« Le simulacre n’est jamais ce qui cache la vérité, c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas. Le simulacre est vrai. » écrivait Jean Baudrillard dans Simulacres et Simulation mais Baudrillard ne prêche ni le relativisme facile ni l’«irréalité du réel». Il pointe la précession des simulacres, lorsque les représentations (images, interfaces, flux de données) précèdent et organisent l’expérience. La guerre par drones, pilotée en FPV comme un jeu, est éprouvée d’abord par l’écran (viseur, flux vidéo, scoring), puis seulement ensuite par le terrain. Dans ce passage, la guerre se dématérialise (télé‑opération, capteurs, algorithmes, bonus), tandis que le monde, lui, se matérialise comme immatériel, l’infrastructure sensible de nos vies devient une infrastructure de signal (data, attention, réputation). Les faits récents l’illustrent, en Russie, des programmes et concours orientent des adolescents issus des “jeux” vers la conception et le pilotage de drones, en Ukraine, des mécanismes de récompense empruntent aux logiques de Roblox ou Fortnite. La gamification ne masque pas la violence, elle la formate.
Dès lors, comment penser juridiquement et politiquement une guerre devenue partiellement immatérielle “jouée” à distance sans dissoudre les catégories du droit (responsabilité, distinction, minorité, consentement), ni sacrifier l’exigence sociale sur l’autel d’un réarmement perpétuel ?
Pour y répondre, on montrera d’abord, comment la guerre‑plateforme recompose l’expérience et l’imaginaire du conflit, ensuite, comment le droit (IHL/DIH, protection de l’enfance) tente de re‑territorialiser l’«immatériel» et enfin comment en France, l’arbitrage social/militaire exige une politique du temps, de la preuve et de l’attention.
De la guerre‑spectacle à la guerre‑plateforme , écran, joystick, budgets de l’attention
La guerre ne s’approche plus de nous ,elle s’ouvre devant nous, dans la fenêtre d’un flux vidéo. En ce sens, la formule de Baudrillard sur la précession des simulacres l’image qui organise le réel plutôt que de le refléter dit quelque chose d’essentiel de l’ère FPV
(First‑Person View / vol en immersion (drones) ) , l’efficacité n’est plus d’abord un fait de terrain, mais un design d’interface (HUD, télémétrie, cadrage, retours capteurs) qui prescrit des gestes, hiérarchise des cibles, formate l’attention. La “vérité opérationnelle” se confond avec ce qui est visible, traçable, partageable, un artefact d’écran qui précède l’expérience et, souvent, la remplace dans la mémoire collective.
Ce basculement s’appuie sur une déterritorialisation inédite des opérateurs et des capteurs. Côté russe, des informations publiques relayées par TASS et reprises par Forbes évoquent des centres de contrôle d’unités FPV installés à des centaines de kilomètres du front, tandis que des démonstrations ou annonces techniques (système “Orbita”) vantent des liaisons sur de très longues distances, au moins en environnement de test. La Russie exhibe en parallèle des simulateurs anti‑drones développés dans des universités (SFU), signe que la préparation ne consiste plus seulement à manœuvrer des corps, mais à entraîner des regards reconnaître, anticiper, viser à l’intérieur d’environnements virtuels. Là encore, l’infrastructure dominante n’est pas la tôle ou le béton, c’est celle des signaux.
La gamification parachève ce régime de guerre‑plateforme. En Ukraine, le programme “Army of Drones” a officialisé une logique de points et de bonus modulables, on récompense différemment la destruction d’une pièce d’artillerie ou d’un véhicule en fonction des priorités stratégiques du moment, la grille de scoring devient un instrument de commandement aussi décisif que les ordres écrits. Time a documenté la manière dont Mykhailo Fedorov ajuste en temps réel la valeur des objectifs, des analyses académiques et juridiques ont, depuis, décrit cette “mathématique de la guerre” et interrogé sa compatibilité avec le droit des conflits armés. Autrement dit, la chaîne de décision prend la forme d’un jeu, mais ce jeu produit une violence bien réelle.
Face à cela, Moscou recrute en amont dans l’espace même du “jeu”. Une enquête du média d’investigation The Insider(relayée par The Guardian et le Kyiv Independent) a montré comment des compétitions et plateformes ludiques (jusqu’à des jeux apparemment inoffensifs) repèrent des adolescents, les orientent vers des concours scientifiques et des clubs où ils apprennent à concevoir, assembler ou tester des éléments de drones, certains enseignent même des procédures à des soldats adultes. À l’arrivée, des mineurs disent dissimuler l’usage militaire derrière une étiquette “civile”, ou participer à des tâches de production dans des usines duales. Que ces parcours soient hétérogènes et parfois fragmentaires ne change pas l’essentiel, l’orientation des compétences par la mécanique ludique devient un dispositif social de la guerre, brouillant les frontières entre loisirs, éducation et industrie de défense.
Ce déplacement sensoriel et affectif faire la guerre par l’interface a des effets psychiques ambivalents. Les témoignages d’opérateurs FPV en Ukraine, publiés dans des revues spécialisées, décrivent une cadence et une répétition épuisante, le flux sans cesse recommencé de vols, de corrections, d’impacts, d’annulations par brouillage, désenchanteautant qu’il fascine. La psychanalyse avait depuis longtemps un nom pour ce régime de séquences rejouées qui ne se laissent pas symboliser, la compulsion de répétition (Freud). L’interface peut désaffecter l’acte sur le moment, mais accroître la charge ultérieure par retour d’images, par les boucles de vérification et d’édition, par l’exposition publique des “kills” filmés. C’est une guerre de reprises, moins spectaculaire qu’on ne le croit, et souvent plus abrasive qu’une imagerie héroïque le laisserait penser.
On saisit ici la justesse de l’intuition de Baricco qui disait, ce que nous appelons “numérique” n’est pas seulement un parc d’objets, mais une insurrection mentale un nouveau mode de jeu avec le réel, fondé sur l’interactivité, la vitesse et la récompense. Le champ de bataille n’y échappe pas, les métriques d’engagement (nombre de séquences validées, durée de survie des drones, visibilité des tirs) orientent la décision au même titre que le relief, les stocks ou la météo. Dans cette économie, l’image n’est pas un épiphénomène, c’est une monnaie. Et l’on comprend comment la spectralité au sens derridien, ce qui hante, ce qui agit sans être pleinement présent gouverne désormais les perceptions de victoire et de défaite, on compte des vidéos, des preuves, des vues, des points, autant que des positions tenues.
Au fond, la guerre‑plateforme est un régime d’attention. Elle convertit le champ de bataille en écosystème d’événements traçables, où l’emporte ce qui laisse une trace exploitable (pour piloter, justifier, propagander). D’où l’illusion récurrente d’une “propreté” technique vite démentie par la friction électronique (brouillage, pertes radio), par la vulnérabilité des cellules et par l’attrition de matériel et de nerfs. Le contraste entre la fluidité de l’interface et la rugosité du terrain n’abolit pas la guerre, il la recompose. Et c’est précisément parce qu’elle se joue désormais parl’image, dans l’image et pour l’image qu’elle exige des contre‑pouvoirs qui ne soient pas seulement techniques, mais juridiques, règles de distinction, statuts des opérateurs, seuils de minorité, preuves. Reste à savoir si le droit des conflits armés, conçu pour qualifier des effets matériels, peut encore prendre la mesure d’une guerre dont la forme dominante est désormais celle d’un signal.
Quand le droit poursuit des ombres, responsabilité, minorité, distinction
Le droit n’a pas affaire à des images, mais à des effets, blessés, morts, destructions, terreur. C’est pourquoi, même lorsque la frappe est télé‑opérée et que la décision passe par un viseur et une télémétrie, le droit international humanitaire demeure imperturbable dans ses catégories, règle de base (obligation de distinguer entre civils et objectifs militaires), protection des civils et précautions dans l’attaque. Autrement dit, l’interface peut être ludique, la qualification reste matérielle , qui est visé ? quel risque pour les civils ? quelle preuve des précautions prises ? Le texte positif est limpide du Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève de 1949, dont les articles 48 ( Il impose de distinguer en tout temps entre civils et combattants, et entre biens de caractère civil et objectifs militaires ; seules les cibles militaires peuvent être attaquées.), 51 (Interdit notamment les attaques dirigées contre des civils ou les attaques indiscriminées. (51(3)) précise que les civils perdent leur protection « s’ils participent directement aux hostilités, et pendant la durée de cette participation ».), et 57 (Oblige ceux qui planifient/décident une attaque à prendre toutes les précautions pratiquement possibles, notamment , vérifier que la cible est un objectif militaire, choisir les moyens et méthodes pour éviter ou à défaut minimiser les pertes civiles, et annuler/suspendre l’attaque si le dommage civil attendu serait excessif.) sont cruciaux . L’Interprétation ICRC (International Committee of the Red Cross, en français CICR Comité international de la Croix‑Rouge)de la participation directe aux hostilités précise le fameux « for such time », un civil qui agit directement contre l’ennemi perd sa protection… le temps de cette action seulement. La guerre peut se jouer à l’écran, la licéité se joue dans les faits.
La question la plus vertigineuse posée par la guerre‑drone n’est pas tant celle de la distance que celle de la reddition. Le droit interdit le « no quarter » (art. 40 AP I(du Protocole additionnel I (1977) aux Conventions de Genève, applicable aux conflits armés internationaux.) ) et protège l’ennemi hors de combat (art. 41 AP I) , celui qui dépose les armes ou qui « doit être reconnu » comme tel ne peut plus être attaqué. Mais comment « se rendre » à une machine qui n’entend pas, ne parle pas et dont l’opérateur se trouve à des centaines de kilomètres ? Une doctrine nourrie par des praticiens du droit des conflits a montré que l’impossibilité technique n’abroge pas la norme, c’est au système (capteurs, liaisons, chaîne de commandement) d’intégrer des modalités de reconnaissance et l’attaque sur un hors de combat reste constitutive de crime de guerre (Statut de Rome, art. 8(2)(b)(vi)). En d’autres termes, si l’ennemi lève les mains face à un drone‑caméra, c’est l’ensemble de l’architecture socio‑technique qui porte le devoir de le voir
Cette matérialité juridique vaut aussi pour les opérateurs civils. Les plateformes de combat distribuées brouillent les statuts, techniciens, assembleurs, « pilotes » FPV ( First‑Person View / vol en immersion (drones) , pilotage via retour vidéo en direct (lunettes/masque). En Europe (catégorie « ouverte »), l’observateur visuel est requis pour maintenir la VLOS (drone en vue directe). )non‑militaires, data‑analystes… La grille du droit reste néanmoins opérante, un civil est protégé sauf pour le temps où il prend directement part aux hostilités, à l’inverse, cette participation directe l’expose pendant l’acte (et seulement pendant l’acte). Les débats actuels portent alors moins sur la lettre que sur la preuve, quels logs de télémétrie, quelles traces de commande, quelles lignes hiérarchiques permettent d’établir ce « for such time » ? S’y ajoutent des enjeux d’extraterritorialité (opérateurs en dehors du théâtre) et de cumul DIH(Droit international des droits de l’homme , ensemble des traités, coutumes et principes protégeant les droits fondamentaux (p.ex. Pactes de 1966, CEDH, etc.), mis en avant par l’ONU ) ) dans certaines zones grises du ciblage à distance. Mais là encore, la plateforme n’est pas une échappatoire, elle impose au contraire d’inventer une procédure probatoire à la hauteur de sa complexité.
Le seuil de minorité constitue un verrou normatif que la gamification ne doit pas fissurer. Le Protocole facultatif à la CDE (Convention relative aux droits de l’enfant (1989), traité onusien fixant les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de tout enfant (< 18 ans).)sur l’implication d’enfants dans les conflits armés (OPAC, un protocole facultatif à la CDE concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés (2000). Il éléve à 18 ans l’âge minimal pour la participation directe aux hostilités et encadre strictement le recrutement.) élève les exigences, interdiction de la conscriptiondes moins de 18 ans, relèvement des âges de recrutement volontaire, et obligation de prendre toutes les mesures possibles pour qu’aucun mineur de 18 ans ne prenne part directement aux hostilités. Fait déterminant pour l’actualité, la Fédération de Russie a ratifié l’OPAC (dépôt de l’instrument le 24 septembre 2008), assorti d’une déclaration sur l’accès à des établissements militaires avant 18 ans mais sans participation directe, ces engagements internationaux pèsent sur toute politique éducative ou industrielle qui rapprocherait des mineurs d’activités à finalité létale.
Le cœur « technique » de la réponse juridique tient enfin à l’article 36 d’AP I(Protocole additionnel I (1977) aux Conventions de Genève, applicable aux conflits armés internationaux), revoir tout nouveau moyen, arme ou méthode de guerre, en amont, pour vérifier sa conformité au droit (souffrances inutiles, proportionnalité, distinction, possibilité de reconnaître la reddition, etc.). Dans un monde d’autonomie croissante et de boucles humain‑machine, la pratique et la doctrine convergent, la revue juridique doit apprécier l’emploi « normal ou attendu », documenter la traçabilité des décisions et circonscrire des niveaux de contrôle humain. En clair, si l’on conçoit des systèmes qui frappent à partir d’images, il faut prouver ex ante qu’ils n’empêchent ni la distinction, ni la reddition, ni l’enquête ex post.
Parce que la guerre‑plateforme produit avant tout des traces numériques, l’épistémologie du droit devient une ingénierie de la preuve. La communauté internationale a posé un jalon avec le Berkeley Protocol, standards pour collecter, vérifier, conserver et présenter les preuves numériques ouvertes (vidéos de drones, métadonnées, images satellites, messages), afin qu’elles deviennent recevables devant des juridictions pénales internationales ou nationales. On ne sort pas de l’écran par la dénégation, on en sort par une chaîne de conservation robuste, qui transforme le signal en élément de preuve.
Au total, si la guerre se dématérialise par l’interface, le droit la re‑matérialise par des faits, des statuts, des preuves et des procédures, distinction‑précautions‑reddition, statut des opérateurs civils, protection des mineurs, revue Article 36, et protocole probatoire pour le numérique. Reste à savoir comment, en France, cette exigence de matérialité juridique s’articule avec les arbitrages budgétaires contemporains ce que l’on appelle, trop vite, l’opposition entre “le social” et “le militaire”.
En France , “le social contre le militaire” ? Pour une politique de l’attention et de la preuve
En France, l’année 2025 a confirmé l’ampleur de l’effort de réarmement, la Loi de programmation militaire 2024‑2030 fixe une trajectoire de 413,3 milliards d’euros et un profil de montée en puissance pluriannuel, le PLF 2025 (Projet de loi de finances (France) , projet de budget annuel de l’État, présenté par le Gouvernement à l’automne et voté par le Parlement. ) (“année 2” de la LPM (Loi de programmation militaire (France) , loi pluriannuelle qui fixe, sur plusieurs années, les priorités et ressources des armées)) ajoute 3,3 milliards d’euros aux Armées, quand le cadrage parlementaire évoque 60 Md€ de crédits de paiement et 93,6 milliards d’euros d’autorisations d’engagement. Ces chiffres traduisent une option stratégique de long terme mais ils ne disent pas, à eux seuls, comment l’État social se recompose à l’ère de la guerre‑plateforme.
Or le social n’est pas la variable d’ajustement de la défense, il en conditionne la possibilité. D’un côté, l’ONDAM 2025(Objectif national de dépenses d’assurance maladie (France) , plafond annuel de dépenses de santé (ville + hôpital) voté en loi de financement de la Sécurité sociale. ) est porté autour de 265,9 milliards d’euros (+3,4 %) avec une rallonge d’1 milliards d’euros pour l’hôpital en fin de parcours, et la LFSS entérine un champ de dépenses sociales dépassant 666 milliards d’euros toutes branches confondues (au prix, certes, de déficits persistants). De l’autre, l’éducation et l’ESR restent des capitaux d’attention, les crédits Enseignement scolaire et Recherche‑Enseignement supérieur atteignent 119,5 milliards d’euros en 2025, et une enveloppe additionnelle “universités” d’environ 200 millions d’euros est affichée. Lire ces reconfigurations à travers le slogan binaire « pensions ou munitions ? » revient à manquer l’essentiel, dans une économie de la preuve et de l’attention, école, santé, culture et justice sont des capacités de défense.
À ce titre, la politique publique doit articuler trois chantiers. D’abord, une littératie du numérique et du droit dès le secondaire et à l’université (esprit critique face aux flux, compréhension des standards probatoires), alliée au choix gouvernemental de faire de la santé mentale “Grande cause nationale 2025”. Ensuite, une gouvernance des algorithmes de défense, l’AI Act européen exclut le militaire de son champ d’où la nécessité de normes nationales(éthique de la défense, doctrine IA, contrôles parlementaires) garantissant traçabilité, niveaux de contrôle humain, et auditabilité des chaînes décisionnelles, à ce jour, le ministère des Armées affiche une stratégie IA et un travail du comité d’éthique orienté vers un usage “proportionné”. Enfin, une procédure de preuve, consolidée en amont par la revue juridique des systèmes (tests d’employabilité dans le respect du DIH) et, en aval, par la conservation des traces et le contrôle juridictionnel. Autrement dit , si la guerre se gagne à travers des signaux, l’État social est le lieu où l’on formeet protège l’attention qui permet de discerner ces signaux et d’en répondre légitimement
Baudrillard nous aide ici à défaire l’illusion, la compétition budgétaire “à somme nulle” est un simulacre qui occulte l’infrastructure immatérielle de la puissance (soins, mémoire, savoirs). Derrida rappelle, avec l’auto‑immunité, qu’une société peut se blesser en se défendant si elle sacrifie ses organes de jugement (école, hôpital, justice) à des automatismes de protection, l’issue, écrit‑il, n’est pas de suspendre la défense, mais d’inventer des procédures qui empêchent la machine de “manger” son propre droit. Et Baricco, enfin, nous indique que nous habitons The Game , un monde où la vitesse des interfaces exige des institutions lentes tribunaux, débats budgétaires, évaluations capables d’accorder une valeur au temps long. C’est la condition pour qu’une France réarmée n’évide pas, en même temps, l’État social qui la rend résiliente.
Si la guerre s’écrit désormais en pixels et en points de score, il nous faut une grammaire politique qui ré‑incarne le conflit dans des budgets, des procédures et des preuves , autrement dit, une défense du sensible, à la mesure d’une guerre devenue, en partie, immatérielle.
En conlusion, on peut penser à ce qu’écrivait Jacques Derrida dans Spectres de Marx , « Je voudrais apprendre à vivre. Enfin. » car ici apprendre à « vivre » suppose aujourd’hui de re‑matérialiser ce que la technique rend immatériel, responsabilités, preuves, procédures, seuils de minorité, délibérations budgétaires. La guerre peut s’“écraniser”, le droit, lui, doit s’incarner en documents, en contrôles, en garanties effectives. C’est à ce prix que l’on évite l’auto‑immunité, c’est‑à‑dire la destruction des défenses civiques par des politiques de protection mal pensées.
On peut aussi citer Alessandro Baricco dans The Game. « Ce que nous vivons n’est pas seulement une révolution technologique faite d’objets nouveaux, mais le résultat d’une insurrection mentale. »
Parce que prendre au sérieux cette insurrection mentale, c’est dessiner une économie de la défense qui articule le social et le militaire, école du discernement numérique, contrôle juridictionnel des systèmes autonomes, prévention psy des usages ludiques de la violence, et traçabilité des décisions algorithmiques . En bref, une stratégie du sensible à la hauteur d’une guerre devenue, en partie, immatérielle.