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Billet de blog 11 septembre 2017

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Protéger les communs : vers la reconnaissance dans le droit des limites de la planète

Tiré d'une intervention effectuée au nom d' endecocide.eu auprès de l'IHEST, juin 2017. Il n’existe pas d’approches juridiques sans approche philosophique de la planète et du monde que nous habitons. L'enjeu de définir les communs et de mettre en place le système juridique global pour les protéger constitue ainsi à notre sens l'enjeu majeur qui se pose aux philosophes et aux juristes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le terme de « communs » désigne plusieurs éléments. D'une part, les communs de la connaissance. Lorsque l’on porte un regard historique, on se rend compte que les communs de la connaissance apparaissent au même moment que la prise de conscience du dérèglement climatique et des atteintes graves à la planète qui peuvent être irréversibles. C'est-à-dire, et d'autre part, qu'ils émergent en même temps que la prise de conscience de l'existence de communs naturels planétaires comme l'air et le climat, les océans, les matières premières... Il existe par ailleurs une autre sorte de communs : les communs territorialisés (paysages, fleuves, pierres, montagnes, arbres, etc.) qui sont en capacité d’être mis en gestion par des êtres humains dans une sorte de co-gestion démocratique sur les territoires. L'approche de ces trois types de commun structure largement les réflexions aujourd'hui menée sur nos modèles de société et la forme et les compétences que doivent prendre les administrations publiques.

Du constat de l'impunité au défi de la responsabilité

Les communs planétaires, renouvelables ou non renouvelables, sont par nature non appropriables et malgré tout susceptibles et sujets de dégradations pouvant mettre en danger la survie de l’humanité (l’air, l’eau, les océans, la biodiversité, etc.). Il devient dès lors nécessaire, au niveau de la communauté internationale, de mettre en place de nouvelles règles et normes pour gérer ces différents communs.

Aujourd’hui, de nombreux pollueurs agissent en toute impunité, qu’il s’agisse d’Etats, de personnes privées ou d’individus. Des écosystèmes sont menacés. Prenons quelques exemples. En 2006, dans l’affaire du Probo Koala, les responsables de la décharge de près de 600 tonnes de déchets toxiques n’ont absolument pas été punis pour avoir déversé ces déchets mais pour avoir manqué de révéler la nature de ces derniers. Il n’y a donc pas de punition. Comme le droit international n’existe pas encore, on se renvoie le problème de juridictions en juridictions. Idem pour Chevron Texaco en Equateur où des juridictions équatoriennes, américaines, etc. se renvoient la balle sans souhaiter juger le cas sur le fond. Nous sommes donc dans une situation d’impunité absolue où les amendes qui peuvent être données aux pollueurs sont extrêmement peu élevées. Dans l’affaire du Probo Koala, l’amende s’élevait ainsi à 1 million d’euros pour une entreprise affichant un chiffre d’affaire de 73 milliards d’euros. Difficile de ne pas considérer cet écart comme immoral. Idem à Fukushima où l’on a construit un mur de 10 mètres autour de la centrale alors que toutes les recommandations scientifiques indiquaient la nécessité d’un mur de 13 mètres : personne n’est puni, personne n’est jugé. Nous sommes dans une situation où la question environnementale ne permet pas d’établir une responsabilité réelle de l’être humain. Pour faire référence au tribunal Monsanto qui a rendu ses conclusions ces jours-ci, Bayer n’a jamais été réellement puni pour l’utilisation de néo-nicotinoïdes mettant en danger la biodiversité existante, ni d’ailleurs Monsanto pour ses OGM mettant en danger la santé de l’être humain. Les exemples de ce type sont pléthore. Il est donc urgent d’établir cette responsabilité juridique au niveau international, faute de quoi, nous serons tou-tes victimes et, d’une certaine manière, tou-tes coupables de ce qui arrive à l’environnement.

Un nouveau droit pour la Terre, une citoyenneté mondiale

Depuis 1945, un droit international est né et supposé permettre de dépasser les droits des Etats, des unions d’Etats et des traités internationaux, pour établir des normes globales et fondamentales pour préserver l'humanité et réguler notre utilisation de la planète.

Le paysage juridique international s’est constitué autour de la question de la propriété – c’est une des questions que l’on remet en cause avec la question des communs – mais aussi autour de la question de la guerre. Dans Le Contrat naturel Michel Serres reprend l'image du tableau de Goya où l’on voit deux personnes qui s’entretuent en train d’être absorbées par la boue et où, en réalité, on comprend que tous les conflits qui ont eu lieu entre les être humains pour des questions notamment de propriété et de survie ont eu comme victimes, tacites et muettes, la planète terre et les ressources. On comprend aussi que cette planète Terre est responsable des conflits de propriété entre les humains, notamment l'accès aux ressources. Il existe donc un lien intrinsèque très fort entre les situations de guerre et la question de la préservation de la planète. La Terre est la laissée-pour-compte à la fois de ces guerres mais aussi de la politique en tant que moyen détourné de poursuivre la guerre. Quelle philosophie et quelle architecture juridique peut-on mettre en place pour tenir compte de cette nécessité de préserver les communs ?

Je vais m’appuyer sur ce qu’explique Mireille Delmas-Marty lorsqu’elle évoque l’idée de citoyenneté mondiale ainsi que sur ce que rappelle Valérie Cabanes, la porte-parole de notre mouvement, lorsqu’elle indique qu’il nous faut mettre en place de nouvelles valeurs pour asseoir un socle juridique. Ces nouvelles valeurs portent notamment sur la question de la citoyenneté globale qui implique de mettre en place de nouveaux droits et de nouveaux devoirs, à la fois par rapport à l’environnement mais aussi par rapport aux générations futures. Nous savons aujourd’hui que toute atteinte à un écosystème à un endroit de la planète a des implications sur l’ensemble de la planète et donc sur la survie de l’humanité. Pour l’instant, nous sommes dans un droit qui est bidimensionnel avec, d’une part, des droits civils et politiques et, d’autre part, des droits économiques et sociaux. Nous devons ajouter une troisième dimension au socle en vigueur actuellement, tenant compte à la fois de l’environnement et des générations futures afin de préserver une vie authentiquement humaine sur Terre, pour reprendre les propos d’Hans Jonas dans Le principe responsabilité. Le droit international reconnaît déjà en partie ces principes, qui figurent même parfois dans des traités internationaux, mais sous forme de droit mou, c'est-à-dire de droit non encore reconnu comme contraignant.

Mettre en place un tel droit, c'est d'abord distinguer ce qui relève du civil et du pénal, du régulier et de l'extraordinaire. En effet, nous ne pouvons prétendre qu'une société idéale existerait, dans laquelle les actions de l'humain n'impacteraient pas du tout la nature. Il s'agit donc d'établir une gradation entre ce qu'il est possible de faire, ce qu'il est possible de faire dans la mesure où cela peut être réparé, et ce qui doit être pénalisé car mettant en danger la survie même des écosystèmes et de l'humanité, c'est-à-dire des communs planétaires.

La notion de limites planétaires a été théorisée de manière scientifiquee en 2009 à l’université de Stockholm. L’équipe de Johan Rockström a en effet mis en place 9 limites planétaires pour délimiter l’espace dans lequel l’être humain reste en sécurité par rapport aux atteintes portées à la planète. Ces neuf limites planétaires sont les suivantes : le changement climatique, le taux de diminution de la biodiversité, l’interférence humaine avec les cycles d’azote et de phosphore, la diminution de la couche d’ozone, l’acidification des océans, la consommation mondiale d’eau douce, la question du changement d’exploitation des sols, la pollution chimique et la pollution atmosphérique par les aérosols. On considère que des atteintes et dépassements à ces neuf limites planétaires constituent une atteinte très grave, voire irréversible, à l’environnement et que ce sont ces atteintes là que l’on doit pouvoir punir de la même manière que l’on punit les crimes contre l’humanité. Nous devons donc établir des droits et des devoirs de l’être humain pour respecter ces limites planétaires.

Comment fonder notre monde et son organisation sur ces nouvelles valeurs

Le droit international est né entre des Etats, souvent autour de questions de frontières, d’accès à des ressources, de règlements de guerre, de différends, etc. Il s’est ensuite élargi à la question commerciale. A partir de la fin du XIXe siècle, certaines notions émergentes de droit international vont progressivement faire tâche d’huile et se retrouver dans la plupart des traités. Ce sont ces questions qui sont à l’origine du droit international tandis que les Etats construisaient une espèce de hiérarchie de normes de valeur, de droits, de devoirs. Mais, à force de faire tâches d’huile, ces traités internationaux ont contribué à forger des principes qu’on appelle des « principes coutumiers » comme le principe de précaution, le principe de prévention, etc. Tout cela créé de la doctrine et même du droit dur. On peut faire référence à ces principes même s’ils ne sont pas inscrits dans un traité contraignant, mais il est important que le droit national reconnaisse leur validité. Dans le droit international, le schéma est le suivant : soit on a un traité international qui prévoit une cour qui est rattaché à ce traité - on pourrait par exemple imaginer que l’accord de Paris soit adossé à une cour qui puisse être saisie par les Etats afin de vérifier que les Etats respectent bien leurs engagements de trajectoire d’émission – soit on s'appuie sur les juridictions nationales, ayant parfois compétence universelle (c'est-à-dire pouvant être en mesure de juger d'actes commis à l'extérieur de leurs frontières).

En 1966, deux Pactes internationaux ont été adoptés (le PIDCP, Pacte international relatif aux droits civiles et politiques, et PIDESC, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), qui ont force contraignante. L'une des solutions pour protéger les communs planétaires serait ainsi de faire adopter par les Nations-Unies un troisième Pacte relatif à l'environnement, ce à quoi s'est notamment attelé Yann Aguila qui devrait présenter ce Pacte à l'Assemblée générale de l'ONU fin septembre 2017. Ce Pacte devra se positionner en équilibre entre différentes approches de l'environnement, notamment entre les approches occidentales – faisant référence aux devoirs de l’être humain par rapport à l’environnement en tant qu’objet – mais aussi des approches axées sur les « droit de la nature » consistant à passer de la nature en tant qu’objet à la nature en tant que sujet, une nature qui pourrait aller en justice.

Ces droits de la nature ne sont pas utopiques. En Inde par exemple, il a récemment été imaginé de donner des droits à l’Himalaya ou aux fleuves, pour signifier la non appropriabilité des ressources et la nécessité d’avoir une gestion en commun de ces ressources. Lorsque l’on dit que la nature en tant que sujet peut porter plainte, c’est une manière figurative de parler similaire à celle employée lorsque l’on propose de donner des droits à des animaux, des bébés ou des personnes séniles ou handicapées mentales. Non pas que je confonde ces éléments, mais que cela se pose en justice de la même manière : via la question de tuteurs. On rejoint ici les propositions de Bruno Latour sur la mise en place d'un parlement des choses.

Une deuxième manière d’établir un droit international contraignant consiste à multiplier les jurisprudences au niveau national. Pour prendre l’exemple de la justice climatique, j’ai fondé Notre affaire à tous pour plaider pour la responsabilité de l’Etat par rapport à la lutte contre le dérèglement climatique. Nous avons des associations frères et sœurs un peu partout dans le monde. Notre idée est que chacun, dans son pays, parvienne à établir cette responsabilité afin que, par ricochet, nous puissions établir une jurisprudence très élevée. Sans même qu'il soit besoin d'une cour pour appliquer l'Accord de Paris, nous souhaitons ainsi donner de fait la possibilité à chaque juridiction nationale la possibilité de vérifier la concordance des actes des Etats avec leur responsabilité climatique.

Une solution : la reconnaissance des écocides

L’approche de End Ecocide on Earth est un peu différente puisqu’elle consiste en la reconnaissance des écocides et l’inscription de ces derniers comme 5ème crime le plus grave au sein du statut de la cour pénale internationale.

Qu’est-ce donc qu’un écocide ? Le terme écocide vient du mot « éco » qui signifie « la maison », « oikos » en grec et du mot « cide » qui signifie « tuer » en latin. Littéralement, lorsque l’on tue la maison. En ce qui nous concerne, nous considérons que l’on tue la maison lorsque l’on dépasse les limites planétaires précédemment évoquées, et que l’on endommage les communs planétaires qui permettent notre survie. De la même manière que le préjudice écologique se traduit par une nomenclature des dommages à l'environnement, le PNUE pourrait ainsi être chargé de mesurer la gravité des actes à partir du socle scientifique que constituent les neuf limites planétaires de Rockstrom. Un écocide est ainsi un endommagement grave et étendu d’un ou de plusieurs écosystèmes ou leur destruction qui peut avoir des conséquences sur plusieurs générations et sur la survie de l’humanité. On croise ici de nombreux droits existant : droit à un environnement sain, droit des peuples autochtones, droit à la vie privée, ou encore droit des générations futures.

Le terme écocide apparaît en 1971 au moment où, au Vietnam, on fait une utilisation très forte de dioxyde, d’herbicides, de pesticides, d’OGM, venant détruire l’environnement. Cela donne lieu à une déclaration du premier ministre suédois Olof Palme, au sujet de l'agent orange, mais aussi à l’inscription dans la déclaration de Stockholm de l’interdiction des atteintes à l’environnement dès lors qu’en temps de guerre elles sont commises intentionnellement pour détruire les capacités de l’humain à survivre. Nous sommes donc là dans un crime qui est non autonome, autrement dit lié à la paix et à la guerre. La préservation des communs de manière autonome est ainsi absente. La question de la reconnaissance de l’écocide est inscrite à l’agenda de la Commission du droit international des Nations Unies qui est chargée d’élaborer les statuts de la Cour pénale internationale. Mais parce qu’elle vient remettre en cause les intérêts financiers et politiques des pays, elle finit par être retirée en 1998 des travaux de la commission et disparaît de l'agenda international. En 1971-72 elle est toutefois intégrée à la loi du Vietnam et, à partir de 1979, à de nombreuses constitutions des pays de l’ex-URSS. Vous pensez certainement que ce n’est pas pour autant que l’on a arrêté les crimes contre l’environnement. C’est vrai. Mais quoi qu’il en soit, dans une dizaine de pays aujourd’hui, l'écocide est reconnu dans le droit.

Nous devons donc changer l’organisation des instructions judiciaires, tenir compte du principe de précaution et du principe de prévention de la mise en risque. Nous devons étudier la dangerosité d’une technologie quand on la met en place et pas seulement une fois qu’elle a fait des dégâts. J’ajouterai que lorsque l’on se situe dans l’ordre du pénal, on se situe de fait dans l’ordre du préventif. Le but n’est donc pas seulement de punir mais aussi de prévenir.

Nous avons besoin qu’un seul des 122 Etats parties de la CPI soit prêt à demander de considérer les atteintes graves à l’environnement comme des écocides, puis que 81 Etats votent en sa faveur. Nous avons failli convaincre la France en 2015, au moment de la COP21, à travers la Déclaration des droits de l'humanité commandée par François Hollande à Corinne Lepage. Une discussion s'était alors ouverte sur le sujet, mais le Ministre des affaires étrangères Laurent Fabius avait alors introduit des réserves en rappelant que la reconnaissance des écocides mettait en danger l'industrie nucléaire, et donc les intérêts économiques de la France. On s’est donc retrouvé dans la même situation qu’en 1998, à l’époque où la Belgique et les Etats-Unis avaient décidé de ne pas porter cette proposition parce qu’elle remettait en cause des intérêts particuliers.

Nous ne considérons toutefois pas qu’une telle démarche est utopique. En témoigne, la publication par la procureur de la Cour pénale internationale d’un document de politique générale relatif à la sélection et à la hiérarchisation des affaires qui indique que l’on peut désormais intégrer de manière non autonome dans le cadre des crimes les plus graves la question des atteintes à l’environnement, notamment dans des crimes impliquant ou entrainant des ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles ou l’exploitation illicite de terrains, ou des déplacements de population. Notre proposition est plus ambitieuse puisqu’il s’agit également d’établir cette responsabilité y compris lorsqu’elle est commise de manière non intentionnelle, comme dans le cas de l’accident de l’Erika. Quoi qu’il en soit, c’est là un premier pas qui montre bien la prise de conscience grandissante de cette nécessité.

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La nécessité de la protection des communs introduit dans nos sociétés une vraie rupture. C’est une question globale dont les citoyens doivent se saisir en changeant également profondément leur regard et en modifiant leurs habitudes. Une nouvelle valeur civique qui doit naitre dans nos vies quotidiennes

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