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Billet de blog 15 mars 2025

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Dégueulasserie quotidienne

Ce sont des choses qui arrivent quotidiennement mais qui sont loin d'être anodines. Elles font partie des moyens par lesquels les hommes privatisent l'espace public en faisant en sorte que les femmes s'en retirent et que ce soient elles qui se sentent salies par leurs comportement à eux.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce texte est issu de plusieurs stories publiées sur Instagram ce jour.

Hier, sans voisin.e dans un train peu bondé, j'étais tranquillement à la semi-horizontale sur la banquette, dos à la fenêtre. 

Au même niveau dans la rangée d'en face, personne. Mon regard divague et arrive sur la banquette derrière celle qui me fait face. Je vois une main tranquillement astiquer un entre-jambes, l'autre main étant occupée à tenir un téléphone. Dans ma position et avec le dossier de la banquette, je ne vois pas la tête du type, qui ne me voit pas non plus et ne sait donc pas que le je vois.

Je freeze.
Non, c'est pas possible, je rêve.
Y'a quand même pas un type qui est en train de se masturber là dans un espace public ?

Le type se redresse et toujours sans me voir, vérifie que personne ne le voit. Et puis se remet à son affaire.

Ben non, je ne rêve pas.

Je ne sais pas s'il y a d'autres personnes derrière.

Je n'ose plus bouger.

J'envoie un message à deux amies.
Elles me disent change de wagon et préviens le staff à bord.
Je rassemble mon courage et suis leurs conseils, prends mes affaires en faisant bien attention à ne pas croiser son regard, et me réinstalle à l'autre bout du wagon. De là je vois qu'il n'y a effectivement personne derrière lui − de loin, crâne chauve et lunettes, sans doute la cinquantaine, mais peu importe. 

Je trouve deux contrôleur.euses dans le wagon suivant. Iels agissent de suite. Le contrôleur revient me voir en me disant qu'iels ont rien vu. Normal puisque le type avait dû arrêter en les voyant et comme il était pas désapé, bref. Mais il me dit qu'iels vont rester assis près de lui.

Au moins le type aura été freiné. 
Pour cette fois.
Mais quid des précédentes et des prochaines ?
Parce que s'il s'y autorise pépouze là, c'est évidemment qu'il l'a déjà fait et le refera.

Je suis restée avec ces images en tête une bonne partie de la journée et encore ce matin.

Une partie de moi a tendance à minimiser − ça va, c'est pas si grave, c'est juste un porc.

Mais si c'est grave.
D'une, parce que je me suis trouvée neutralisée par ses gestes, ma liberté de mouvement a été empêchée et mon espace psychique effracté.
Et de deux, parce que je n'ai rien demandé, et que c'est précisément la mécanique de la perversion : on t'impose un comportement qui créé le malaise, te fait bugger et te prend en otage.

Évidemment c'est pas la première fois que ça m'arrive, on a toutes vécu ça ou similaire d'innombrables fois.

Et sans doute il y a encore quelques années j'aurais tâché de rassembler ma concentration pour ne pas y penser − à quel prix?

Mais je lis et vis les choses différemment aujourd'hui.

D'où c'est moi qui ai été gênée et qui ai craint de croiser son regard plutôt que de lui balancer une réflexion ?

Mais bordel faut quel degré de perversion et d'impunité pour jouir de sa propre dégueulasserie?
C'est pas de la transgression, c'est de la perversion.

En plus de ça au même moment c'était l'audition de Dominique Besnehard à l'Assemblée Nationale.

Tout ça va tellement ensemble.

*

Je partage cette expérience parce que ce sont des choses qui arrivent quotidiennement mais qui sont loin d'être anodines.

Elles font partie des moyens par lesquels les hommes privatisent l'espace public en faisant en sorte que les femmes s'en retirent et que ce soient elles qui se sentent salies par leurs comportement à eux.

Et je ne parle pas des situations où ces gestes ont lieu devant des personne mineur.es.

C'est une agression.

D'une façon ou d'une autre − demander de l'aide, appeler d'autres personnes, les autorités compétentes, réagir soi-même si on s'en sent capable − on doit faire notre maximum pour adresser et renvoyer ce problème à la collectivité.
Ne pas rester seul.e.

C'est un continuum.
Laisser passer ça c'est laisser passer le reste.

Et j'ajoute au texte initial que la nécessité d'intervenir vaut aussi − et peut-être surtout − lorsque l'on est témoin. Parce que la personne qui subit l'agression ne sera peut-être pas en mesure de réagir elle-même.

Il y a quelques temps, à une heure de pointe dans le métro, j'étais à côté d'une adolescente  − ou d'une très jeune femme, je ne sais pas très bien. Un type entre dans la rame, sans doute autour de la quarantaine et visiblement dans un état second mais qu'importe, et lui propose de lui faire écouter sa musique. Elle dit non d'une voix basse et timide. Le type insiste et tente, de force, de lui coller l'un de ses écouteurs dans l'oreille : "Mais si tu vas voir c'est vachement bien!". Elle a un mouvement de recul. Je dis assez fort au type qu'elle vient de lui dire non. Il se tourne vers moi et me balance : "T'es qui toi, tu te prends pour Marlène Schiappa?"

J'éclate de rire. Je ne savais pas que Marlène Schiappa était devenue une insulte, même si politiquement je suis d'accord.

(En même temps, comme me l'a dit une connaissance, si c'est sa seule référence féministe, c'est sûr qu'on n'est pas sorties de l'auberge.)

Bref, le type a déporté son attention sur moi et a continué à m'aboyer dessus, mais ma jeune voisine a pu sortir à la station suivante. J'ignore si c'était réellement sa destination.

Ce jour-là, j'étais en état d'encaisser ça, ça ne m'atteignait pas, et surtout je ne voulais pas laisser une sœur, a fortiori plus jeune et peut-être mineure, sans soutien.

Mais je ne l'ai pas toujours fait, et tout le monde ne l'a pas toujours fait pour moi non plus.

Et ça ne change pas le problème.

A savoir que nous avons toutes deux, l'une après l'autre, subi l'agression de cet homme. Et que c'est tout de même elle qui a quitté cet espace, pas lui.

Et que beaucoup d'entre nous continuent à dire :

"Quand je sors je veux être libre, pas courageuse."

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