Jeudi 24 avril, à Nantes, on a appris avec effroi l'attaque au couteau d'un adolescent sur quatre de ses camarades au lycée privé Notre-Dame-de-Toutes-Aides. Une lycéenne est décédée des suites de ses blessures, trois autres sont blessé.es, dont au moins un.e dans un état critique.
ll semblerait que l'auteur des faits soit fasciné par les théories nazies, et qu'il était dans des groupes néonazis sur les réseaux sociaux.
(Mais il a été déclaré inapte à la garde à vue par un psychiatre et a donc été transféré à l'hôpital, et on ne sait pas encore si, à terme, il sera jugé.)
(Évidemment les politiques qui se sont rendu.es sur place répondent sécurité, alors que l'état de santé psychique de la jeunesse est plus qu'alarmant et que la psychiatrie est sous perfusion - sans parler de l'état de l'éducation nationale, puisqu'il s'agit ici d'un lycée privé, mais il faudrait aussi le faire.)
Le même jour, on apprend par Streetpress et L’Humanité que Stanislas Laugier, fils du Directeur de la police Louis Laugier,
« fait partie de la Ligue Ligérienne, selon Streetpress. Ce groupuscule nationaliste-révolutionnaire, créé à Nantes en 2020 après la dissolution de Bastion Social, organise notamment des maraudes pour "les Français de souche" et des entraînements de boxe. »
« Stanislas Laugier n’est pas qu’un simple membre de ce groupe se présentant comme "patriote et catholique" : il l’a cofondé en 2020, un an après la dissolution du mouvement Bastion Social pour "provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence", et a fourni un local à la Ligue dès sa fondation, selon le média en ligne. »
L'extrême droite est certes en train de défaire ses valises un peu partout en France, en Europe et plus généralement dans le monde occidental/blanc.
Mais je m'interroge sur ces faits dans le contexte des Pays de Loire, en particulier au regard de l'influence que la très catholique et royaliste famille De Villiers me semble y exercer, à travers Le Puy du Fou, parc d’attractions fondé en 1989 par Philippe de Villiers.
> Le Pass Culture, supprimé partout en France, a été accordé au Puy du Fou, sous la pression des député.es RN.
Or, d'une part les parcs d'attraction ne sont normalement pas éligibles à ce dispositif (on nous dira que ce n'est pas le parc lui-même mais la Cinéscénie, donc uniquement le spectacle, qui est une structure/comptabilité séparée, mais ça ne change pas grand chose au fond de l’affaire).
D'autre part, le Puy du Fou présente une version réactionnaire et révisionniste de l'histoire vendéenne, alimentée par l'idéologie raciste de Philippe de Villiers.
Il y a de nombreux articles à ce sujet, notamment chez Mediacités Nantes.
Un très bon Complément d'enquête lui est aussi consacré, dans lequel on découvre d’ailleurs de quelle façon le Puy du Fou s’ingère dans les politiques régionales en matière d'aménagement du territoire.
Étant donné le poids économique de la structure dans la région, on peut imaginer que l’espace de négociation est tendu, voire déséquilibré.
> Le sabrage teinté d'excès de zèle du budget de la région opéré par sa présidente, l'ex-LR devenue Horizons Christelle Morançais (100 millions d'économies quand 30 lui étaient demandés) et dont il a déjà beaucoup été question (et paradoxalement pas assez) :
- 73% pour la culture
- 74% pour le sport
- 90 % pour l’égalité femmes-hommes (ce qui inclut notamment le Planning familial et l'ensemble des associations de lutte contre les violences sexuelles)
- 100 % pour la vie associative
Etc.
On se rappelle aussi que l'actuel ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, originaire de la région, est un ancien proche de Philippe de Villiers, qui l'avait adoubé.
> Et il y a désormais le projet “Concorde”, décrypté en décembre 2024 par la CNT Nantes : une association "culturelle" co-fondée par un élu LR/Horizon (comme la présidente de région), lui-même en place à la culture et au patrimoine, et par un proche du très fortuné Pierre-Edouard Stérin, catholique intégriste à l'origine du projet Périclès, ce plan de "bataille culturelle" comme il est présenté, pour installer le Rassemblement National au pouvoir.
« Le but de Concorde : “offrir aux jeunes des perspectives d’avenir enthousiasmantes, leur ouvrir de nouveaux horizons, bâtis sur des fondations solides : l’unité et l’espérance !”, à travers un projet sur l’histoire destiné aux lycéens : “Passeurs de Mémoire”. Car l’histoire enseignée au lycée ne convient pas ? Quelle insulte pour les professeurs qui enseignent l’histoire par la méthode scientifique et critique ! »
Plus loin :
« Le but est de créer une cohésion sociale à partir d’une vision positive de l’histoire basée sur les héros, le rayonnement de la France, l’innovation et l’idée que les lendemains seront toujours meilleurs : “un positivisme qui fait du bien au cœur” dit l’adjoint de direction du lycée. Le roman nationaliste du XIXe siècle façon start-up nation… manquerait plus que l’intervention ait été financée par les subventions régionales de 30 millions d’euros annuelle données aux lycées privés… »
Singuliers échos chez Bruno Retailleau, en février dernier, et en prime time sur LCI, à travers une story Instagram que j’emprunte à la chercheuse et militante antifasciste Marie Coquille-Chambel :

Agrandissement : Illustration 1

En janvier de cette année, le média Contre Attaque (ex Nantes Révoltée) écrit dans un post Instagram :
« Sous [le règne de Christelle Morançais], la région n'a pas hésité à financer un film royaliste produit par le Puy-du-fou, ni à lui débloquer près de 7.000€ de revenu mensuel, ce qui en fait la présidente de région la mieux payée de France. Ni même à défrayer 40.000€ d’argent public entre 2021 et 2023 pour les frais de déplacement de Madame Morançais, pourtant enrichie par une carrière dans l'immobilier. »
(D'ailleurs, les fonds régionaux pour la création audiovisuelle en Pays de Loire sont beaucoup plus facilement attribués aux projets documentaires qu'à ceux de fiction, et aux documentaires à tendance patrimoniale plus que sociale ; en gros on aura moins de mal à faire financer un projet sur la route des vins que sur le trafic de drogue place du Commerce à Nantes.)
Contre Attaque poursuit :
« La région, qui n’est pas à une provocation près, soutient aussi l’association "La nuit du bien commun", une association financée par le milliardaire d’extrême droite Pierre Stérin, qui fait des interventions "d’éducation à la sexualité" sous un angle religieux et réactionnaire dans les lycées catholiques de la région. »
On a donc, en effet, une idée un peu plus précise, de ce à quoi ressemble "la culture de Morançais" comme le dit l’article de la CNT Nantes, alors que les budgets viennent d’en être saignés :
« renoncer à mener une politique publique sociale de la culture et du patrimoine au profit du mécénat, de la privatisation et de l’abandon total de la culture et des associations aux mains des capitalistes et de l’extrême droite. »
Mais aussi une (re)mise au pas des jeunes, dont il s’agit de (re)faire de bon.nes petit.es soldat.es dociles de la nation, du capital, et du patriarcat qui leur sert de pilier.
Ce n’est pas pour rien que, concernant cet attentat qu’il ne nomme pas, Bruno Retailleau a déclaré :
« Nous sommes dans une société qui a encouragé le laxisme, qui a voulu déconstruire les interdits, les hiérarchies et qui a accouché finalement de toute cette violence. »
Obsédé par l’ordre, Bruno Retailleau voudrait qu’il n’y ait que des Bétharram − pour les enfants et les adolescents qu’il considère bien français de souche − à la fois pour l’éducation par la violence, c’est-à-dire le dressage, et pour l’endoctrinement catholique − masculiniste et suprémaciste.
Pas pour rien non plus, la surenchère de mesures répressives à l’égard de la jeunesse − des quartiers − entre Gabriel Attal, Eric Dupond-Moretti et lui, récemment rejoints par Elisabeth Borne et François Bayrou.
Nostalgique de la colonisation, Bruno Retailleau l’est aussi d’un Occident conquérant, chrétien et blanc, ce qui va ensemble.
Capitalisme, colonialisme, fascisme et Église font bon ménage.
Et au vu de l’étroitesse des liens financiers et idéologiques entre pouvoirs publics et influenceurs privés d'extrême droite, catholiques, intégristes et racistes dans la région, il y a certainement des questions à se poser sur l'attaque de jeudi.
Dans un lycée catholique privé.
*
Ce qui se joue en Pays de Loire peut, je crois, rendre compte de ce qui se joue à échelle nationale, et peut donc s'étendre ailleurs qu'à cette seule région.
Ce sont des pistes de réflexion, pas une analyse aboutie à ce stade.
Concernant le projet Périclès, on trouvera des articles précis dans L'Humanité et chez Mediapart.
J'ai peu développé l'aspect santé mentale des jeunes personnes qui est pourtant au cœur de cet événement, mais c'est un vrai sujet, et c'est celui dont les politiques ne se saisissent pas.
Aujourd'hui en France, l'enfance est maltraitée.
Et l'extrême droitisation en question ici n'y est pas étrangère.

Agrandissement : Illustration 2


Agrandissement : Illustration 3

Je n'ai pas non plus développé la probable implication de l'idéologie dite "incel" dans le passage à l'acte de cet adolescent, et il le faudra si elle est confirmée ; mais le fascisme lui non plus n'y est pas étranger.
Alors pour finir sur une note d'espoir, cette captation d'une visite de Christelle Morançais au lycée de Bellevue, à Angers, le 14 janvier dernier...
CHRISTELLE MORANÇAIS CHAHUTÉE DANS UN LYCÉE DU MANS
— Contre Attaque (@ContreAttaque_) January 16, 2025
«La jeunesse emmerde, Christelle Morançais !» C'est ainsi qu'a été accueillie la présidente de la Région Pays-de-la-Loire, le 14 janvier, au Mans.
1/2 pic.twitter.com/Z6f7sgQ6eD