Cela me coûte intimement de m’exprimer à propos du parti pour lequel je milite depuis 2017.
Que l’on soit clair, je ne demande pas la destitution du député Eric Coquerel.
Aucune féministe ne peut prétendre à quelconque forme de pureté militante concernant la gestion des violences sexistes et sexuelles. Toutefois, des choix doivent être faits.
La question que je me pose, en tant qu’ancienne victime de violences sexistes et sexuelles, c’est pourquoi il n’y a pas eu d’enquête interne au moment où les faits pénalement répréhensibles concernant un député ont été dévoilés au parti ? S’il s’agit d’un manque de formation initiale, cela doit être corrigé. Depuis 2017 et #MeToo, nous apprenons chaque jour à écouter la parole des victimes et à réaliser des sanctions disciplinaires en accord avec le droit du travail mais également avec l’éthique politique que nous nous sommes fixé.
La question qui est cruciale aujourd’hui en politique c’est : que faire lorsque l’on porte à notre connaissance des faits de harcèlement sexuel, d’agression sexuelle ou de viol ? Il faut statuer sur la parole des victimes ou des personnes ayant eu des échos de la part des victimes.
Plusieurs possibilités sont à notre portée :
Agit-on seulement s’il y a une plainte ? Cela n'a pas été le choix de la France Insoumise dans le cas de l’affaire Taha Bouhafs et ce choix a été largement salué par les féministes dans le sens où peu de victimes peuvent se permettre de porter plainte et d’aller en justice, ce qui a été entendu par le parti.
Agit-on seulement s’il y a témoignage direct de la part des victimes ? C’est une possibilité tentante, mais si les victimes sont terrorisées à l’idée de parler, doit-on continuer l’omerta et être dans le “tout le monde savait” ? Cela dépasse le seul cadre du député incriminé. C’est une question plus générale sur la gestion de la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles. Pendant plusieurs mois, sur l’affaire PPDA, nous nous sommes collectivement insurgés que personne n’ait pris en considération les bruits de couloir. Combien de victimes directes ou indirectes faut-il pour écarter une personne accusée ?
Alors, à quel moment agissons-nous ? C’est en répondant à cette question que nous avancerons collectivement. Des choix vont devoir être faits, une méthodologie claire doit être créée et il n’y a pas de bonne solution, ou du moins des solutions qui n’impliquent pas un courage politique. Aussi, y a-t-il au sein de la France Insoumise un règlement qui empêche les violences sur les jeunes militantes ?
En décrédibilisant d’office la parole des victimes présumées d’Eric Coquerel, en parlant de rumeurs, comment voulez-vous qu’une victime puisse se sentir assez en confiance pour réussir à parler de violences subies par une personne influente ? Les choix des mots sont politiques. La rumeur est une alerte connotée péjorativement.
Seulement, nos témoignages de violences sexuelles commencent toujours par des rumeurs. Les affaires portées par Médiapart commencent toujours par des rumeurs. Notre sécurité se crée par ces rumeurs. Alors, servent-elles à briser la carrière politique d’un homme ou servent-elles à nous protéger, entre femmes, de violences tristement banales ?
La portée politique des rumeurs, c’est la protection informelle des femmes entre elles. Parce que nous n’avons que ça, face à une justice défaillante.
Quelle image renvoyons-nous politiquement et publiquement aux victimes de violences sexuelles lorsque tout un groupe politique se met à défendre une personne accusée ?
Nous ne pouvons plus jamais utiliser l’argument du complot politique concernant les accusations de violences sexuelles sur des membres de nos partis. Sinon, quelle est la différence entre la droite réactionnaire et nous ?
Vous dites dans votre communiqué ne jamais avoir reçu de signalement concernant Eric Coquerel. Pourtant, ces accusations circulent dans les milieux militants depuis 2018. La cellule a-t-elle vocation à être une chambre de résonance des témoignages reçus ou peut-elle s’autosaisir pour convoquer des enquêtes internes ?
Autant, je pense que n’importe quelle personne peut comprendre le désarroi de se retrouver sans éléments concrets, autant le procès fait sur les rumeurs n’a pas de sens.
Pour revenir à la phrase finale du communiqué de la cellule dédiée aux violences sexistes et sexuelles à la France Insoumise et aux déclarations du député Manuel Bompard : est-ce le rôle d’un parti politique de décider quelles sont les bonnes actions à mener en tant que militantes féministes pour faire entendre une parole discréditée d’avance ?
Dire que les accusations portées contre Eric Coquerel viennent à la suite de son élection à la Commission des Finances est mensonger. Toutes les féministes présentes sur les réseaux sociaux ont pu voir son nom circuler depuis plusieurs mois, bien avant le cas de Taha Bouhafs, comme peut en témoigner l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique qui, a plusieurs reprises, a tenté d’alerter la France Insoumise sur cette question.
Je fais confiance à toutes les féministes qui sont affiliées à la France Insoumise et à la NUPES pour porter une voix radicale de lutte contre les violences sexuelles et contre l’impunité des hommes accusés, avec ou sans plainte, avec ou sans témoignage direct. Nous en avons besoin. Le chantier des droits des femmes est immense. Il faut commencer à charbonner dès aujourd’hui. Ayons le courage politique nécessaire.
Aujourd’hui, en tant que militante féministe proche de la France Insoumise, je me pose beaucoup de questions. J’espère que vous saurez y répondre. Nous ne sommes qu’au début de la lutte féministe sur les violences sexistes et sexuelles. Nous avons besoin d’une lignée claire. Sachons y répondre. Les enjeux sont grands, les attentes aussi.
Pour terminer, si notre discours politique sert l’omerta et à la silenciation des victimes par le discrédit porté à des “rumeurs”, nous ne pouvons plus nous revendiquer féministes ni même prétendre être dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Ressaisissons-nous.