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Billet de blog 2 novembre 2025

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La pudeur, maturité du vrai, entre sincérité, narcissisme et lucidité

Dans un monde où tout s’affiche et se raconte, la pudeur fait figure d’anachronisme, ou de révolution. Entre Baudrillard, Arendt et Lacan, cette réflexion interroge ce qu’il reste de la vérité quand la sincérité devient spectacle. Et si, au fond, se taire parfois n’était plus une fuite, mais une forme supérieure de lucidité ?

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Colloque GYPSY XVIII - Clara SCHMELCK : La désacralisation du secret © Colloque Gypsy


« Le simulacre n’est jamais ce qui cache la vérité ; c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas » écrivait Jean Baudrillard dans Simulacres et Simulation, pour désigner un monde où l’excès de signes remplace la chose même et où la visibilité se substitue au vrai. Ici se noue notre enjeu, dans l’ère des écrans et de la confession permanente, la sincérité affichée devient parfois un théâtre de soi, un narcissisme travesti en authenticité, tandis que la pudeur entendue non comme censure morale, mais comme art du délai et de la retenue pourrait être la condition d’une lucidité qui sauve la parole de sa propre dissipation.

Par sincérité, on entend l’acte de « dire vrai » (au moins subjectivement), par narcissisme, la capture du discours par le besoin de regard, par lucidité, la capacité de discerner ce qu’il faut taire pour mieux signifier , par pudeur, enfin, la souveraineté de chacun sur le rythme de sa révélation non pas cacher, mais choisir.

Dès lors dans une société de transparence où la confession se fait spectacle, la pudeur peut-elle redevenir le signe d’une maturité du vrai, c’est-à-dire une manière d’arracher la parole au simulacre pour la reconduire à la justesse ?
Pour y répondre, on montrera d’abord comment l’ère de la transparence transforme la sincérité en spectacle, avant d’établir que la pudeur, loin d’être archaïque, constitue une résistance lucide et féconde, et d’aboutir à la pudeur comme signe de maturité affective, esthétique et juridique de la parole. 

L’ère de la transparence : la confession comme spectacle

L’époque a fait de la sincérité un mot d’ordre, presque une religion. On exige de chacun qu’il se montre, qu’il se raconte, qu’il prouve sa vérité par la transparence de son intimité. Ce que jadis on confiait à l’ombre se crie désormais sur les écrans. L’aveu, autrefois lié au sacré ou au secret, est devenu une monnaie sociale, on parle pour être vu, on s’expose pour être cru. Le “dire vrai” n’est plus l’aboutissement d’une élaboration intérieure, mais un réflexe d’auto-affirmation. Guy Debord l’avait déjà entrevu, la société du spectacle ne vend pas seulement des images, elle vend la promesse d’exister à travers elles. Le moi devient un produit d’exposition, et l’intime une scène.
Jean Baudrillard, dans De la séduction, l’a formulé avec une lucidité cruelle, la transparence moderne n’est pas le contraire du mensonge, mais son perfectionnement. Dans un monde saturé de signes, plus on montre, moins on éprouve. L’authenticité se confond avec la mise à nu. La confession perpétuelle, présentée comme libération, finit par neutraliser la profondeur, ce n’est plus la parole qui délivre, c’est la parole qui dévore. L’intime, une fois rendu public, cesse d’être vérité pour devenir décor. La nudité devient un code, non plus un acte. Ce n’est pas le corps qu’on dévoile, c’est un rôle qu’on joue celui du sujet transparent.
Cette dérive du “tout dire” trahit une peur plus profonde, celle de n’être rien s’il reste quelque chose d’invisible. Dans cette culture de la visibilité, la pudeur est perçue comme une trahison du lien, une résistance suspecte. Se taire, c’est s’exclure. L’homme contemporain, orphelin de transcendance, cherche dans la confession publique un substitut à la communion spirituelle. Michel Foucault avait montré que la confession, autrefois instrument de contrôle religieux, s’est déplacée dans la sphère laïque, nous nous livrons désormais spontanément à l’examen des autres, persuadés que la vérité n’existe que lorsqu’elle est regardée.
Mais cette vérité, pour exister, a besoin d’un miroir et ce miroir, c’est l’Autre. Lacan l’avait formulé avec une précision vertigineuse , “Le désir de l’homme est le désir de l’Autre.” Nous ne cherchons pas à dire pour être compris, mais pour être désirés. La parole ne se contente plus d’exprimer un contenu, elle devient l’instrument d’une quête de reconnaissance. Dans le stade du miroir, l’enfant découvre son image et croit s’y trouver, alors qu’il s’y perd. Devenus adultes, nous répétons ce geste, nous nous mirons dans les regards, dans les likes, dans les échos. Nous nous croyons sincères, mais nous ne faisons que parler à travers les reflets du désir d’autrui. La parole publique devient un prolongement du narcissisme, on ne parle plus avec, on parle devant.
Cette “société du miroir” remplace la profondeur par la visibilité. Le langage, au lieu de relier, sépare, chacun se raconte pour combler l’absence d’un regard stable. Lacan dirait que le sujet moderne vit dans le champ de l’Imaginaire, pris entre la fascination pour sa propre image et l’angoisse de ne pas être vu. L’exhibition n’est donc pas l’expression d’une liberté, mais la tentative désespérée de réparer la faille constitutive du moi. On ne parle pas pour dire la vérité, mais pour conjurer le manque.
Le drame, c’est que ce manque, loin d’être une faiblesse, est la condition même du symbolique, de ce qui fait sens. En effaçant la distance, la société de la transparence détruit la structure même du langage. Car parler suppose un écart, une attente, un silence. Dire tout, c’est tuer la parole. L’excès de sincérité rend le discours stérile, comme la lumière trop forte empêche de voir. Là où la pudeur ménageait l’espace du mystère, la transparence impose la platitude du visible.
La confession contemporaine ne libère donc pas le sujet, elle le désoriente. Elle confond l’expression avec l’existence, la visibilité avec la vérité. Chacun s’exhibe comme un fragment d’histoire brute, persuadé que l’absence de filtre garantit l’authenticité. Mais, comme le remarque Baudrillard, la surenchère de visibilité finit par produire l’effet inverse, “le réel s’abolit dans sa reproduction.” Ce que nous appelons authenticité n’est qu’un simulacre de sincérité, une mise en scène de la spontanéité.
Lacan aurait reconnu dans ce phénomène une “parole sans sujet” un dire sans écoute, un flux sans adresse. La parole vraie, celle du parlêtre, suppose une traversée du silence, une confrontation avec le manque. Or la société du spectacle évite le manque en saturant le champ symbolique, elle produit un bavardage global où tout est dit pour ne rien signifier. Dans ce vacarme, la pudeur réapparaît comme un acte de résistance.
Car se taire n’est pas fuir, c’est réintroduire le manque nécessaire à la vérité. La pudeur, loin d’être un reste moral ou religieux, est une forme d’intelligence du langage. Elle protège le secret comme on protège une germination. Elle ne cache pas pour dissimuler, elle tait pour laisser croître. Elle refuse que la parole soit livrée avant d’être mûrie. Là où la transparence dissout le sens dans l’instant, la pudeur le décante dans la durée.
La modernité, en exigeant que tout soit dit, a confondu la liberté avec la précipitation. Elle a oublié que la parole vraie ne se mesure pas à ce qu’elle révèle, mais à ce qu’elle préserve. C’est ce qu’il faut maintenant comprendre, la pudeur n’est pas un refus du vrai, c’est la forme la plus adulte de sa construction.Il nous faut donc examiner comment ce silence choisi, loin de cacher, permet de mieux dire comment la retenue devient non pas soumission, mais souveraineté.

 La pudeur comme résistance : entre retenue et profondeur

Si la transparence moderne a appauvri le sens du vrai, la pudeur apparaît alors comme un contre-mouvement, une reconquête de la profondeur perdue. Elle n’est pas l’ennemie de la vérité, mais la condition de son émergence. Ce que la société du spectacle a oublié, c’est que la parole n’a de valeur que parce qu’elle émane d’un silence préalable, d’un travail intérieur. La pudeur n’est pas une censure imposée de l’extérieur, c’est une discipline intime, un art de différer pour dire juste. Elle est, selon le mot d’Hannah Arendt, ce qui rend possible la “pensée”, non pas une réaction, mais un arrêt, une suspension du flux. C’est le moment où l’être se recueille avant de se livrer.
Freud avait déjà entrevu cela, le refoulement n’est pas toujours une pathologie, il est parfois la condition même de la civilisation. Sublimer, c’est différer, c’est transformer l’énergie brute en langage, en création, en sens. La pudeur, dans cette perspective, n’est pas un empêchement mais une transmutation. Elle contient la parole pour lui donner forme. Arendt voyait dans la faculté de penser se retirer du bruit du monde pour juger la première éthique de la responsabilité. Elle écrivait, “Penser, c’est dialoguer avec soi-même.” Or ce dialogue intérieur exige le silence, la distance, la retenue, trois formes de pudeur.
Cette vertu du retrait n’est pas une faiblesse. Elle est ce que Nietzsche appelait une force retenue, la capacité d’agir sans s’épancher, de créer sans exhiber. Alessandro Baricco, dans Les Barbares, décrit avec mélancolie le contraire de cette pudeur, le monde moderne vit dans une accélération constante où tout doit être partagé avant d’être compris. Pour lui, la surface a remplacé la profondeur ; on “surfe” sur le sens au lieu d’y plonger. Le barbare moderne est celui qui confond vitesse et intelligence, transparence et vérité. La pudeur, au contraire, est lente. Elle ne fuit pas la lumière, elle attend qu’elle s’adoucisse. Elle exige un rapport au temps qui résiste à l’instantanéité numérique. Là où le monde veut tout montrer tout de suite, elle réapprend à regarder lentement.
Mais il faut veiller à ne pas confondre la pudeur avec le poids de la tradition. Là où la première est un choix de vérité, la seconde est souvent une contrainte héritée, un dispositif de silence qui étouffe. Le film Un secret, avec Cécile de France, en donne une illustration bouleversante, dans cette famille qui cache son passé juif et les tragédies de la guerre, le secret n’est pas retenue mais survie. Le silence devient carapace. Il sert à sauver l’image du foyer, à maintenir les apparences d’une normalité qu’on sait fausse. Ce n’est pas la pudeur qui agit ici, mais la peur, peur du regard, du jugement, de l’Histoire. Et lorsque le mensonge se transmet de génération en génération, il devient structure, ciment familial. Ce n’est plus un choix du vrai, c’est un exil hors du vrai.
Le silence, dans ce cas, est celui du refoulement collectif, non celui de la maturation individuelle. Il s’apparente à cette forme de “pudeur imposée” que l’on retrouve encore dans certaines familles ou milieux sociaux, ne pas dire pour ne pas troubler, cacher pour ne pas choquer, sourire pour ne pas affronter. Cette confusion entre la retenue et la dissimulation a façonné des générations entières, où la dignité se confondait avec l’oubli. Le film le montre admirablement, la honte et l’amour s’y mélangent jusqu’à rendre la vérité impossible.
Le livre Maman mourra un jour explore à l’inverse un autre versant du silence. Il s’y joue une retenue réelle, une attention au corps et au temps, une lenteur retrouvée face à la mort. Mais cette pudeur, admirable quand elle est vécue comme respect du mystère, glisse parfois vers une forme de maintien des codes familiaux, ce besoin de ne pas nommer, de ne pas déranger, de continuer à “tenir”. Le risque est là, quand le mot pudeur devient alibi pour perpétuer l’impuissance à dire. Ce qui, dans ce récit, touche profondément, c’est précisément ce moment où la retenue cesse d’être contrainte pour devenir conscience lorsque le fils, veillant sa mère, découvre que le vrai amour consiste peut-être à oser nommer sans trahir.
La distinction est essentielle, la pudeur choisie protège la parole en la mûrissant, tandis que la pudeur héritée protège l’image en la figeant. L’une libère, l’autre enferme. L’une préserve la dignité, l’autre étouffe le vivant. La véritable pudeur ne dissimule pas la douleur, elle l’apprivoise. Elle ne cherche pas à sauver les apparences, mais à sauver le sens.
Lacan éclaire encore cette idée , pour lui le sujet n’existe vraiment qu’à travers le manque, et c’est ce manque qu’il doit apprendre à habiter sans le combler immédiatement. La pudeur, c’est la sagesse du manque, ne pas tout dire, non pour cacher, mais pour préserver la possibilité du désir, du mystère, du lien. Ce que la transparence tue, la pudeur le sauve, la dimension symbolique de la parole, celle qui rend l’amour, la confiance et la pensée possibles. Dire moins, c’est parfois dire mieux, ne pas tout montrer, c’est maintenir vivant le feu qui éclaire sans consumer.
Dans un monde saturé de communication, la pudeur devient une respiration nécessaire. Elle redonne à la parole son épaisseur, au silence sa dignité, et à la vérité son poids. Là où l’instantanéité impose le réflexe, elle restaure le discernement. Elle n’est donc pas archaïque, elle est révolutionnaire. En cela, elle rejoint Baricco pour qui l’enjeu n’est pas de condamner la modernité, mais de lui réapprendre la lenteur. Il faut réintroduire le murmure dans le cri, la densité dans la vitesse.
La pudeur est ainsi un acte de résistance et de création. Elle ne protège pas seulement l’intime, elle fonde la pensée elle-même. Car penser, aimer, écrire exigent tous la même chose : une distance juste entre soi et le monde. C’est cette distance ce retard fécond qui fait naître la vérité. Et c’est à ce stade que la réflexion bascule naturellement vers une autre dimension, celle de la maturité affective, où la pudeur cesse d’être défensive pour devenir créatrice, un mode d’être qui réconcilie l’émotion et la justesse.

La pudeur comme signe de maturité affective

La pudeur est le signe silencieux d’une maturité affective. Elle marque ce moment où l’être humain cesse de chercher l’amour comme une réponse et commence à le vivre comme une responsabilité. L’enfant montre sa blessure pour être consolé, l’adulte, lui, la transforme. Il ne cache pas sa douleur, il l’élabore. La pudeur n’est donc pas une fermeture, mais un passage, du besoin d’être vu au désir d’être compris, du réflexe de montrer au choix de signifier. C’est le moment où le cri devient parole.
Chez Kant, la maturité morale se définit par l’autonomie, la capacité à se donner à soi-même sa loi. La pudeur obéit à la même logique, elle institue une loi intérieure qui interdit la surexposition du moi. Elle n’est pas un masque social mais un cadre éthique, un “impératif esthétique” pourrait-on dire, qui maintient la dignité de la parole contre la tentation du déballage. Dans une époque où tout est livré à la consommation immédiate, la pudeur devient le dernier espace de souveraineté du sujet, un droit au silence au même titre que le droit à la parole.
Lacan dirait que la pudeur est ce qui maintient le sujet dans le symbolique. Elle empêche la jouissance de se déverser sans médiation. “Tout dire est impossible”, rappelait-il, non comme une limitation mais comme une nécessité structurante, la parole ne vaut que par ce qu’elle retient. Le mystère du langage, comme celui du désir, réside dans son inachèvement. La pudeur, ici, n’est plus morale, elle est ontologique, elle préserve le manque qui rend le lien possible. Trop de transparence tue l’amour, comme trop de mots tuent le sens.
C’est aussi une forme de lucidité esthétique. Gary, Duras, Barthes ont su écrire à partir de l’intime sans jamais en faire un spectacle. Chez eux, la blessure devient matière symbolique, non argument d’émotion. Ils n’écrivent pas sur leur douleur, mais depuis elle. L’écriture pudique ne nie pas la souffrance, elle la traduit. Elle transforme la fragilité en langage, et le langage en lieu de communion. C’est là toute la différence entre l’art et la confession, l’un élève, l’autre décharge. “La retenue n’est pas la peur, écrivait Camus, c’est la forme supérieure du courage.” La pudeur est cette forme de courage, celle de dire sans se livrer, de s’exposer sans se perdre.
Le droit rejoint cette exigence. En reconnaissant la dignité inhérente à toute personne humaine (article 16 du Code civil, article 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE), il consacre la même intuition que la pudeur, l’être humain ne peut être réduit ni à un corps exhibé ni à une parole exploitée. Le consentement notion clé du droit moderne est l’équivalent juridique de la pudeur, il réintroduit le temps, la mesure, le choix. Il dit que tout n’est pas accessible simplement parce qu’il est visible. La pudeur, comme le droit, protège la part inaliénable du sujet. Elle garantit que l’intime ne devienne pas marchandise.
Sur le plan affectif, la pudeur est la maturité du lien, elle transforme la passion en dialogue, la projection en écoute. Elle refuse d’utiliser l’autre comme miroir ou scène d’autojustification. Dans l’amour comme dans la parole, elle substitue à la conquête le respect, à la possession la résonance. Être pudique, ce n’est pas taire ce qu’on ressent, c’est choisir la justesse de la parole plutôt que son intensité. C’est comprendre que chaque mot engage et que tout dévoilement crée une dette symbolique.
Arendt rappelait que la parole publique devait être “responsable du monde qu’elle crée”. La pudeur, à l’échelle de l’intime, accomplit la même fonction, elle empêche la parole de devenir arme, et la transforme en espace commun. Dire avec pudeur, c’est parler pour comprendre, non pour séduire, pour relier, non pour conquérir. C’est l’opposé du cynisme communicationnel , une parole lente, ajustée, qui reconnaît que toute vérité a besoin d’un seuil pour naître.
Cette retenue est tout sauf faiblesse. Elle est la marque d’une conscience qui a intégré l’émotion sans s’y dissoudre. Là où l’adolescent se raconte pour exister, l’adulte parle pour partager un sens. La pudeur n’est pas la censure de la vie intérieure, elle en est la respiration. Elle permet à la tendresse d’avoir une forme, à l’amour d’avoir une durée, à la pensée d’avoir un lieu.
Dans un monde où la confession est devenue une monnaie sociale, la pudeur rend à la parole son pouvoir de vérité. Elle rappelle que l’humain ne se définit pas par ce qu’il montre, mais par ce qu’il garde. Elle n’est ni morale ni posture, elle est une manière d’habiter le langage, de vivre la vérité sans la profaner. Et c’est peut-être cela, au fond, la vraie maturité affective, apprendre à aimer sans posséder, à dire sans s’exhiber, à vivre sans se dissoudre.

En conclusion au terme de cette réflexion, la pudeur apparaît comme l’un des derniers espaces de vérité dans une civilisation saturée d’images et d’aveux. Là où la transparence confond authenticité et exhibition, la pudeur réintroduit l’épaisseur du sens, elle redonne au silence sa fonction symbolique, à la parole sa lenteur, à l’émotion sa dignité. Elle n’est pas l’ennemie de la sincérité, mais sa forme la plus accomplie, celle qui transforme la sensibilité en pensée, le sentiment en responsabilité.Comme le rappelait Baudrillard dans Simulacres et Simulation, « trop de communication tue la communication », à force de tout dire, nous abolissons la possibilité même du dire vrai. La pudeur, elle, rétablit cette distance nécessaire entre soi et le monde, non pas pour se protéger, mais pour préserver ce qui, en l’humain, résiste à la marchandise et au bavardage. Elle n’est pas nostalgie du secret, mais acte de souveraineté intérieure, une forme d’écologie du lien qui restaure le poids du mot, la noblesse du regard, la rareté du geste.

C’est peut-être là le prochain défi de nos sociétés, inventer une éthique du dévoilement, un droit à la lenteur, une pédagogie de la parole juste. Comme l’écrivait Hannah Arendt, « penser, c’est dialoguer avec soi-même » encore faut-il préserver le silence nécessaire à ce dialogue. Dans un monde qui exige de chacun qu’il s’expose pour exister, la pudeur devient résistance politique, une manière d’habiter le langage sans s’y perdre. Et peut-être qu’un jour, à l’ère des intelligences artificielles capables d’imiter les émotions humaines, la véritable singularité de l’homme ne sera plus sa parole, mais sa capacité à se taire avec justesse.

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