Réponse à Didier Julienne,
Je m'adresse à M. Julienne, qui est "conseil" et"stratège des ressources naturelles et intervient dans l’industrie, la finance et auprès de gouvernements". (Les Echos), à propos des articles ci-dessus (voir liens).
Je trouve votre article très intéressant et opportun , en ces temps de Cop 26.
J’y vois cependant quelques écueils et je vous prie de trouver dans mes remarques quelques petits points critiques qui permettront peut être d’aborder ce sujet d’un point de vue historique et politique. Mais vous verrez que je suis assez d’accord avec vous, ne répétons pas les erreurs de l’ancien régime !
La première remarque se situe « du côté des rapports entre la propriété foncière et l’Etat » avant l’époque moderne.
Si on utilise un raisonnement circulaire, on peut dire que ces rapports ont mené à la naissance d’un capitalisme vu comme soit un ensemble de choses (par réification), soit une série de dispositions subjectives (par personnification) mais dans tout les cas, ce rapport néglige le rapport social qui lui confère la capacité de se valoriser. Les Temps Modernes sont le moment où la loi de la valeur devient
« le mécanisme général englobant l’ensemble des activités socio-économiques ainsi que leur déterminant régulateur ».(Bihr).La prédominance de la loi de la valeur a des effets sur l’organisation sociale : « Les rapports entre les producteurs revêtent normalement une forme contractuelle [et] les personnes prennent la forme de sujets juridiques »(Birh)
" l’État tend à revêtir la forme de pouvoir public impersonnel, d’État de droit, en devenant lui aussi en définitive un sujet juridique, fétichisé à ce titre également ». Telle est la « conséquence lointaine de la prédominance de la valeur comme forme et médiation sociales,la richesse devient la condition de la puissance politique, alors qu’elle était « le fruit de la puissance politique » dans les modes de production précapitalistes" (Birh)
La deuxième remarque concerne l’héritage « révolutionnaire » du code de 1810
Tout d’abord, vous ne parlez pas des 4 arrêts de 1744, ni du contexte de guerres en Europe et votre « vue » de la révolution française semble un pur fantasme:
En 1763 s’achève la guerre de Sept Ans, durant laquelle la Grande-Bretagne a confirmé sa constante supériorité navale et au terme de laquelle elle inflige une lourde défaite à la France, en lui faisant perdre sa colonie québécoise et en réduisant à presque rien son implantation commerciale aux Indes.L’Angleterre a déjà entamé sa « révolution » industrielle. Elle entreprend de grands travaux de pompage dans les mines, ce qui permet d‘aller plus en profondeur, elle utilise le cheval-vapeur et valorise l’exploitation des sous-sols en la complétant par les ateliers de briques, du verre, etc..
La France, même napoléonienne, peine à aller au même rythme, pour plusieurs raisons structurelles et historiques.
La troisième remarque est la suivante : peut être confondons-nous toujours intérêt général (abolition des privilèges) et lois privés (création de valeur dans le but d’accumuler de la richesse, puis le fameux ruissellement)
L’arrêt de 1744, ou plutôt les arrêts puisque « il y en a 4 dont rendus sous l’influence de Trudaine" supprimait la liberté indéfinie laissée jusqu’alors aux propriétaires du sol de fouiller leurs fonds et d’y exploiter des mines de « charbon de terre » sans aucune autorisation préalablement -et créait le régime des permissions ou concessions.
L’arrêt de 1744 stipule la primauté de l’État garant de l’intérêt général : il s’agit de « régler la destination de la propriété souterraine » au bénéfice « des personnes qui peuvent le mieux la mettre en valeur », de « surveiller l’exploitation dans ses rapports avec l’ordre public, avec la conservation du sol, et avec la sûreté des ouvriers mineurs », de « percevoir un certain tribut sur les produits obtenus par l’exploitant ». Ces propriétaires n’ont pas encore pris l’habitude de s’organiser en grandes compagnies financières qui leur permettraient d’exploiter les tréfonds de leurs propriétés et n’ont pas les moyens de se confronter aux nouvelles règles. C’est la nécessité qui fera évoluer les choses et non pas un principe juridique. La concurrence anglaise est très forte, mais les propriétaires sont également hostiles au droit régalien,car il permet à d ‘autres d’exploiter le tréfonds de leurs terres.
On retrouve ce principe dans la loi de 1810, désigné sous le nom de droit régalien. Mais que se passe-t-il entre les deux dates ? C’est ce que vous ne dites pas.
Les cahiers de doléances de certaines provinces demandent l’abolition des concessions.Ce que l’on appelle le privilège de Saint-Étienne favorise le repliement sur soi.
L’exploitation des houillères stéphanoises se calque sur l’exploration rurale et réfute le droit régalien, de même dans le Forez. Les cahiers de doléances de ces provinces demandent l’abolition des concessions.
Les cahiers de doléances critiquent les « privilèges exclusifs » et demandent leur suppression. L’Essai sur les privilèges, publié en fin d’année 1788 par l’abbé Sieyès, touche en son point nodal l’ancienne société et discrédite l’usage de l’expression « privilège ».
Alors, la Révolution a -telle aboli ces privilèges ? La Révolution bouleverse les conditions du débat sur la propriété du sous-sol et sur la liberté d’en jouir. Rompant avec le système des privilèges, la loi du 28 juillet 1791 inspirée par Mirabeau, substitue à l’arbitraire du « privilège exclusif d’exploiter » le principe que « les mines et les minières sont à la disposition de la nation ». Leur exploitation exige désormais une permission préalable ou concession. Dans les faits, le droit d’exploitation est remis aux propriétaires de la surface, ce droit ne leur étant retiré que s’ils ne veulent ou ne peuvent exploiter.
Plus que cette loi, les évènements affectent les conditions de l’exploitation. Dans le Nord, dès les premières années de la Révolution, et plus encore avec la guerre et l’invasion, commence pour les mines une période de crise. La vente des biens du clergé et la loi sur l’abolition des privilèges permettent à la Compagnie d’Anzin de poursuivre l’exploitation de ses concessions selon l’ancienne règle, mais elle permet aussi à la compagnie d’acheter des biens nationaux pour acquérir de surfaces enclavées, lui permettant d’étendre sa propriété. Très vite, c’est difficile à gérer, car les actionnaires potentiels sont partis à l’étranger- La compagnie s’endette , la région est pillée et la troupe s’en mêle. On note les mêmes problèmes dans la Loire ( 1794) :les archives sont pillées, comme par exemple à Rive-de-Gier : « Les registres de Rive-de-Gier sont brûlés sur l’ordre du représentant Javogues : « vous avez été longuement opprimés par une Compagnie de brigands, qui vous volaient impunément », écrit-il à la municipalité le 22 septembre 1793 *
Le sujet est très conflictuel et les archives sont encore là pour le prouver même si beaucoup d’entre elles ont disparu-
Dans le contexte politique des années 1790 et de la préparation de la loi de 1810, certaines grandes personnalités ont incontestablement minoré la portée des efforts de la réglementation de 1744 et de 1783.
La loi de 1810 fonde le droit minier en France. Elle accorde un véritable droit de propriété sur le tréfonds minéral au bénéfice du concessionnaire et organise la tutelle administrative de l’industrie minière et sidérurgique. Une opposition trop tranchée entre l’avant et l’après 1810 ne permet pas de comprendre le processus de changement d’une part, et la continuité des efforts d’autre part, pour achever ce qui a été commencé en 1744-
Il faudra attendre l’Empire ( je vous rappelle que,d’après Napoléon 1er, la révolution française s’arrête le 25 décembre 1799) et une conjoncture répressive intense pour que cette réforme soit consolidée.
À partir de 1810, avec la préférence souveraine du gouvernement dans le choix du concessionnaire – cette disposition est essentielle – l’administration peut sélectionner parmi les différents demandeurs le groupe d’associés ou la personne qui lui semble le plus apte à réussir l’exploitation.
La loi de 1810 attribue à tout concessionnaire, relativement au tréfonds, un titre de propriété incommutable, que ne reconnaissait pas l’arrêt de 1744. En dépit de cette différence importante, la loi de 1810 est bien plus l’héritière des quatre arrêts de l’Ancien Régime cités que de celle du 28 juillet 1791, dès lors que le principe d’égalité des droits de la déclaration des droits de l’homme et l’instauration du nouveau Conseil d’État tendent à diminuer le risque d’arbitraire.(ce qui n’est pas dans le droit chemin de l’abolition des privilèges : car on est forcément arbitraire quand on abolit les privilèges – ou lois privées) Ainsi, peut être confondons-nous toujours intérêt général
( abolition des privilèges ) et lois privés (création de valeur dans le but d’accumuler de la richesse, puis le fameux ruissellement)
En ce qui concerne l’exploitation fantasmée de que vous avez de l’exploitation de l’or au états-unis, je dis que les petits concessionnaires mythifiés ont presque tous perdu santé et argent au bénéfice des monopoles qui ont récupéré le fruit de leurs recherches dès la fin du XIXᵉ siècle pour fonder des grandes compagnies minières et leurs juniors spéculatives
sources
Alain Birh (Le Premier âge du capitalisme, tome 1à 3)
Documents pour l’histoire des techinques (open éditions journal)