faille proposer des solutions pour l'Ecole est une évidence, mais celles de la Fondapol sont synonymes de retour en arrière et de stigmatisation sociale.

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