Mal m’en prend de grogner : le gros micro de France 2 se tend, « qu’est-ce que vous avez voulu dire, avec votre pancarte ? »
Figée les yeux carrés et la bouche qui bée, je mets un peu de temps à me cacher derrière.
Immersion dans une marée humaine, encore plus impressionnante qu’au plus fort des manifestations contre la retraite à 64 ans.
Un fou rire, « le grand soulagement : remplacer Macron par de petites pelures de clémentine. »
Les pas de danse sur les batucadas. Accorder son pas à celui de sa copaine de parole.
1, 2, 3, 1-2, 3, 1-2, 3, ponctuer le nécessaire Siamo tutti antifascisti à des milliers de mains fois deux.
La manifestation, une école du rythme, une respiration. Prendre le pouls des potes et de la rue, et redonner du sens au sien.
Un sourire, « Je ne sais plus contre quoi manifester tellement vous merdez ! »
Vers 16h, les premières détonations. Rester hagard, déjà, on était bien, pourtant.
Rebrousser chemin, l’immense vigne se délaisse de ses grappes, par les côtés. On n’occupe plus la rue, mais juste ses marges, en traînant un peu. Deux trois photos, ils sont tellement beaux, les gens, à continuer de remplir le Pont des Catalans.
« Vol en bande organisée, révolte pour les canaliser »
Et la jeunesse est là, à scander « plus chauds, plus chaud, plus chaud qu’les lacrymos »
Quelqu’un distribue des masques au-delà de la banderole : l’Insa : « grève, blocage, chargez ». « Pour les travailleur-euse-s, contre Macron et la militarisation »
Sur les plaques de liège qui protège la BNP, « gouvernement de banquiers »
Des employés nettoient déjà un tag « Free Palestine » sur un rideau de fer. Ya des huées derrière, pas de protection policière. Dans le cortège, un gamin est en train de porter une pancarte « pas une guerre mais un génocide » La précision des mots n’empêche nullement le risque de leur effacement.
Vers 17h, une fois évité les voitures bloquées qui escaladaient des rebords pour manger la piste cyclable, je tombe sur la fin du parcours, la place Saint-Cyprien, défaite.
Gorge qui gratte et yeux qui piquent, instantanément. « Mais qu’est-ce qu’il se passe ? », entendis-je sur le côté. « Ils gazent la nasse sans discontinuer depuis tout à l’heure », lui répondit-on. Je repense à cette ribambelle de gens qui continuaient d’arriver, aux si nombreux jeunes, au monsieur lourdement handicapé poussé par une dame dans un fauteuil allongé, au gamin avec sa pancarte. Je leur souhaite d’être rentrés.
Au milieu du gaz, un gamin en vélo ne semble pas comprendre pourquoi ses copains copines l’empêchent avec véhémence de rentrer chez lui et de passer par ce côté, le côté gazé, le côté cassé.
"L'argent fuit, le peuple subit", avec "Zucman" dans un cœur.
Taxer les 1800 Français les plus riches (qui échappent davantage à l'impôt) à 2% pour rétablir un niveau d'imposition équivalent rapporterait 20 milliards.
Ils représentent la population de mon bled natal.
Les forces de l'ordre réquisitionnées pour défendre leurs intérêts ? 80 000.
Plus nombreux que les habitant.es de la Lozère, à se prendre les gaz, aussi. Sans pouvoir raccompagner le gamin à vélo chez lui en toute sécurité.
Je ne regarde pas et je pédale droit, je ne vais pas chercher à comprendre, moi non plus.
Je suis vivante comme un peuple et je compte bien le rester.
"Je panse
tu penses
ils dé-pensent
à la masse
ils amassent
Qui compense ?"
"De l'argent pour les services publics, pas pour la guerre"