Début d'année 2024.. Je ne pensais pas que cette guerre allait durer si longtemps. Je pense à la prof de russe de ma fille, mariée à un Ukrainien et dont la vie à basculer un 24 février.
Début d'année 2024, je ne pensais pas que ce massacre allait durer aussi longtemps. Je pense à ma fille qui aimerait continuer à donner des cours de français à une petite fille à Gaza et qui aimerait partir au Liban cet été pour voir son amoureux..
Nous sommes le monde, nous sommes le peuple. Chaque vie compte. L'homme loin n'existe pas, le barbare n'existe pas. Aujourd'hui, nous parlons tous la même langue, celle de l'exil, celle des corps qui flottent dans l'eau de nos océans et de nos mers, celles des femmes et des enfants qui souffrent.
Nous savons ce que c'est qu'une urgence qui flanche,un humain "non-essentiel", nous savons ce que c'est que d'être enfermés, nous avons tous vécu,même de manière douce, le confinement et l'arbitraire. Nous avons tous eu un avant-gout de la répression. Pendant la période Covid, j'entendais Macron parler de résilience, de choc et de guerre et je nous imaginais prenant des coups, comme des carrosseries de voiture sous les marteaux de professionnels testant notre capacité à résister aux chocs.
Partout, la répression peut s'installer.
Les normes sautent, tous les garde-fous dégringolent. Le recours au droit, le droit sans lequel il n'y aurait pas d'état de droit, fait hausser les épaules à la plupart des résiliés,des barrés de la liste du grand soir, des choqués. Il n'y aura plus de matins qui chantent. Il n'y aura plus de coup de marteau sur la table en bois de la femme ou de l'homme de droit, il n'y a plus que le marteau sur nos corps meurtris.
Qui dira "coupable "?
A l'université, on m'a appris à lire Grotius, "Le plus fort n'a pas tous les droits ", disait ce monsieur. Il écrivait des grands traités sur la mer et les océans, sur la guerre.. Il disait que les règles normatives n'émanaient pas de dieu mais du caractère sociable de la nature humaine.
A l'université, on m'a appris à lire Pufendorf, un protestant qui protestait contre l'essentialisme et la présence de dieu dans le droit. Le droit permet la conservation de la vie.
Mais j'ai aussi appris, parallèlement, l'existence des marchés, des villes-franches et du droit de la mer et du commerce.
Et puis on m’a dit que les peuples avaient le droit de prendre leur destin en main: c’était comme une espèce de transaction. Il fallait choisir une forme de gouvernance civilisée, sortir des castes et des traditions, s'ouvrir en monde des marchés, en contrepartie, les peuples obtenaient le droit de ne plus être gouvernés par des colonisateurs: tout le monde s'est mis à parler les mêmes langues, l'espagnol, le portugais, le français, l'anglais.. et on a écrit des grands textes pour dire que tous, tous, avaient donc le droit à la vie.
Aujourd'hui soyons clairs, la plupart des gens sont ébahis face un trou de nature vide, face à des arbres qui tombent sous les hurlements des machines, les gens regardent leurs landes tomber en lambeaux, leurs îles disparaître; d'autres attendent leur tour dans l'anxiété,certains pleurent sous des pluies de bombes et certains crient et réclament le droit.. Il faut des années pour qu'une oreille se tente, encore des années pour qu'un œil vienne constater, encore des années pour que le marteau du droit s'abatte, quand il n'est pas arrêté en plein vol par d'autres intérêts que celui, pourtant suprême, des peuples. Alors, de traités en trêves, de pourparlers en conférences, on distille des évidences, on égraine une à une comme des mantras ou des prières des résolutions non tenues, des promesses qui n'engagent pas ceux qui les font mais qui soutiennent leurs intérêts. L'état-nation a créé l'intérêt national. On aurait dû créer l'Etat-de- droit des peuples, pas l'état-nation, car ce dernier soumet avant tout les gens aux lois du grand marché, celui des épices et des étoffes, celui de la captation et, si les peuples ne s'y plient pas,leur état sera détruit, miné, exploité, occupé, annexé, mutilé.
Mais des pas forment des chemins, des chemins sur lesquels ont trouvent les balises de la fraternité, les lignes de résistances,les lignes de vie.Les balises sont dans toutes les langues, les lignes sont usées par tant de mains, les pas sur la route ont laissé des empreintes. Et le chemin devient le pays.
On trouve souvent un bout de ce chemin dans l’exil, quand il faut fuir, quitter les espaces bourgeois pour confronter son âme à la puissance d’un poème ou d’un coup de pinceau, s’inventer un passé, un présent et peut-être un futur. Quand il faut quitter les anciennes villes franches de l’Allemagne, qui sont devenues noires et brunes, prétendre qu’on est un autre, s’affranchir de ce qu’on a voulu nous cacher, comme Peter Weiss apprendre une autre langue, ou bien sur le chemin de l’enfermement dans une « zone de résidence » comme Aaron Lieberman dont on parle bien moins que de Theodor Herlz. Choisir une langue, un espace à défricher où chaque mot émancipe des carcans bourgeois et se pose comme un pavé sur la route qui se forme, laisser derrière soi les villages brulés de son Anatolie, comme Pater et Mater, enfants d’Arménie, pour tenter de s’assoir enfin, pour reposer ses pieds fatigués par la longue marche.
J’entends sur ce chemin l’écho de ce passé, mais aussi les pas des syndicalistes ukrainiens de 2024 qui luttent contre la casse du système social de leur pays. La guerre ouvre la porte au néolibéralisme et les peuples ne sont pas dupes. « Notre solidarité vient d’un sentiment de colère face à l’injustice, et d’une profonde douleur de connaitre les effets dévastateurs de l’occupation, du bombardement des infrastructures civiles et du blocus humanitaire ». Dès novembre 2023 les gens d’Ukraine voient les gens de Gaza pour ce qu’ils sont : des égaux dans l’oppression qui réclament justice.
Justice sociale, justice humaine, c’est tout. Dieu attendra -
J’entends sur ce chemin le poème de Tali, militant-e israélienne qui chaque jour pose ses pas sur les pavés de ce chemin de résistance. J’entends sur ce chemin le bruissement des mots de Gaza-La-Vie et des femmes qui crient.
Et comme un Talon de Fer sur ce chemin du passé, du présent et du futur,nous porterons les armes de la résistance à chaque pas, à chaque souffle, dans l’universel écho de la justice sociale nous porterons chacun notre petit bout de lutte. Les armes seront les mots, les pas sur la route, les poèmes qui bruissent dans le vent...