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Billet de blog 17 décembre 2025

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Quand l’argent devient pouvoir: chronique d’un monde gouverné par l’évidence

Baudrillard parlait d’un pouvoir devenu surface, circulation, évidence. Bardella en est peut-être l’une des figures contemporaines. L’argent n’y corrompt plus mais crédibilise, lisse, rend fréquentable. Il achète du temps, des corps, des récits. Une cartographie lucide d’un monde où le réel disparaît moins qu’il ne se met en scène.

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Une Vie, une œuvre : Jean Baudrillard, ni morale, ni critique, une " pensée radicale " (1929-2007) © Rien ne veut rien dire

Le pouvoir de l’argent est souvent abordé comme une évidence morale qui corromprait, pervertirait, détournerait.

Cette lecture, héritée à la fois du marxisme vulgaire et d’une critique morale libérale, suppose pourtant une chose discutable, que le pouvoir serait d’abord localisable, identifiable, imputable à des acteurs précis. Or le pouvoir contemporain ne se présente plus ainsi. Il ne réside plus seulement dans des lieux, des institutions ou des figures visibles mais circule, se diffuse, se naturalise. Il fonctionne moins comme une domination frontale que comme un régime de signes, de normes et d’évidences incorporées.

Partir de l’argent n’est donc pas partir d’un vice, mais d’un révélateur. Non pas l’argent comme substance corruptrice, mais comme opérateur de mise en forme du réel. La langue elle-même en porte la trace. En russe d’ailleurs, деньги (den’gui) renvoie à l’argent concret, presque sale, manipulable et власть (vlast’) désigne un pouvoir abstrait, presque mystique. On dit notamment en Russe быть у власти « être chez le pouvoir » comme si le pouvoir était une maison que certains habitent, et dont l’argent permettrait d’acheter la clé. De même, l’expression française « l’argent n’a pas d’odeur » trouve son équivalent russe (деньги не пахнут), mais avec une connotation plus cynique, héritée de l’expérience post-soviétique, l’odeur a disparu parce que tout a été dissous dans l’équivalence.

Cette hypothèse de lecture permet aussi une critique oblique de notre époque. Là où certaines élites occidentales parlent d’argent comme d’un accident extérieur à leur vertu,héritages tus, capitaux invisibilisés, positions transmises sous couvert de mérite, d’autres systèmes, comme celui des oligarques russes, assument plus brutalement le lien entre richesse et pouvoir. La différence n’est pas morale mais symbolique.

L’Occident préfère habiller l’argent de valeurs universelles, de procédures, de discours éthiques, là où d’autres l’exposent sans fard. C’est peut-être pour cela que l’argent gêne, non parce qu’il corrompt le pouvoir, mais parce qu’il le révèle nu.

Un exemple contemporain en France illustre ce lien stratégique entre argent et pouvoir, en effet la proposition de taxe Zucman sur les très hauts patrimoines, revenue au cœur du débat politique à l’approche du budget 2026, met en jeu non seulement des recettes publiques mais une vision divergente de la place des richesses dans le corps politique, montrant que l’argent n’est pas une variable externe de la démocratie, mais une force qui structure ses choix et ses contradictions.

Dès lors, la question n’est pas de savoir si l’argent déforme la démocratie, le droit ou les relations sociales, mais comment il structure silencieusement ce qui apparaît comme neutre (les capitaux légitimes, les institutions, les normes éducatives, les architectures juridiques, les imaginaires culturels), jusqu’aux corps eux-mêmes.

Comme l’a noté Thomas Sowell, « If you see corruption being rewarded and honesty becoming a self-sacrifice, you may know that your society is doomed », invitant à penser l’argent non pas seulement comme l’instrument corrompu d’un pouvoir séparé, mais comme le régulateur des récompenses sociales elles-mêmes, ce qui est au cœur de la question que pose cette cartographie.

Autrement dit, comment l’argent organise-t-il les conditions de possibilité du pouvoir, bien avant que celui-ci ne s’exerce explicitement ?

C’est cette cartographie que propose cette réflexion, non comme une vérité définitive, mais comme une hypothèse située.

Il s’agira d’abord de revenir sur les architectures classiques du pouvoir de l’argent (capitaux, institutions, héritages invisibles) pour comprendre comment elles continuent d’opérer sous des formes apparemment dépassées. Il faudra ensuite montrer comment ces architectures se transforment dans un monde de spectacle, d’accélération et de simulacres, où le pouvoir circule par les images, les flux et les événements extrêmes, jusqu’au terrorisme comme réponse symbolique à un système sans négatif. Enfin, l’analyse descendra au niveau des institutions, du droit et des corps, là où ces abstractions se déposent concrètement que ce soit dans les trajectoires sociales, les relations de genre, les banlieues, les dispositifs sécuritaires et les empires juridiques contemporains.

Ce développement ne prétend pas dénoncer de l’extérieur. Il avance à l’intérieur même de ce qu’il analyse, conscient que toute critique du pouvoir participe déjà de son régime symbolique, il n’est pas une vérité sur le pouvoir, c’est une hypothèse de lecture produite dans le même régime de signes que ce qu’elle critique.


Les architectures classiques du pouvoir de l’argent: capitaux, institutions et imaginaires

L’argent ne se contente pas d’acheter des biens, il recompose la texture même des rapports sociaux, parce qu’il agit comme un médium universel. Chez Simmel, cette universalité a un prix précis car l’argent libère des dépendances personnelles comme la famille, le caste, le village mais remplace ces liens par une structure abstraite fondée sur la mesure, le calcul, la comparaison. À mesure que le monde se monétarise, les relations humaines deviennent convertibles en équivalences chiffrables. Le réel se laisse alors convertir en signes, et avec cette convertibilité généralisée surgissent deux effets décisifs, d’une part une disparition du négatif, puisque ce qui résiste, l’altérité, le non-commensurable, se dissout quand tout devient échangeable. D’autre part une cannibalisation interne, l’Occident n’ayant plus besoin d’ennemi extérieur dès lors que l’équivalence généralisée suffit à l’auto-dévoration du système.

Cette dynamique est ambivalente jusque dans l’expérience intime car l’argent accroît la liberté individuelle comme le choix, achat de temps, émancipation mais dissout les attachements qualitatifs avec dette morale, relation de confiance, fidélité, honneur. L’autonomie gagnée est inséparable d’une perte possible comme la dimension charnelle du réel, ce qui ne se calcule pas. Le rapport au temps s’en trouve reconfiguré en trois couches: un temps physique (productivité, chronos, optimisation), un temps social (normes, institutions, rythmes collectifs) et un temps vécu (retard, accélération, fatigue). Dans ce régime, ce sont des mesures monétaires (inflation, dette, prix du temps, coût de la vie) qui décident de ce qui « existe », y compris psychologiquement. En parallèle, le pont vers Menger et Mises permet de comprendre que la valeur n’exprime pas une vérité objective mais elle résulte de la rencontre instable de préférences dispersées. L’argent apparaît alors comme un système fragile de coordination entre désirs contradictoires.

Cette fragilité prend une profondeur généalogique lorsque le lien dette-promesse-sacrifice est replacé au cœur de l’architecture sociale parce que la dette précède l’économique comme lien moral; la monnaie se stabilise comme institution étatique qui canalise à la fois violence et promesse; Nietzsche relie dette, culpabilité et contrat en une véritable architecture affective. À ce niveau, l’ajout majeur se situe dans la théorie baudrillardienne, Baudrillard voit le terrorisme comme contre-don symbolique, forme moderne d’un « double potlatch ». Il ( le terrorisme) n’est pas d’abord politique ni religieux mais il est un acte symbolique de sacrifice adressé à un système qui a tout absorbé. Là où l’Occident impose l’équivalence universelle( argent, droits, valeurs, marché ), le terrorisme réintroduit une asymétrie radicale comme donner sa vie sans équivalent, frapper sans négociation, sans réparation. Le lien avec Nietzsche se précise ici par ce refus de la dette, refus de l’échange, refus de la réparation. La logique du potlatch avec ce défi par le don et le sacrifice qui revient sous forme moderne en sacrifice terroriste face à une auto-dérision et une auto-consommation occidentales, constituant ce « double potlatch » et réinscrivant dette/sacrifice dans une économie symbolique qui déborde l’économique.

À partir de ce socle, la circulation des capitaux rend visible la manière dont l’argent s’incarne en institutions, trajectoires, héritages. Bourdieu fournit d’ailleurs les quatre capitaux: économique, culturel, social, symbolique,  mais une typologie complémentaire peut être envisagée qui complexifie les échanges avec un capital monétaire (argent, statut social, accès aux institutions), un capital physique (âge, beauté, santé, forme du visage, énergie, outil majeur dans les marchés sexuels), un capital intellectuel/affectif (charme, personnalité, capacité d’écoute, humour, lucidité). Ces capitaux s’échangent, se compensent, se pervertissent, et l’économie réelle n’est jamais seulement monétaire, elle est une arithmétique de conversions.

Marx permet d’en expliquer la reproduction par normes et coutumes avec les règles de respectabilité, ponctualité, réputation, famille stable, « parler correctement » qui transmettent l’ordre social sans police visible. Le poids des générations mortes (dans Le 18 Brumaire) rappelle que famille, honneur, sacrifice reproduisent la structure de classe. La domination se camoufle sous la liberté contractuelle, parce que des rôles appris depuis l’enfance ont été intériorisés d’où l’idée d’une plus-value affective car l’argent masque la domination en faisant croire à la neutralité du contrat.

Fraser et Federici déplacent la focale vers ce qui fonde invisiblement le capitalisme, comme le travail reproductif (ménage, soin, maternité, soutien émotionnel) qui constitue la base du système tout en restant non reconnu et l’ordre économique repose sur une économie affective gratuite, principalement féminine. Sowell ajoute une perspective « constrained » car pour lui les traditions fonctionnent comme capital accumulé, bibliothèques d’essais et d’erreurs mais aussi épargne, discipline, gratification différée, coopération, langage, rapport au temps. La notion de middleman minorities met en lumière certaines diasporas accumulant un capital spécifique avec commerce, réseaux transnationaux, travail acharné en jouant un rôle d’intermédiaire économique et culturel, suscitant simultanément admiration, suspicion et fantasmes complotistes selon des schémas récurrents.

Les diasporas, précisément, incarnent un capital transnational au cœur d’une ambivalence post-coloniale car familles dispersées (arménienne, juive, maghrébine, libanaise, turque, chinoise…) organisent transferts d’argent, réseaux professionnels, entraide scolaire, capital linguistique, codes familiaux. Elles sont à la fois accusées de « profiter du système » et indispensables à la circulation des idées, des savoirs, de la technique, du commerce. Le lien avec Sowell s’éclaire ici car ces règles héritées, discipline, loyauté, investissement dans les enfants, est version concrète d’une vision contrainte.

À la fin de cette séquence, un point transversal devient nécessaire c’est l’universalité cannibale.

Les valeurs universelles sont en effet cannibalisées, l’universel servant de langage moral qui absorbe tout, y compris ses critiques or dans la mondialisation, l’universel se décompose comme principe et circule comme label ou format.

Sur cette trame, les règles héritées apparaissent comme capital moral invisible (Marx et Sowell se croisent) avec la façon de parler, rapport à l’autorité, politesse, gestion de l’argent, rapport à la dette.

C’est donc une ambivalence fondamentale car ces habitudes sont des ressources d’ascension (fiabilité, endurance, sacrifice) autant que des freins (soumission, auto-censure, « on ne fait pas ça chez nous »). La question devient alors concrète lorsque l’espace social est pris dans des stigmates, notamment dans les banlieues où l’articulation capital/stigmate se fait brutale. Le code de banlieue (rap, sport, virilité, humour) constitue une ressource culturelle puissante et une identité, mais aussi un piège car illégitime à l’école, au tribunal, dans l’entreprise. Quand les autres capitaux manquent, le corps devient ressource, marchandise, monnaie d’échange avec les banlieusards avec notamment le sport, rap, OnlyFans, deal, petits boulots précaires c’est la logique de corps-capital associée à la notion de stigmate et à la « racaillisation ».

La segmentation du travail verrouille les trajectoires malgré l’injonction méritocratique avec par exemple les stages non payés, emplois instables, discriminations raciales.

Les sous-cultures (chez Sowell) se lisent aussi comme héritages coloniaux réinterprétés avec respect, défense de l’honneur, solidarité familiale, sens du conflit, humour communautaire.

L’appropriation culturelle et le marché de « l’exotisme urbain » redoublent l’ambivalence car ce qui est stigmatisé chez les jeunes « racisés » devient rentable pour la mode, la publicité, les écoles de commerce, les influenceurs.

Une interrogation baudrillardienne traverse alors la scène, qui est réellement « traditionnel » le jeune banlieusard qui en a tout les codes et les stéréotypes, hyper-moderne, ou le cadre supérieur héritier de normes familiales du XIXᵉ siècle ?

Dans le même mouvement, une forme de capital d’immunité doit être isolée ce qu’on appelle aujourd’hui de façon grossière et simplifiée la « fuck you money ». Elle désigne la capacité à dire « non » sans sanction en raison du capital financier hors normes, une liberté anti-politique.

Elle matérialise une asymétrie morale car seuls certains peuvent se permettre de ne pas jouer le jeu. En France, cette immunité se loge dans l’héritage, le patrimoine, les rentes, les familles installées, l’invisibilisation de faillites personnelles; l’argent devient la capacité d’échapper aux conséquences.

À partir de là, l’analyse rejoint les institutions et le droit avec l’État, les magistrats, les procédures apparaissent comme des lieux d’arbitrage de capitaux déjà structurés, où les coutumes incorporées pèsent.

Le droit fonctionne comme théâtre où l’argent a déjà écrit la scène avec des arbitrages de rapports de force pré-structurés (OnlyFans, violences, corruption, climat). À cet endroit, deux ajouts politiques centraux s’imposent. D’abord la mascarade démocratique et politique car la démocratie fonctionne comme scène avec procédures, images, indignations ritualisées, et le droit devient « preuve » par visibilité procédurale même si le réel social ne suit pas.

Ensuite, terrorisme et disparition du politique, le terrorisme révèle que le politique ne produit plus de conflit lisible et qu’il ne reste que la gestion sécuritaire; l’État répond moins politiquement que par état d’urgence, droit d’exception, surveillance. Dans une lecture baudrillardienne, le terrorisme ne conteste pas un régime, il révèle qu’il n’y a plus de régime à contester, seulement une administration.

Le pouvoir contemporain ne disparaît pas, il se distribue dans des médiations qui rendent toute assignation de responsabilité impossible, tout en produisant des effets massifs sur les vies.

Le droit climatique devient une arène où capital fossile et vulnérabilité des peuples s’affrontent. Les jugements mobilisent des coutumes incorporées (Sowell et Marx) avec les modèles de « bon père de famille », « prudent commerçant », « débiteur raisonnable » ; ces normes sédimentées de pratiques bourgeoises, héritées mais présentées comme neutralité.

Les diasporas, dans l’espace juridique, doivent traduire leurs codes pour être audibles ( accent, syntaxe, références) qui deviennent outils d’exclusion silencieuse.

Le droit international, quant à lui, fonctionne dans une architecture matérielle, avec hard power américain et structuration normative. S’y ajoutent l’hégémonie occidentale comme simulacre qui veut se présenter comme universel (droits, liberté, neutralité) tout en opérant comme puissance et la cannibalisation qui intègre les critiques (droits humains, diversité, inclusion) comme capitaux de légitimité. Le soft power juridique s’exporte via grandes universités (Harvard, Yale, Stanford) et think tanks (RAND, Brookings, Atlantic Council), diffusant doctrines, procédures, concepts de compliance, modèle accusatoire, datafication des preuves.

La géographie invisible de l’argent prolonge ce mouvement avec les paradis fiscaux, optimisation extrême et architecture offshore. L’argent a des lieux comme les îles Vierges, Delaware, Luxembourg, Irlande, Pays-Bas ,où les multinationales déplacent le profit plus que les usines (prix de transfert), les très riches organisent une non-appartenance fiscale comme exit option invisible, et les États savent légaliser ce qu’ils prétendent combattre (rulings, niches, accords bilatéraux). L’impôt apparaît alors comme architecture implicite du pouvoir moderne car l’optimisation fiscale devient pouvoir privé contre souveraineté publique dont les paradis fiscaux (Luxembourg, Irlande, Delaware, Dubaï) sont des infrastructures politiques. L’État dit « faible » n’est pas impuissant mais il a été siphonné par l’ingénierie fiscale du capital transnational. La dette publique devient moyen de gouvernement (orthodoxie budgétaire, agences de notation).

À la fin de cette séquence, un complément conceptuel s’impose avec la disparition du négatif par la gouvernance on constate en effet plus de conflit clair,

tout est absorbé dans la compliance, les indicateurs, risk management, le « mal » devient alors « risque ».

Les verticalités se transforment aussi dans l’école, moins d’autorité explicite, plus d’inégalités invisibles. Le tutoiement et la pédagogie horizontale coexistent avec des inégalités familiales inchangées; l’école, même méritocratique en discours, continue de reproduire les élites économiques. La fracture privé/public ajoute deux vitesses scolaires pour une même illusion méritocratique.

Le pouvoir matériel qui gouverne les États se lit également dans l’énergie, le climat et les infrastructures avec la géopolitique du carbone (pétrole, gaz, OPEP+, Russie, Golfe), les infrastructures énergétiques comme champ de bataille (pipelines, GNL, centrales nucléaires), transition « verte » comme reconfiguration du capital (marchés carbone, greenwashing, rente des métaux rares), électricité et IA (GPU, data centers, consommation énergétique) comme nouveau levier impérial.

Extraction et dépendance aux sols et aux corps du Sud global, prix monétaire dissocié de la dégradation réelle, valeur écologique irréparable opposée à une valeur monétaire réversible.

Cette matérialité rejoint une généalogie constitutionnelle de la souveraineté, de la légitimité et de la représentativité sous contrainte de l’argent.

Les constitutions modernes naissent en effet de crises de légitimité, la rupture avec la souveraineté de droit divin, invention d’une souveraineté nationale abstraite (Sieyès) exercée par une élite censitaire masculine, XIXᵉ siècle oscillant entre suffrage limité et universel, coups d’État et restaurations; la peur des classes populaires conditionne la représentativité.

Même proclamé universel, le suffrage reste filtré : temps libre, instruction, capacité de déplacement, compréhension de l’offre politique ; sélection des élus par coût des campagnes, financement des partis, appartenance à des milieux dotés; filtres institutionnels par modes de scrutin, découpages, seuils, barrières à l’entrée.

Le résultat est une sous-représentation systémique de certaines classes, territoires, expériences (banlieues, précaires, diasporas) sans fraude grossière. La Vᵉ République combine exécutif fort (élection présidentielle au suffrage universel direct depuis 1962, 49.3, ordonnances), Parlement contraint, partis dépendants de financements publics, dons privés, sponsors économiques donc la représentativité se joue moins au vote qu’en amont avec l’écriture des programmes, financement, contrôle des médias et de la visibilité. Le Conseil constitutionnel et l’État de droit garantissent la légitimité des formes et la protection de droits, mais le contrôle demeure abstrait face aux rapports de classe et intègre une hiérarchie implicite de valeurs (liberté d’entreprendre, droit de propriété, continuité du service public, soutenabilité budgétaire). Les mouvements type Gilets jaunes, l’abstention record, les colères territoriales expriment le décalage entre légitimité procédurale (formes régulières) et légitimité substantielle (sentiment d’être réellement entendu quand seuls restent le vote et aucune capacité d’inviter un ministre à dîner). À cet endroit, la supercherie des valeurs universelles doit être formulée car l’universel, l’État de droit etreprésentation fonctionnent comme parade quand ils ne rencontrent plus le vécu.

Dans le prolongement, les médias apparaissent comme architecture économique et institutionnelle car elles sont financés par redevance et impôt (France Télévisions, Radio France), par des milliardaires (Bouygues, Bolloré, Niel, Arnault), par la publicité et les métriques d’audience, et parfois directement par l’État (Russie, Turquie, Chine). Le pouvoir médiatique est matériel, budgétaire, institutionnel. Les salaires des journalistes vedettes du public forment un capital d’influence financé en partie par l’argent public, produisant capital symbolique disproportionné, dépendance à la hiérarchie politique, effet de cour. La capture se décline en deux branches, l’une privé (orientation compatible avec intérêts des propriétaires) et l’autre public (dépendance budgétaire au gouvernement, autocensure douce, neutralité mise en scène, cadrage institutionnel). La propagande d’État russe par exemple illustre un contrôle total de l’environnement informationnel, les chaînes publiques et agences fonctionnent comme appareils idéologiques, journalistes rémunérés comme fonctionnaires du récit national, salaires des présentateurs proches du Kremlin très élevés donc l’efficacité ne tient pas seulement au mensonge mais à la maîtrise de l’écosystème.

L’incarnation spatiale du pouvoir complète l’ensemble de notre développement car les infrastructures sont manquantes dans les zones décentralisées (transports rares, services publics éloignés) produisent du temps plus long, moins d’opportunités, une périphérie qui accumule retard, fatigue, distance.

La « misère du temps », c’est à dire par exemple, 1h30 de trajet devient alors un impôt caché. L’architecture administrative façon Le Corbusier doit être formulée sans anachronisme car il construit et image des ville rationalisée, fonctionnaliste, standardisée; forme froide, orthogonale, pensée comme machine; adoption pour équipements d’État (tribunaux, préfectures, HLM) produisant distance, intimidation, rapport hiérarchique incorporé, verticalité anti-démocratique sous façade « neutre ». L’esthétique de classe oppose Haussmann (pierre noble, balcons, proportions, lumière ,(codage bourgeois) et grands ensembles (hauteur, répétition, isolement, absence de commerce (codage dominé) ). L’espace devient un capital symbolique, ancien comme prestige, béton périphérique comme stigmate et la beauté se distribue comme privilège de classe.

Quand la vie est administrée au point de ne plus pouvoir être racontée, contestée ou reprise par ceux qui la vivent.

On a donc suivi l’argent là où il reste visible : capitaux classiques, trajectoires sociales, institutions, lenteurs du droit, mémoires familiales, diasporas, empires persistants mais aussi salaires, patrimoines, clientèles, procédures, sanctions, dettes, budgets publics, noms de famille, lignées politiques.

Mais une part décisive du pouvoir contemporain s’est déjà déplacée ailleurs. Ce pouvoir contemporain s’est déplacé dans ce qui décide de ce qui apparaît ou disparaît avant même l’entrée en scène du droit, de l’école ou du marché. Ce ne sont plus seulement des patrons, des juges, des élus, des héritiers, mais des algorithmes, des modèles de risque, des interfaces, des IA qui filtrent les corps, les discours et les trajectoires, en recyclant souvent, à l’insu des acteurs, les normes que cette première partie a mises au jour (bon payeur, bon citoyen, bon élève, bon migrant, bon investisseur).

La question devient alors, que se passe-t-il quand les anciennes architectures du pouvoir de l’argent (capitaux, États, empires, familles, diasporas) sont encapsulées dans des flux numériques, des plateformes globales, des infrastructures américaines, des simulacres climatiques ou géopolitiques ?

C’est l’objet de second point, montrer comment pouvoir et argent se reconfigurent à l’ère des algorithmes souverains, de la censure douce, des flux de données, des IA et des nouveaux soft/hard powers qui gouvernent les corps, les images et les affects sans plus passer par les formes classiques de la domination.

Pouvoir et argent à l’ère des flux numériques: algorithmes, censure douce, géopolitique des corps

Le pouvoir contemporain ne se manifeste plus principalement par des signes visibles de souveraineté (palais, uniformes, drapeaux, discours solennels) mais par des architectures discrètes qui organisent ce qui apparaît, circule ou disparaît. Là où l’ancien monde rendait le pouvoir identifiable, le monde des flux le rend opérant sans visage.

Le gouvernement ne se dit plus, il s’exécute.

Il ne commande plus frontalement, il module. Cette mutation repose sur un déplacement central car la souveraineté ne se joue plus seulement dans la loi ou l’institution, mais dans la maîtrise de la visibilité.

Ce qui n’est pas référencé, recommandé ou amplifié par les plateformes numériques n’existe qu’en droit, rarement en fait. La disparition ne prend plus la forme de la censure explicite mais elle passe par la dépriorisation, la démonétisation, l’enfouissement algorithmique.

Le négatif ne s’oppose plus, il se dissout.

Il ne subsiste que des ajustements, des seuils, des gradients d’existence. Cette gouvernementalité douce transforme la neutralité technique en norme morale implicite. Ce qui est “optimisé” devient acceptable et ce qui est déclassé devient suspect, sans jamais avoir été interdit.

Le politique lui-même est reconfiguré par cette logique. Convaincre aujourd’hui, ne suffit plus, il faut franchir des seuils d’amplification. Argent et pouvoir convergent ici de manière littérale : acheter de la visibilité, salarier des équipes de gestion de réputation, financer des campagnes de micro-ciblage, revient à acheter des probabilités d’existence publique. Le marché des idées se présente comme libre, mais il est déjà filtré par des architectures propriétaires concentrées entre quelques acteurs. La pluralité proclamée masque une sélection préalable.

Cette souveraineté algorithmique s’exerce aussi sur les corps au travail. Chauffeurs, livreurs, micro-travailleurs, créateurs de contenus vivent sous le régime de l’évaluation permanente. Les notes, étoiles, scores et indicateurs ne sont pas de simples outils de feedback, deviennent des dispositifs de jugement moral. Le client se mue en micro-magistrat et l’algorithme, en méta-tribunal silencieux. La dépendance salariale classique cède la place à une dépendance chiffrée, opaque, d’autant plus violente qu’elle se prétend objective.

La finance prolonge cette logique en traduisant des choix politiques en variables statistiques. Les modèles de risque, les allocations quantitatives de capital, les scorings de solvabilité encapsulent une vision du monde comme ce qu’est un bon payeur, une entreprise fiable, un citoyen crédible.

Des normes anciennes du “bon père de famille” au débiteur raisonnable sont compactées dans des matrices mathématiques.

L’ordre spontané cher à Hayek devient un ici ordre concentré avec quelques modèles propriétaires synthétisent des siècles de coutumes et de hiérarchies sociales.

L’ambiguïté aujourd’hui devient maximale. Ces règles réduisent les coûts de coordination et stabilisent les échanges, mais elles figent aussi des biais historiques en critères “neutres”. Marx permet de voir comment ces normes reproduisent les rapports de production en naturalisant la hiérarchie entre bons et mauvais risques. Sowell rappelle, à l’inverse, qu’elles condensent aussi une expérience collective tragique de la rareté. L’algorithme devient ainsi le lieu d’une tension irréductible entre rationalité fonctionnelle et injustice héritée.

À cette souveraineté diffuse s’ajoute un soft power technologique américain massif. Les grands modèles d’IA définissent désormais ce qu’est une réponse plausible, un raisonnement acceptable, une documentation suffisante. Ils deviennent des infrastructures cognitives mondiales, utilisées par des juristes, des enseignants, des administrations bien au-delà de leur territoire d’origine. Le hard power suit cette logique avec le contrôle de la chaîne des GPU, restrictions d’exportation de semi-conducteurs, sanctions sur les composants stratégiques.

Sans ces puces, aucune souveraineté numérique crédible n’est possible. L’illusion d’une décentralisation radicale, portée par la crypto-finance et les fintechs, reconduit en réalité des concentrations de pouvoir technique et de capital. Derrière les slogans de liberté monétaire, persistent des centres de calcul et des détenteurs de liquidité. Une vieille hiérarchie sociale se rejoue, habillée de neutralité mathématique.

Ce régime correspond exactement à ce que Deleuze décrivait comme le passage des sociétés disciplinaires aux sociétés de contrôle. Là où la discipline enfermait dans des lieux clos, le contrôle module en continu. Il ne dit plus “interdit” ou “autorisé”, mais “prioritaire” ou “déclassé”.

Le sujet devient divisible en données, évalué en temps réel. L’arbitraire se présente comme optimisation, la sanction comme ajustement automatique. Le geste politique disparaît derrière l’architecture.

Cette logique trouve un laboratoire particulièrement lisible dans les dispositifs contemporains de régulation de la parole. Les cadres juridiques et techniques développés au Canada par exemple, avec lois contre la désinformation, la haine en ligne, la manipulation informationnelle, illustrent une bienveillance orwellienne contemporaine, car on ne restreint pas, on protège.

Le Bien, en se rendant total, devient instrument de contrôle. La censure ne se dit plus censure mais se distribue entre États, plateformes, ONG de fact-checking, standards techniques. Le censeur disparaît parce que tout le monde l’est un peu.

Le terrorisme joue ici un rôle central car  comme l’avait déjà analysé Baudrillard, le terrorisme devient la justification suprême de la surveillance.

Plus la lutte contre le terrorisme s’intensifie, plus le monde se prive de négatif symbolique et plus il devient fragile, appelant de nouvelles ruptures violentes.

La boucle est baudrillardienne car le système produit les conditions de ce qu’il prétend éradiquer. Le terrorisme n’est pas une idéologie première, mais une réponse symbolique à un monde saturé d’équivalence, où toute altérité est dissoute.

C’est précisément ce point que la critique de l’“apocalypse cognitive” laisse souvent de côté. En réduisant la dérive informationnelle à des biais cognitifs individuels, elle oublie la matière affective du monde social. Avant les croyances, il y a des positions comme la fatigue, le déclassement, l’humiliation ou la nostalgie.

La “Grundnorm affective” permet de comprendre que certaines colères et certains récits extrêmes ne sont pas des erreurs de raisonnement, mais des tentatives de rendre habitable une expérience disqualifiée.

L’argent n’opère plus seulement comme financement mais sélectionne aussi les affects amplifiables.

Le marché de l’indignation achète ce qui fait trafic et laisse le reste aux marges.

À ce stade, la société du spectacle décrite par Debord a déjà muté. Ce qui existe politiquement est ce qui apparaît, mais ce n’est plus l’image qui masque le réel mais le montré qui devient le réel.

Le spectacle ne représente alors plus mais produit.

La critique elle-même est recyclée comme contenu. La lucidité devient un capital symbolique, parfois monétaire. Le système se nourrit de ses ennemis et se renforce en intégrant leur dénonciation comme preuve de pluralisme.

Dans ce régime saturé d’images, le terrorisme acquiert un statut paradoxal.

Il produit un événement absolu c’est à dire une rupture du flux, une sidération collective, un moment non immédiatement récupérable.

Le spectacle en a besoin pour se relancer, mais il est aussi menacé par ce qui échappe au script. Debord montrait comment le spectacle masque le réel mais Baudrillard, lui, montre comment le terrorisme force le réel à réapparaître avant d’être, lui aussi, recyclé.

Chez Baudrillard, le monde bascule dans le régime des simulacres. Il n’y a plus de référent stable, seulement des régimes de réalité concurrents. Les guerres, les crises climatiques, les catastrophes écologiques sont surexposées en images tout en restant invisibilisées dans leurs infrastructures matérielles. Graphiques, scénarios, produits financiers “verts” produisent un simulacre de maîtrise. La distinction entre simulation utile et simulacre cynique devient presque impossible car les deux parlent le même langage visuel.

Les États-Unis occupent une position singulière dans cette configuration car Hard power militaire, soft power culturel et pouvoir narratif s’y combinent.

Chaque intervention est doublée d’un traitement symbolique avec think tanks, séries, films, IA produisent les cadres interprétatifs avant même que les faits ne se stabilisent.

La guerre devient immédiatement récit. Le terrorisme apparaît alors comme le miroir sombre de l’hégémonie occidentale avec même logique de globalisation, même circulation médiatique, même usage de la mort. Il n’est pas l’ennemi barbare, mais le double du système.

Ce régime de simulacre prépare la transition vers une autre forme de gouvernement que Mhalla appelait mais de façon moins poussé et précise la fluxcratie.

Le pouvoir ne s’impose plus depuis un centre mais il se respire comme un milieu.

Les flux de données, d’images, de capitaux deviennent l’élément dans lequel les existences se déplacent. Résister ne consiste plus à s’extraire naïvement comme l’écrit Asma Mhalla, mais à apprendre à dériver lucidement à l’intérieur.

L’IA n’est pas un simple outil car elle devient un environnement cognitif. Ceux qui contrôlent les data centers, les GPU et les pipelines d’entraînement contrôlent une part croissante de la production symbolique mondiale. L’augmentation humaine, le post-humanisme, la marchandisation du corps prolongent cette logique donc refuser l’augmentation ne signifie pas sortir du système, mais y occuper une position spécifique.

À l’échelle géopolitique, cette transformation s’articule à des faux retours d’empires. Il ne s’agit pas d’une restauration classique, mais d’une réactivation par la démographie, la dette, les frontières et les flux. Natalisme, contrôle des corps, dette souveraine, sanctions financières deviennent des instruments de gouvernement.

Les diasporas jouent alors encore une fois un rôle central que ce soit dans les flux financiers, le lobbying et évidemment les mémoires post-coloniales.

Elles sont en effet indispensables et suspectées tout à la fois.

La dette fonctionne comme culpabilité politique avec les agences de notation, les marchés obligataires imposent des contraintes qui se traduisent en politiques concrètes sans jamais apparaître comme des décisions souveraines.

L’empire contemporain n’a plus besoin de coloniser car il contrôle les règles de circulation. Le dollar, les systèmes de paiement, les sanctions extraterritoriales suffisent.

Les forums économiques mondiaux jouent aujourd’hui indirectement le rôle de parlements invisibles car rien n’y est voté, beaucoup s’y décide.

Les réseaux post-soviétiques, les flux de capitaux russes, turcs, moyen-orientaux ou chinois s’y entremêlent aux architectures financières européennes. Impossible de tracer une frontière nette entre intérêt national et réseaux transnationaux. L’empire agit désormais par confiscation de bilans plutôt que par conquête de territoires.

Ces architectures pourraient donner l’illusion d’un pouvoir abstrait, désincarné, fait de réseaux, de données et de récits. Pourtant, aucune de ces forces ne s’exerce dans le vide. Les flux finissent toujours par se déposer quelque part. L’algorithme s’incarne. La géopolitique s’infiltre dans l’intime.

Ce qui apparaissait ici comme circulation globale (argent, attention, images, normes automatisées) ne devient réel qu’au moment où cela touche les corps dans notamment la fatigue, la sexualité, la santé, le travail, les stigmates. Il n’existe pas de flux sans chairs pour les porter, pas de souveraineté numérique sans vulnérabilités à exploiter.

Donc il faut maintenant changer d’échelle dans notre analyse pour compléter cette réflexion, non de registre. On y verra comment ces puissances globales se reterritorialisent dans les expériences vécues, là où argent et pouvoir cessent d’être des structures pour devenir des destins corporels.

Corps, genres et marges: là où argent et pouvoir deviennent expériences vécues

En effet lorsque le pouvoir se dématérialise en flux, il ne disparaît pas mais redescend. Il s’incarne. Il se dépose dans les corps, les genres, les trajectoires sociales, les fatigues et les stigmates.

Ce qui semblait abstrait (algorithmes, marchés, normes, géopolitique) trouve toujours un point d’appui charnel. Le pouvoir contemporain ne gouverne pas contre les corps, mais par eux. Il n’y a pas de circulation sans chairs pour la porter, pas d’architecture sans vulnérabilités pour la rendre opérante. La violence devient alors mimétique car chaque acteur reprend les formes de l’autre avec images, indignations, récits jusqu’à l’escalade, sans jamais réintroduire un véritable dehors symbolique.

Dans les rapports entre hommes et femmes, cette incarnation est immédiate.

L’argent y apparaît comme une tentative de souveraineté affective. On le voit notamment avec ce qu’on appelle vulgairement la “fuck you money” qui fonctionne moins comme richesse que comme capital d’immunité c’est une capacité de dire non sans sanction, de ne plus dépendre, de ne plus demander, de ne plus exposer la vulnérabilité. Elle agit comme une compensation symbolique face à la peur de l’abandon, à la honte du besoin, à l’angoisse du déclassement. Ce fantasme traverse le célibat, le mariage, le divorce et remplace alors l’estime de soi par la solvabilité, et érige une virilité supposée souveraine, affranchie de toute dette affective.

Cette logique s’inscrit dans une psychologie masculine du capital marquée par le vieillissement et la perte progressive de capital physique et symbolique.

Car là où la force, la promesse professionnelle ou l’aura sociale déclinent, l’argent devient prothèse. L’argent donc permet d’acheter du temps, de l’admiration, de la disponibilité sexuelle, des signes de jeunesse.

Simmel l’avait déjà montré et pour lui l’équivalent général permet de racheter des fragments de vie, sans jamais dissiper le doute fondamental sur la nature du désir obtenu. La précarisation des classes moyennes, l’instabilité professionnelle, la difficulté d’accès au logement nourrissent une anxiété virile profonde que certains compensent par la dépense ostentatoire, d’autres par le retrait cynique, souvent accompagné d’un ressentiment projeté sur les femmes, accusées d’être vénales ou intéressées.

L’argent agit alors comme anesthésiant affectif parce que payer permet de court-circuiter la peur du rejet, d’abolir symboliquement le “non”. Mais cette maîtrise monétaire renforce paradoxalement la dépendance au capital car plus le contrôle est acheté, plus grandit l’angoisse de n’être rien sans lui.

Ces scripts ne sont pas spontanés. Ils sont produits et exportés par un soft power viriliste massif avec films, séries, rap, formats courts, podcasts masculins construisent un imaginaire où la réussite se mesure en pouvoir d’achat, en niveau de partenaire, en lifestyle.

Des hommes socialement précarisés se jugent ainsi à l’aune d’une élite fictive globalisée, ce qui creuse l’écart entre capital réel et idéal viriliste.

La transmission joue alors ici un rôle central parce que, seules certaines configurations matérielles permettent la projection familiale. Capital immobilier, temps disponible, sécurité économique conditionnent la reproduction.

Dans les familles diasporiques, cette transmission s’exerce souvent par pression affective et dans les couples précaires, elle se bloque, faute de temps, de logement et de sécurité.

C’est dans cet espace que s’inscrivent OnlyFans, le sugar dating et la prostitution contemporaine. Le discours d’empowerment masque une infrastructure massivement masculine qu’on peut observer dans les plateformes, moyens de paiement, capital technologique, cadres juridiques.

Les flux financiers d’ailleurs restent asymétriques car investisseurs et intermédiaires captent l’essentiel de la valeur, tandis que les créatrices assument l’exposition, le harcèlement, la fragilisation réputationnelle. Le choix existe, mais il s’inscrit dans une architecture déjà décidée. L’argent circule alors sur une ligne de fracture entre deux vulnérabilités, à la fois la solitude masculine et la précarité féminine. D’un côté, des hommes paient pour une intimité simulée ; de l’autre, des femmes monétisent des fragments d’elles-mêmes pour survivre à court terme, sans garantie à long terme.

Ces échanges relèvent d’un potlatch intime avec dépense, don, humiliation, revanche symbolique. Ils rejouent des scripts anciens sous couvert de transgression.

Marx et les féministes matérialistes ont montré comment couple, mariage et famille assignaient historiquement les rôles de sacrifice et de reproduction de plus, Sowell rappelle que ces institutions transmettaient aussi des normes de discipline, d’épargne et de responsabilité intergénérationnelle. Les plateformes numériques recombinent ces rôles avec la femme qui écoute, rassure, valide et l’homme qui pourvoit et sécurise. Le neuf n’est souvent qu’un recyclage marchand de l’ancien.

Oui. Voici un développement dense, continu et argumenté, intégrant l’ensemble des éléments médiatiques connus, les controverses, les dispositifs de formation/coaching, le parallèle avec Baricco, le miroir littéraire de Bel-Ami, et l’analyse du double standard de genre, sans affirmation diffamatoire, sans prêter d’intention, et en restant strictement sur ce qui est documenté, débattu ou observé publiquement.

Le double standard de genre apparaît avec une netteté presque pédagogique dans la trajectoire de Jordan Bardella, précisément parce qu’elle condense, à un degré rarement atteint, la conversion d’un capital relationnel étroitement situé en ascension politique fulgurante, sans que cette conversion ne soit jamais lue comme dépendance, instrumentalisation ou faveur. Là où une trajectoire féminine analogue aurait immédiatement été soupçonnée de sexualisation, de promotion indue ou de compromission intime, celle-ci est présentée comme un mélange de mérite personnel, de talent communicationnel et de charisme naturel.

Les faits, tels qu’ils sont établis par les médias, sont pourtant relativement simples. Jordan Bardella n’est ni un héritier économique, ni un produit classique des grandes écoles. Il ne dispose pas, au départ, d’un capital scolaire exceptionnel ni d’une longue expérience professionnelle hors politique. Son ascension repose d’abord sur une entrée très précoce dans un appareil partisan fortement centralisé, le Front national puis Rassemblement national, structure historiquement organisée autour de la transmission interne, de la loyauté personnelle et de la mise en avant de figures symboliquement compatibles avec une stratégie de dédiabolisation. Ce premier point est essentiel car son ascension ne se fait pas dans un champ ouvert, mais dans un écosystème où la proximité avec le centre décisionnel vaut capital.

À ce capital organisationnel s’ajoute un capital relationnel déterminant, sa relation intime et durable avec une descendante directe de la famille fondatrice du parti (Nolwenn Olivier, nièce de Marine Le Pen et petite-fille de Jean-Marie Le Pen). Cette relation, abondamment documentée par la presse people et politique, n’a jamais été présentée comme un levier de carrière, mais comme une donnée privée sans incidence politique. Or, dans n’importe quelle autre configuration sociale, une telle proximité aurait été analysée comme un facteur structurel d’accès aux ressources avec visibilité, protection, crédibilité interne, légitimité symbolique. La neutralisation immédiate de cette dimension révèle le double standard car ce qui serait disqualifiant ou suspect chez une femme est rendu invisible chez un homme.

La construction de l’image publique constitue le second pilier de cette trajectoire. Jordan Bardella est l’un des premiers responsables politiques français à avoir bénéficié de manière systématique de programmes de formation à la prise de parole, à la posture corporelle, à la gestion émotionnelle et à la présentation médiatique, financés dans le cadre de dispositifs liés à ses fonctions européennes. Ses formations, parfois désignées dans la presse comme du media training ou du coaching exécutif ont fait l’objet de controverses documentées, notamment autour de l’utilisation de crédits européens destinés à l’activité parlementaire pour des prestations relevant davantage de la construction personnelle et de l’image que du travail législatif stricto sensu. Les procédures sont en cours ou ont été examinées, les interprétations divergent, et aucune condamnation définitive ne permet d’affirmer un détournement établi. Mais le point sociologique demeure, l’investissement massif dans la fabrication d’une aisance, d’une culture de surface et d’une crédibilité corporelle est assumé, financé, professionnalisé et jamais disqualifié moralement.

Cette dimension rejoint directement l’analyse d’Alessandro Baricco. Dans Les Barbares, Baricco décrit une mutation où la profondeur cède le pas à la circulation, où l’autorité ne repose plus sur l’épaisseur doctrinale ou l’expertise accumulée, mais sur la capacité à naviguer, à apparaître au bon endroit, au bon moment, avec le bon format. Jordan Bardella incarne parfaitement cette figure, non pas un idéologue structuré, mais un interface politique optimisé, capable de passer du plateau télévisé au format TikTok, du discours institutionnel à la punchline virale. La culture acquise n’est pas encyclopédique, elle est fonctionnelle avec éléments de langage, références minimales, maîtrise du rythme médiatique. Baricco parlerait ici d’un “barbare premium”, non pas extérieur au système, mais parfaitement adapté à ses nouvelles règles de surface.

Le parallèle littéraire avec Bel-Ami de Maupassant s’impose alors presque mécaniquement. Comme Georges Duroy, Jordan Bardella n’accède pas au pouvoir par la maîtrise technique d’un champ, mais par la conversion de relations, d’apparence, de présence et de narration de soi. Duroy apprend à se tenir, à parler, à séduire les salons, à absorber une culture qui n’est jamais digérée mais restituée à bon escient. Il ne vole pas mais il circule.

Il ne crée pas mais capte.

Ce qui fait scandale chez Maupassant, ce n’est pas l’ambition, mais le silence social qui l’entoure, tout le monde sait, personne ne nomme. La même logique est à l’œuvre ici, à ceci près que le soupçon moral a disparu. Ce qui était cynisme est devenu professionnalisme. Ce qui était arrivisme est devenu “talent”.

La question du genre est centrale dans cette transmutation symbolique. Si une femme politique avait bâti une carrière sur une proximité intime avec un héritier du pouvoir, sur un travail intensif de coaching corporel financé par des fonds publics, sur une mise en scène esthétique soigneusement calibrée, la lecture médiatique aurait été radicalement différente. Les termes de “promotion”, de “dépendance”, de “mise en avant par relation” auraient envahi l’espace public. Dans le cas masculin, ces mêmes mécanismes sont traduits en “charisme”, “modernité”, “efficacité communicationnelle”. Le capital esthétique devient leadership. Le capital relationnel devient réseau. Le capital corporel devient assurance.

Ce renversement éclaire dans une société de flux, que l’argent ne sert plus seulement à acheter des biens ou du temps, mais à produire une personne publiquement crédible.

Le coaching, la formation accélérée, l’apprentissage de la détente, de la posture, de la culture “présentable” ne sont pas des artifices mais ce sont des investissements. Ils transforment un individu en produit politique circulable. Là encore, le genre décide de la lecture morale, chez l’homme, il s’agit d’optimisation et chez la femme, de marchandisation.

Jordan Bardella devient ainsi un cas-école. Non parce qu’il serait exceptionnel, mais parce qu’il rend visibles des mécanismes désormais banalisés. Il incarne la figure bariccienne du politique-surface, le Bel-Ami sans scandale, le produit d’un système qui a déplacé la valeur de la profondeur vers la circulation. Son parcours n’est ni une anomalie ni une fraude, il est cohérent avec les règles du jeu contemporaines. C’est précisément ce qui le rend si révélateur.

À l’échelle géopolitique, cette logique se prolonge dans la séduction comme arme diffuse. L’histoire de Mata Hari ( espionne entre la France et l’Allemagne et courtisane de la première guerre mondiale) en constitue la démonstration tragique. Loin de l’image de la femme fatale toute-puissante, elle incarne une illusion d’empouvoirement, une croyance qu’un corps, un charme ou une relation intime peuvent offrir une protection politique.

Son engagement dans le renseignement procède d’un enchevêtrement d’amour ( elle tombe amoureuse d’un soldat russe et se range du côté français) , de besoin d’argent ( car son amant Russe veut l’escroquer) et de naïveté stratégique. L’intime précède le géopolitique, et s’y brise. Dans la logique des États en guerre, elle devient une variable sacrifiable, trop visible pour être protégée, trop marginale pour être défendue, trop sexualisée pour être crue. Son exécution révèle une constante, l’État n’honore pas l’utilité intime, il l’efface lorsqu’elle devient gênante. La séduction n’est pas une arme, elle est souvent le lieu où les États règlent leurs comptes, puis effacent les traces.

Ce schéma se retrouve dans un soft power de l’intime plus contemporain(mariages, compagnes, maîtresses, hôtesses et escortes) fonctionnent comme vecteurs d’influence à bas bruit. Le dîner romantique croise la réunion de lobbying. La frontière entre relation sincère et instrumentalisation devient indécidable, ce qui fait précisément l’efficacité du dispositif. Les femmes impliquées portent l’ambivalence maximale entre mobilité et accès à des mondes fermés, mais aussi suspicion, violences symboliques et exposition médiatique. Le coût de cette influence est largement supporté par les corps féminins.

Le monde du travail constitue un autre lieu central de cette incarnation. L’entreprise fonctionne comme un micro-État avec hiérarchies, disciplines, sanctions, évaluations. Le management devient alors technologie de pouvoir et les algorithmes RH instaurent une notation permanente avec KPI, reporting, surveillance du télétravail.

Les plateformes organisent des États privés où la survie économique dépend de scores opaques. Les syndicats s’affaiblissent face à la financiarisation, laissant l’entreprise comme champ politique sans élections.

Dans les banlieues, le pouvoir s’exerce par le stigmate car l’identité « banlieusarde »fonctionne à la fois comme identité et comme plafond de verre. Les codes locaux comme les vêtements, l’accent, l’humour ou la musique sont consommés comme esthétique par le centre, tout en étant sanctionnés chez ceux qui les incarnent réellement. C’est une cannibalisation culturelle car en effet, l’exotisme urbain est rentable, les corps qui le portent restent punissables.

Quand les capitaux scolaire et économique manquent, le corps devient ressource principale dans notamment le sport, le rap, la livraison, les petits boulots et parfois délinquance. Ce corps est évalué, contrôlé, parfois brutalisé. Il ouvre des échappatoires, mais enferme souvent dans des rôles subalternes.

La sagacité populaire se heurte au mépris institutionnel. Naviguer entre codes du quartier, de la famille et des institutions produit fatigue, colère, humour noir, mais aussi une créativité récupérée par ceux qui stigmatisent. Cette fatigue s’étend au champ de la santé et des addictions. Le monde contemporain administre le vivant par la gestion du risque. Assurance, biométrie, données génétiques transforment le corps en gisement de données. La surmédicalisation, déjà anticipée par Knock, convertit chaque inquiétude en opportunité de prescription. Le bien-être devient obligation, la santé un KPI personnel. Ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens d’optimiser leur corps sont doublement pénalisés.

Les addictions apparaissent alors comme techniques d’ajustement (alcool, psychotropes, stimulants, drogues récréatives)  et permettent de tenir dans un monde accéléré.

Rosa, Ehrenberg et Han ont montré comment la fatigue d’être soi, la responsabilité infinie et le sentiment de retard structurent ces conduites.

La dimension post-coloniale dans ces adicction est centrale car les routes impériales des drogues ont façonné le présent. L’Occident criminalise ce qu’il a historiquement produit, puis le revalorise sous forme premium pour classes aisées.

Les familles diasporiques cumulent pression de réussite, discriminations et soutien financier transnational donc la société célèbre leur résilience tout en vendant les produits qui permettent d’encaisser l’invivable.

Dans ce monde anesthésié, le terrorisme apparaît alors comme geste limite. Il n’est pas idéologie, mais réponse symbolique, il est refus de l’anesthésie et choix de la mort comme message.

Là où le système optimise, il réintroduit une asymétrie radicale. Le terrorisme n’est pas l’ennemi du système mais la réponse symbolique d’un monde qui n’a plus de dehors, plus d’altérité, plus de négatif.

Le champ artistique illustre enfin la persistance de verticalités sous couvert d’horizontalité. Derrière le discours de la “famille” artistique se cachent des féodalités avec producteurs-rois, metteurs en scène tout-puissants, tolérance des abus tant que l’aura et la rentabilité demeurent. Les mouvements de dénonciation deviennent des risques réputationnels chiffrables, intégrés à la rationalité économique. Même la morale se transforme en ligne de provision. Les élites se recyclent et la condamnation devient épisode narratif, capital symbolique supplémentaire.

Face à ces architectures, des contre-formes émergent, coopératives, communs, contentieux climatiques, monnaies locales, syndicats recomposés, collectifs féministes et diasporiques.

Elles ne constituent pas un dehors pur, mais des bifurcations fragiles.

Ce texte n’échappe pas à ce qu’il décrit.

Il circule, il est susceptible d’être recyclé, résumé, instrumentalisé. C’est précisément là sa preuve. La vérité contemporaine n’est pas ce qui convainc, mais ce qui survit à sa propre récupération. Chez Baricco, la surface est une manière d’habiter le monde. Chez Baudrillard, elle devient stratégie de pouvoir. L’écriture se tient volontairement dans cette zone instable à la fois consciente de la disparition de la profondeur, et pourtant décidée à exister quand même.

Pour conclure et au terme de cette réflexion, une chose se détache, l’argent n’agit pas seulement comme un “moyen” qui influencerait le pouvoir de l’extérieur, mais comme une forme qui organise ce qui compte, ce qui se voit, ce qui se croit, et même ce qui se vit. Il distribue des vitesses (temps acheté, temps subi), des crédibilités (langue, diplômes, codes), des immunités (“fuck you money”), des corps légitimes et des corps suspects.

Autrement dit, il ne se contente pas de peser sur les institutions, il pré-écrit une partie des conditions dans lesquelles les institutions pensent être neutres.

Mais ce constat ne conduit pas à une vérité confortable. Si le pouvoir circule désormais comme évidence, alors le décrire revient à entrer dans la logique même qu’on critique car c’est produire des schémas, des récits, des modèles et risquer de transformer la lucidité en contenu, donc en capital.

C’est précisément là que l’objet se retourne, au sens baudrillardien, la critique est aspirée par le système des signes qu’elle dévoile, et l’“universel” se reconduit parfois comme simple label moral, recyclable à l’infini.

Reste pourtant une exigence, ne pas renoncer à nommer. Non pour restaurer un réel pur (il n’y en a pas), mais pour repérer les régimes de réalité qui s’emboîtent, le matériel (infrastructures, budgets, énergie), le normatif (droit, institutions, procédures), le symbolique (spectacle, récit, valeurs), et le vécu (fatigue, honte, accélération, désir). Là se situe la ligne commune, à la fois une vigilance sur ce qu’un modèle peut dire et sur ce qu’il fait disparaître et une attention aux médiations sociales concrètes (travail, classes, organisation), et une lucidité baudrillardienne sur la manière dont le système digère même la contestation.

Ce texte, en ce sens, n’offre pas une solution, mais propose plutôt une lecture qui assume sa fragilité, parce que la fragilité est ici un critère de vérité. Si le pouvoir moderne n’a plus de dehors, alors l’enjeu n’est pas de se placer “au-dessus” du monde pour le juger, mais de comprendre comment il fabrique de l’évidence et comment, parfois, l’évidence peut être fissurée.

Deux pistes s’ouvrent, qui permettraient d’aller plus loin sans retomber dans la morale ni dans le désespoir, avec par exemple une épistémologie politique des modèles, car si l’argent et le pouvoir opèrent désormais via des indicateurs, des scores, des algorithmes, des métriques d’attention, alors la question devient, qu’est-ce qu’un modèle fait au réel ?Klein inviterait à traiter ces dispositifs comme des instruments qui sélectionnent un monde, pas comme des miroirs. Donc, il faudrait peut-être analyser les “preuves” contemporaines (data, dashboards, audits, compliance) comme des technologies de réalité, pas comme des descriptions neutres.

On pourrait également envisager, une théorie matérialiste des flux, Stéphane Haber pousserait probablement, à ne pas laisser la critique au niveau du simulacre. Il faudrait alors peut-être re-matérialiser la circulation (chaînes logistiques, énergie, câbles, data centers, finance offshore, droit des plateformes, travail invisibilisé du care et du micro-travail) . L’enjeu est de comprendre comment l’hyper-symbolique repose encore sur du lourd, du lent, du coûteux et comment ces infrastructures sont devenues le véritable terrain de la souveraineté.

Entre ces deux pistes, Baudrillard poserait la question la plus dérangeante, à quel moment la critique devient-elle l’un des carburants du système ? Ce qui oblige à inventer une posture moins héroïque et plus précise, non pas “démasquer” une fois pour toutes, mais apprendre à reconnaître les moments où le réel résiste encore avec par exemple, une panne, une fatigue, un conflit non convertible, une parole qui ne se laisse pas réduire à une métrique.

Le politique à venir ne sera peut-être pas d’abord une conquête d’institutions, mais une reconquête des conditions de réalité, c’est à dire, ce qui mérite d’être compté, vu, cru, transmis dans un monde où l’équivalence a remplacé le sens, et où l’universel, faute d’être habité, s’est mis à circuler comme une marchandise.

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