Zoé était arrivée depuis 2 mois dans sa famille adoptive française du sud de la France. Abandonnée à sa naissance par des parents biologiques, Zoé avait partagé ses cinq premières années avec cinquante autres enfants et deux américaines dans une institution de son pays. Adopter c'est bien, se faire adopter et adopter ses parents c'est autre chose.
A cinq ans, Zoé débarque dans la famille et l 'écueil de la langue émerge très vite. Zoé a beaucoup de boulot sur la planche savonnee de ses journées. Entre le passé à digérer, le présent à découvrir, et le futur à avoir peine à s'imaginer, Zoé ne chôme pas. Surtout que, cerise sur le gâteau, sa grande soeur adoptée à l'age de 16 mois a tissé de fortes relations avec ses parents adoptifs qu'elle a éduqué à devenir parents, ses parents.
Oui mais elle, Zoé n'est plus un bébé cadum devant lequel il se balbutie des "areuh, areuh, fais risette à maman". Elle a cinq ans et tout le monde s'accorde à penser que ses activités doivent être celles d'une enfant de 5 ans! Comment leur dire que si j'ai cinq ans, je n'ai que 60 jours de vie commune avec eux, c'est dur de voir mes parents me découvrir, s'interroger sur moi, me comparer avec la grande soeur, poser sur moi des regards perplexes".
Ses yeux scrutaient, observaient ce nouveau monde bien fermé d'une famille dans un appartement. Elle partageait sa chambre avec sa grande soeur. Un lit superposé allait faire son affaire. Maline, Zoé avait appris à l'être à l'orphelinat. "Marche ou crève" résument assez bien la seule devise qu'elle puisse s'être forgée dans ce bas monde impitoyable.
"Zoé a écrit sur les murs de sa chambre". On était bien avec Mimi. "Zoé a écrit sur les murs" avait envahi la place publique, les bureaux de l'entreprise du papa. Zoé devenait un problème. Quand un collègue de bureau conseilla derrière son bureau au café de mettre dès ce soir Zoé au coin, en lui expliquant les interdits, en tentant de lui faire effacer la trace sur le mur.
Sitôt rentré du travail, ce fut fait. Tête baissée, bouche tordue, yeux tristes, pieds impatients le corps de Zoé fut mis au coin, après avoir vainement essayé de laver la trace sur le mur. On ne fait pas ça lorsqu'on a cinq ans, c'est compris? Entendu par des oreilles ces mots parvenaient au coeur brisé de cette petite fille au corps si fluet. Les crayons furent confisqués.
La crise étant installée dans cette famille, des visites bienveillantes au domicile se proposeront. Un soutien était nécessaire. Les parents montraient le lieu du délit. En entrant dans la chambre des filles, un énorme cœur dessiné au feutre vert sur le mur face à la porte, se laissait admirer sur les murs blancs. Un cœur aussi grand que Zoé, fait par Zoé, dans une symétrie presque parfaite, les contours nets.
Elle a tracé un coeur, un coeur pour vous dire qu'elle vous aime, un cœur pour vous dire qu'elle vous a adoptés. Eh les adultes réveillez vous! Rassurez-vous, Zoé vous dit qu'elle vous aime tous. Pas de panique à bord, on ne s'adopte pas du jour au lendemain dans toute communauté humaine et animale. On s'observe d'abord. Rendez lui ses crayons, c'est un langage au bout de la mine. Ce n'est pas une bombe, ni un terroir à silicose cette mine là.
Zoé avait dessiné un très grand coeur sur le mur, les feuilles de brouillon sont trop petites pour son coeur tellement rempli de bonnes intentions pour vous. Patience et sagesse. Et puis sur les murs, ça restera un bon moment. J'y suis, j'y reste, je m'impose. Zoé a gagné, on parlera longtemps dans les chaumières de ces écrits qui laissent des traces dans les coeurs. Bourreau des cœurs à cinq ans !
Marie-Pierre SAJUS
Épilogue : quelques temps après l'épisode du coeur sur les murs, le papa a offert à Zoé, des crayons de couleur. Zoé a mis directement la boîte de crayons à la poubelle. Sans parole.