Du haut de ma petite quarantaine, j'ai souvent encore un peu peur de parler politique avec toi, comme à l'adolescence.
Alors j'écris.
Parce qu'il n'est pas question, ici, de simples divergences d'opinion.
Il est question de droits humains fondamentaux.
*
Peu de temps après l'assassinat de Nahel, nous avons échangé.
Oui, le policier a commis un geste inacceptable, il doit être jugé et sanctionné.
"Mais".
Ce fameux "mais", de quoi qu'il soit suivi, et que j'aurais voulu ne jamais entendre, ni de ta bouche ni d'aucune autre.
Quand je peinais à obtenir mon permis, il est arrivé que mon père, ma mère ou mon frère m'emmènent conduire sur un parking, un chemin ou de petites routes de campagne, à l'abri de la circulation et des regards. Ces arrangements entre les apprenti.es conducteur.ices et leurs proches, histoire de pratiquer, de prendre confiance, de s'éviter une heure supplémentaire chèrement facturée une fois le compteur des vingt heures dépassé, sont un secret de polichinelle.
Une fois, ma mère et moi avons été contrôlées alors que j'étais au volant. Nous devions être au début des années 2000, j'avais une toute petite vingtaine d'années. Pas fières, et en ce qui me concerne, franchement paniquée, nous avons expliqué la situation. Je risquais jusqu'à un an d'emprisonnement, 15 000 euros d'amende, et des peines complémentaires comme la confiscation du véhicule, des travaux d'intérêt général, une interdiction de conduire pour cinq ans minimum, l'obligation de participer à un stage. Même chose pour ma mère.
Mais aucune de nous ne risquait la mort. Et il aurait alors été absurde de le craindre. Même d'y penser.
Question d'époque? Sans doute.
Question de couleur de peau ? Sans doute aussi. Je suis blanche, ma mère est blanche.
Nous étions clairement en infraction. Les deux gendarmes nous ont fait la leçon. Et laissées repartir.
Aurais-tu alors pu imaginer que l'un d'eux braque son arme sur moi, m'assène un coup de crosse au visage, menace de me tirer dessus, et finalement appuie sur la gâchette?
Aurais-tu pu imaginer que, sous l'effet du choc et de la panique, mon pied lâche la pédale de frein, remettant le véhicule en mouvement sans que je m'en rende compte?
Aurais-tu trouvé juste qu'on aille fouiller dans ma courte vie pour en exhumer toutes mes conneries adolescentes, voire en inventer, pour contrebalancer l'horreur de l'acte?
Aurais-tu douté de la parole de ma mère, assise à côté de moi, sur le siège passager?
Qu'aurais-tu dit si je t'avais rapporté qu'un de mes cousins, qui s'est souvent fait retirer son permis, notamment en raison de sa consommation de cannabis, avait été abattu par la police parce qu'il se serait enfui? (*)
Il aurait été en infraction ; mais n'aurais-tu pas trouvé l'acte aussi odieux que disproportionné, sans qu'aucun "mais" n'effleure tes lèvres?
Qu'aurais-tu dit si le fils de Nadine Morano, actuellement poursuivi pour conduite sous stupéfiants en récidive, délit de fuite et mise en danger de la vie d'autrui, avait pris une balle dans la tête? (**)
Il était en infraction ; mais aurais-tu, tout en condamnant l'acte, fait remarquer qu'il était en récidive?
Dans chacune de ces situations, n'aurais-tu pas invoqué la justice pour régler l'infraction commise, quelle qu'elle soit?
Ne t'est-il jamais arrivé de prendre le volant avec un petit verre en trop dans le sang?
Combien d'entre nous ont déjà commis de petits délits sans conséquences?
Ou plutôt, combien d'entre nous n'en ont jamais commis?
Peu, je suppose.
Nahel, lui, à 17 ans, a pris une balle. Dans le thorax.
Une balle.
Dans le thorax.
A 17 ans.
*
Si cela était arrivé à quelqu'un de ton entourage plus ou moins proche, je pense que ta réaction aurait été différente, parce que tu aurais pu mettre un visage, une histoire, du commun sur un récit désaffecté de faits.
Parce que tu en aurais été touché.
Je relis cet article de Faïza Zeroula sur le déferlement de réactions racistes, en entreprise, suite au meurtre de Nahel et aux émeutes. Je relève ce passage :
« Des propos racistes et misogynes sont parfois tenus par des collègues en salle des professeurs, mais leurs propos "dérapent beaucoup moins et sont moins racistes et discriminants" quand il s’agit de parler directement des élèves qu’ils connaissent, car ce sont des personnes et non "des concepts". »
Je rapproche cela de Contre la haine, le fabuleux ouvrage de Carolin Emcke :
« On hait indistinctement. On ne peut pas haïr avec précision. Avec la précision viendraient la tendresse, le regard ou l'écoute attentifs, avec la précision viendrait ce sens de la nuance qui reconnaît chaque personne, avec ses inclinations et ses qualités multiples et contradictoires, comme un être humain. Mais une fois les contours estompés, une fois les individus rendus méconnaissables comme tels, il ne reste que des collectifs flous pour destinataires de la haine. On peut dès lors diffamer et rabaisser, humilier et fulminer à l'envi contre les juifs, les femmes, les mécréants, les Noirs, les lesbiennes, les réfugiés, les musulmans, ou encore les États-Unis, les politiciens, l'Occident, les policiers, les médias, les intellectuels. » 1
La généralisation, explique-t-elle, rend myope. Elle empêche de voir les traits précis de ce qui se trouve loin de nous, précisément parce qu'on en est loin. Si on s'en approchait, on pourrait en discerner les particularités, en appréhender les différentes facettes, en apprendre sur une autre expérience de l'humanité. Du moins l'essayer. Et peut-être, qui sait, se découvrir plus de commun que ce qu'on imaginait.
Il y a quelques années, j'ai participé à une "bibliothèque vivante", avec des personnes migrantes. Le concept n'est pas encore très connu du grand public, en voici un résumé :
« Une bibliothèque vivante, c’est une bibliothèque où les livres ne sont pas en papier, mais des personnes en chair et en os, que des "lecteurs" et "lectrices" peuvent emprunter, pour une durée de 20 minutes maximum. Les livres vivants racontent une partie de leur histoire personnelle. Un dialogue se noue avec le lecteur, qui peut ouvrir le livre à la page qu’il souhaite, en posant des questions. Le livre, lui, choisit ce qu’il dit ou ce qu’il tait, et s’il se trouve dans une situation inconfortable, peut faire le choix d’interrompre la lecture à tout moment. C’est l’occasion de déconstruire des préjugés, mais également de prendre le temps d’une rencontre humaine, singulière. » 2
Comme tu le sais, j'ai un temps travaillé auprès de personnes immigrées et réfugiées. Pour moi, la rencontre avait déjà eu lieu. Mais j'ai pu observer que mal de monde n'avait que très peu, voire pas d'occasions, d'entrer en contact réel avec des personnes ayant fait l'expérience de la migration, choisie ou non. La masse compacte des "migrant.es", créée par les politiques et les médias, s'est alors dissoute, pour laisser chacun.e devenir la personne à part entière qu'elle est, dans toute sa singularité, sa complexité, sa richesse ; qui n'est plus réduite l'étiquette de "migrant.e". Comme dans l'extrait de l'article plus haut, elles cessaient d'être des "concepts", et prenaient corps dans une rencontre vécue.
Une ancienne élève, allemande, me disait qu'aujourd'hui l'enseignement de l'histoire de la Shoah en Allemagne n'avait pas grande portée, parce qu'elle n'était pas sensible, qu'elle n'affectait pas qui la donnait, qui la recevait. Parce qu'on n'en parlait pas dans les familles, avec celles et ceux qui l'avaient vécue, directement ou par descendance. Parce qu'elle restait abstraitement enfermée dans des livres et des discours qui s'adressaient à tou.tes, mais ne parlaient à personne.
*
Quand j'ai parlé de racisme dans la police, tu m'as dit qu'il était abusif de considérer que tous les policiers étaient racistes. Mais je ne parle pas d'une personne, de plusieurs ou de toutes ; je parle d'un fonctionnement, et d'un fonctionnement qui a des répercussions sur le comportement des personnes.
Mon ex-compagne est maghrébine. Née en France de parents algériens au début des années 80, elle a grandi dans un département de la banlieue parisienne.
J'ai vu en elle les blessures du racisme. J'ai vécu ce qu'il en restait. Ce qui pouvait encore se produire.
Elle, par exemple, que son instituteur a traînée par les cheveux dans la cour de l'école, devant tout le monde, et qui était surprise d'apprendre que je n'avais jamais connu, dès le primaire, la brutalité d'enseignant.es sur mes camarades ou sur moi.
Elle qui, tandis que des élu.es dont les enfants sont poursuivis pour des faits de délinquance ou de violence se permettent de donner des leçons d'éducation à des parents soi-disant démissionnaires, a dû accompagner sa mère, très tôt le matin ou très tard le soir, pour faire des ménages, et en a développé et gardé d'importantes allergies.
Elle à qui, à sa majorité, la préfecture a voulu refouler l'accès à la nationalité française, pour laquelle il a fallu qu'elle se batte alors qu'elle devait lui être attribuée de plein droit.
Elle qu'un employeur, pour un de ses premiers emplois, dans le secrétariat, a fait venir en entretien, pour lui dire dès les premières minutes : "Franchement, avec votre nom, vous croyez vraiment que je vais vous embaucher?"
Elle qu'un même médecin généraliste, que nous avions consulté séparément, avait traitée avec condescendance et de manière totalement inappropriée d'un point de vue médical, quand, certes assez péniblement imbu de sa personne, il m'avait reçue chaleureusement.
Elle qui s'était demandé si ma famille aurait une réaction particulière au fait qu'elle soit arabe, si moi-même je m'étais posé cette question, alors qu'elle ne m'avait jamais traversé l'esprit, et que je sais qu'elle n'avait pas davantage traversé celui des miens.
C'est de ça que je parle quand je parle de système. Dans la police parmi d'autres institutions, même si ça y est plus visible parce que les policiers ont un pouvoir de nuisance que n'ont pas, ou ont moins, d'autres corps de métiers. Je parle de structures qui se font écho, déteignent les unes sur les autres, se protègent les unes les autres. Comment expliquer autrement qu'elle ait vécu du racisme aussi bien à l'école, au travail, dans l'administration que dans le milieu médical, à différents âges de sa vie, et l'ait aussi craint dans l'intimité?
Je me demande : aurais-tu tenu le même discours en sa présence? Je ne le crois pas. Je crois qu'avec une grande humilité, tu lui aurais manifesté beaucoup d'intérêt, lui aurais demandé comment elle vivait cette situation, l'aurais questionnée sur la vie dans la cité.
Que tu aurais sincèrement eu envie de savoir et surtout d'apprendre.
Que tu aurais accepté de confronter tes croyances à son expérience.
Et que ton grand cœur se serait ouvert comme une fleur.
*
Le samedi 8 juillet, une marche pacifique contre les violences policières est organisée par le comité "Vérité pour Adama". En fin de marche, alors que tout s'est déroulé dans le calme, l'un des jeunes frères d'Adama, Yssoufou, est violemment interpellé par les forces de l'ordre. Il subit un placage ventral (la même technique que celle subie par son frère), est emmené au commissariat, et en ressortira plusieurs heures plus tard, direction l'hôpital. Les vidéos de son interpellation circulent massivement sur les réseaux.
Comme je n'ai plus la télé, je ne regarde plus les informations. Mais j'ai voulu voir où on en était, sur le service public, du traitement des émeutes et des violences policières. J'ai donc regardé le 20h en replay. La marche n'est pas évoquée dans les titres ; elle est traitée en quelques minutes en cours de journal, avec ce commentaire de Laurent Delahousse : quelques incidents en fin de manifestation, et l'interpellation de Yssoufou Traoré. Absolument rien sur la violence des gestes des forces de l'ordre. Aucune image. En revanche, juste à suivre, un long reportage sur le nombre de voitures incendiées depuis le début des émeutes, et sur la façon dont vont ou non fonctionner les assurances.
Et j'ai enfin compris.
J'ai compris pourquoi tu sembles si peu me suivre quand je te parle de violences policières.
Dans ta télé, elles n'existent pas.
Dans ta télé, "ils" sont fautifs.
Je tiens la majorité des médias pour responsable, et même coupable, de cette désinformation cruellement, criminellement malhonnête. En se taisant, ces médias sont complices de la violence de l’État à travers ses forces de l'ordre. Ils la cautionnent. Ils en sont le relais.
Mais les moyens de s'informer existent. Et les données sont disponibles.
La question maintenant, est de savoir si tu as envie de savoir.
*
Bien sûr, je n'ignore pas qu'il existe, dans ce que de façon assez nébuleuse on appelle "les banlieues", de la délinquance, de la criminalité, des zones de non-droit où les forces de l'ordre ne peuvent plus entrer.
Mais il me semble insuffisant de s'en tenir à ce constat sans remonter à ce qui l'a produit, et injuste d'en blâmer les habitant.es, tout autant que de les y réduire ; comme s'iels étaient tou.tes comme ça, et qu'iels n'étaient que ça.
La délinquance et la violence n'existent pas moins chez les cols blancs. Elles existent autrement, et sans doute de façon moins visible. Mais elles existent tout autant. Si ce n'est davantage.
Combien d'élu.es sont actuellement mis en cause dans des affaires de délinquance sexuelle ou financière?
La fraude fiscale, estimée entre 80 et 100 milliards d'euros par an, constitue un manque à gagner colossal pour les comptes publics, auxquels seront ensuite appliquées des politiques d'austérité. Pourtant, alors que cette fraude concerne très majoritairement les entreprises, c'est au contrôle du RSA, c'est-à-dire aux plus précaires, que le gouvernement a décidé de s'attaquer.
La destruction des biens publics peut aussi se faire par des moyens institutionnels. L'éducation, la santé, la justice, la culture, l'environnement, pour ne citer que ces secteurs, en sont témoins. Une bibliothèque n'a pas besoin de cramer pour être détruite. Une baisse des subventions y parviendra tout autant.
Sais-tu que le FMI lui-même a affirmé que l’inflation était en grande partie alimentée par la hausse du profit des entreprises?
Je ne comprends pas que la violence institutionnelle, qui engendre des violences sociales, économiques, policières et judiciaires, ne soit pas reconnue comme une violence à part entière, qui elle aussi, dégrade, casse et tue bien plus de vies que de manifestant.es ne dégradent de mobilier urbain.
La dégradation n'est certes pas une solution ; mais comment s'en étonner, quand toutes les autres possibilités ont été épuisées et que ça dure depuis des décennies?
Ali Rabeh, maire de Trappes, a évoqué la situation explosive de certains quartiers de sa ville, les multiples appels à l'aide et au secours lancés à l'Etat, les innombrables sonnettes d'alarme tirées. Avec, pour seule réponse, une fin de non-recevoir :
« Vous savez ce qu'ils disent les jeunes? La fameuse phrase qui me laisse sans voix? "Vous, on vous écoute pas. Quand on brûle on s'intéresse à nous, on parle de nous à la télé." Qu'est-ce que vous répondez à ça? Si vous avez la réponse, accompagnez-moi et on va répondre à ces jeunes. Oui on parle d'eux, et on leur répond, et à leurs représentants que sont les associations, les élus, etc. - quand ça brûle. Mais invitez-nous quand ça brûle pas! On n'attend que ça. Et des solutions, on en a. Le sujet c'est les ghettos de pauvres, on va se le dire clairement. Alors oui, on peut mettre des milliards, on peut repeindre la façade, mettre un coup de peinture, on le fait tous. Mais pourquoi les pauvres restent entre eux? Parce que les riches restent entre eux. C'est l'égoïsme des riches, qui restent dans leurs villes barricadées. Vous croyez que ça brûle en ce moment à Neuilly? Non, ça brûle à Trappes. C'est la double peine. (…) Nous on subit la double peine. Les principales victimes des émeutes en cours, que nous voulons à tout prix éteindre, ce sont les habitants de ces quartiers populaires, qui se prennent la double peine : la ségrégation sociale, la ségrégation scolaire, l'échec scolaire, et aujourd'hui, leurs voitures qui brûlent et qui les empêchent d'aller au boulot. Et on va dire que c'est la faute des mamans qui ne vont pas chercher leurs enfants à minuit à l'extérieur. On peut dire ça, ça nous fait du bien, mais ça ne réglera rien. »
*
Nous sommes le 19 juillet 2023.
Parmi les nombreuses personnes interpellées lors des révoltes et des pillages, il y a eu, en trois semaines, 1278 jugements, qui à 95% ont abouti à des condamnations : 1056 à de la prison, dont 742 peines fermes (soit 63%), pour une durée moyenne de 8,2 mois. Près de 600 personnes sont incarcérées à ce jour.3
En trois semaines.
En trois semaines.
Sachant que chaque jour, des agresseurs sexuels s'en sortent avec du sursis, voire un non-lieu, au bout d'années de procédure très éprouvantes et coûteuses pour les plaignantes ;
Sachant que des élu.es soupçonné.es, voire reconnu.es coupables de machinations financières illégales, brassant des milliers d'euros appartenant à l'Etat, donc à nous, sont toujours en exercice ;
Sachant aussi que les personnes interpellées au centre commercial Vélizy 2 venaient des beaux quartiers, et que leurs procès à elles ont été reportés à novembre, quand les autres, ailleurs, ont été jugées en comparution immédiate (ou déférées au Parquet).
Des correspondants de Révolution Permanente ont assisté aux audiences.
A Marseille, une procureure s'est exclamée : "Nous jugeons aujourd’hui des personnes qui ont participé à des actions pour s’enrichir et faire tomber la société". Or, les accusés sont "poursuivis pour recel de vol de fromage et de lunettes, vol de vêtements ou encore de pièces de 50 centimes". Une jeune femme est même simplement entrée dans un magasin ; elle a pris quatre mois fermes ; un homme de 58 ans, qui a ramassé des objets par terre trois heures après les pillages, a pris un an ferme.
A Créteil, un jeune livreur, qui se rendait dans une supérette et a fui en voyant la police, a été blessé par tir de flashball ; il a été condamné pour violences sur policier.
A Bobigny, la juge s'est moquée d'un prévenu handicapé d'un oeil, qui par ailleurs n'entendait pas ses questions : « Vous avez des problèmes de vue mais aussi d’audition non ? » Elle persistera dans son mépris : « Votre faiblesse intellectuelle rend nécessaire une peine ferme ». Il écopera de six mois pour avoir brûlé une poubelle. 4
Une de mes amies, qui travaille dans la justice, m'apprenait que la circulaire par laquelle le ministre de la justice a demandé aux magistrats d'appliquer la plus grande sévérité lors de ces procès, n'avait aucune valeur juridique ; et donc, que les magistrat.es étaient libres ou non de répondre à sa demande. Ce qui déjà me semblait grave - à savoir qu'un ministre cherche à peser sur des décisions de justice, autrement dit que l'exécutif tente de peser sur le judiciaire - s'est trouvé aggravé par son constat à elle : les magistrat.es n'ont aucunement été contraint.es d'appliquer des peines aussi dures qu'absurdes. Et pour le mépris, comme une digue qui s'effondre, tout semblait permis.
*
A la mort de Nahel, le syndicat France Police a écrit ce tweet : "Bravo aux collègues qui ont ouvert le feu sur un jeune criminel de 17 ans." Ils les félicitent d'avoir neutralisé son véhicule ; or, ce qu'ils ont neutralisé, c'est la vie de ce jeune homme, pas son véhicule - qui est ce qu'on aurait attendu d'eux.
Le 30 juin dernier, les syndicats de police Unsa Police et Alliance ont publié un communiqué, dans lequel ils appellent à abandonner "l'action syndicale" et à mener un "combat contre ces "nuisibles" et "ces hordes sauvages". Au gouvernement, ils affirment que, "sans mesures concrètes de protection juridique", de "réponse pénale adaptée" ou encore de "moyens conséquents apportés", ils "prendront leurs responsabilités".
Malgré des propos explicitement racistes, et l'expression directe d'une menace à son encontre, le gouvernement n'a pas réagi.
Au nom de la liberté d'expression, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, autorise une manifestation de l'ultradroite, et la justice, au nom de l'ordre public, interdit une manifestation contre les violences policières.
A l'heure où j'écris ces lignes, la famille du policier qui a tiré sur Nahel a perçu la cagnotte de 1,6 millions d'euros, que la justice n'a pas fait fermer, comme elle l'avait fait pour celle de Christophe Dettinger, cet ancien boxeur qui avait repoussé les forces de l'ordre au poing lors des manifestations des Gilets Jaunes. Et Gérald Darmanin a fait en sorte que le policier incriminé continue à percevoir son salaire.
Sept membres des forces de l'ordre viennent d'être placés en garde à vue pour des violences en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique, après avoir tiré au flash ball sur Hedi, un jeune homme de 22 ans, puis l'avoir roué de coups, et laissé pour mort. Hedi est resté plusieurs heures dans le coma, et souffre toujours d’un sérieux traumatisme crânien et de nombreuses blessures. Les collègues de ces agents sont venus les soutenir, en les applaudissant.
*
Bien sûr, ce billet s'adresse aussi à tou.tes celleux qui, comme moi, se sont trouvé.es dans cette situation, désarmante, où le discours de proches que l'on sait être du côté de l'humain et des droits, s'est trouvé, quasi à leur insu, empreint d'un discours médiatique, politiquement organisé, aussi absurde et nauséabond que dangereux.
Ce discours, littéralement, tue.
Nahel en est la preuve, morte malheureusement.
Et parce que je ne saurais pas en parler aussi justement que les personnes concerné.es, et surtout que je ne souhaite pas le faire à leur place, je préfère renvoyer au déchirant billet de blog de Khedidja Zerouali "Accablée comme une Arabe en France".
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MAJ
* Cette personne est décédée.
** Le fils de Nadine Morano est décédé le 23 juillet 2024.
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1 Carolin Emcke, Contre la haine. Plaidoyer pour l’impur, Ed. Seuil, 2020
2 https://polemetropole.bm-lyon.fr/wp-content/uploads/2019/05/biblioth%C3%A8que-vivante.pdf
3 https://www.lagazettedemontpellier.fr/live/64b792e46a66f722b40f186f/violences-urbaines-1278-jugements-prononces-dont-95-de-condamnations
4 https://www.revolutionpermanente.fr/Recits-Les-juges-humilient-et-condamnent-par-centaine-des-jeunes-interpelles-pendant-les-revoltes