Depuis qu'il avait pris sa retraite, notre chanoine s'installait durant l'année alternativement chez ses deux nièces. Il avait coupé la poire en deux, et été et hiver rythmaient ses séjours. La fillette, une petite niece, observait du coin de l'oeil cette grande baraque et le mystère qui planait et l'enveloppait. De tout temps, la complicité présidait entre eux, et elle fut la seule petite enfant de la famille à oser taper à sa porte au fin fond d'un long, long couloir et à s'installer sur ses genoux pour les pourquoi et les comment. En 2016, un prêtre m'a murmuré "vous avez du être importante pour lui".
La chambre avait une ambiance, le temps y semblait arrêté ou plutôt grave . L'espace était grand et vaste, son lit sobre, son bureau plaqué contre un mur était somme toute très simple et l'objet précieux était délicatement posé sur un buvard vert. Un beau stylo encre, avec une plume en or. C'était l'instrument indispensable à la correspondance hivernale, lorsque Tonton serait en hibernation au chaud chez son autre nièce. Il était de tous les offices, de tous les sacrements familiaux et sa parole était d'évangile avec un petit "e" pour une petite fille. On était en paix entre ses mains, en buvant ses rares paroles, en lisant ses lettres. Ça allait bien à la fillette qui appréciait le rapprochement de leurs vies.
Quand un jour, et ce après plusieurs observations, la fillette constata que le stylo n'avait pas bougé de place. Il semblait abandonné à son sort. Force était de constater que son usage n'était plus à l'ordre du jour. Humble et simple, il n'aurait jamais demandé ni accepté de le faire réparer. La fillette subtilisa le stylo encre cassé pour le confier à sa mère qui en grand secret était chargée de l'emmener chez le réparateur de la ville. Une fois réparé, le stylo fut remis en place, incognito. C'était sans compter sur la sagacité de ce vieil homme qui s'était aperçu de la disparition de l'objet précieux et remercia la petite "espiègle"comme il l'écrira plus tard, qui avait fait le coup.
Le stylo reprit sa vie de stylo et toute plume dehors il gratta le papier blanc pour sa prose quotidienne dont il gratifiait son entourage. Le visitant dans sa maison de retraite pour prêtre, quelques années plus tard, la jeune fille toujours cherchait toujours du regard ce beau stylo encre qui l'accompagnait dans tous ses déplacements. Un petit sourire dans ses yeux. C'était LE stylo qui reliait le vieil homme et la fillette. Ecrire pour toujours donner le réconfort du coeur et l'espérance. Au passage, ne pas oublier dans ses prières la santé de la tante machin, du filleul untel. Il était la première plateforme sociale de notre famille.
Si sa voix s'est envolée, ses lettres restent à tout jamais le lien pour retrouver la plénitude et la sérénité qui se dégageaient de cet homme pas comme les autres mais réconfortant les coeurs et les affermissant en tout ce que vous pouvez faire et dire de bien. Il donnait l'impression apaisante que le mal n'avait pas de prise sur lui, les moqueurs et les médisants ne l'atteignant pas. Jamais un mot critique, Il devait prier Dieu ou alors répondait-il directement à Dieu en shuntant l'homme de chair mauvais. J'admirais et prenais de la graine pour semer lorsque le moment viendrait. Ce qui est fait.
Au bout de sa plume, une toute petite plume pacifique, dans le sillage de laquelle s'échappe une encre noire. Quel miracle !
Marie-Pierre SAJUS
Le 26 août 2016