Il était le rythme des Stones. Le pouls sur lequel Mick Jagger et Keith Richards pouvaient se déhancher. Le coeur qui battait tout en retenue et en élégance. The Drummer est parti. Le visage émacié comme ciselé à coups de serpes, le costume toujours élégant. Charlie Watts avait le geste précis "Impassible, la mise impeccable, il avait une frappe implacable" écrit Olivier Nue dans le Figaro, " c'était le plus élégant des mauvais garçons".
Le plus sage en apparence, peut-être, le moins tourmenté, sans doute pas :" Je suis moi-même seulement quand je suis à la maison. Les interviewes m'assomment, je n'arrive pas à m'exprimer dedans" expliquait-il dans un des rares entretiens donnés à la télévision française en 1971, " c'est dur d'être un artiste, il y en a qui sont morts pour cela d'autres, d'autres se coupent des oreilles", confiait-il, avec un léger sourire et un humour très british. Obstiné, méticuleux, il pouvait passer des heures à la recherche du bon tempo, du geste juste, de la frappe absolument nécessaire et indiscutable. Pour certains des morceaux de l'album Sticky Fingers qui comporte, entre autres Brown Sugar ou Sister Morphine, il y a eu jusqu'à 60 enregistrements de la part du groupe, " la plupart du temps vous répétez ce que vous avez déja fait, et puis, arrive le moment où vous sentez que tout est là, tout est à sa place. L'instant est magique. C'est peut-être cela la perfection. Et c'est peut-être cela le bonheur, le moment si précis où on sent que la création se fait".
Keith Richards dit de lui dans sa biographie " Life" :" il est le lit dans lequel je pouvais m'allonger musicalement".
Pour Yves Bigot, directeur général de TV5 et grand spécialiste de musique "Charlie Watts était bien plus qu'un batteur dont le nom ne figurera pas dans la liste des meilleurs solos de batterie " il était le compas moral du groupe, son véritable moteur. Le rock est une affaire de ruptures, de déséquilibres et Charlie Watts permettait cela, la folie de Mick Jagger, les riffs insensés de Keith Richards. Pour que tout cela existe, il fallait la placidité et la rigueur de Charlie Watts".
"C'est lui qui gardait la pulse" confirme Manu Katché, "il maintenait l'édifice, il était le lien qui permettait à chacun de divaguer". Charlie Watts disait avoir un point de vue très anglais de la musique, inspiré par le jazz qu'il aimait tant. Aux roulements spectaculaires et aux envolées d'un John Bonham, il préférait, les baguettes à l'envers, le swing. D'ailleurs, lui qui avait appris la musique en autodidacte, ne se considérait pas comme un grand musicien :" je n'ai pas de grandes compétences techniques" reconnaissait-il " je rentre dans la musique au feeling. La plus belle reconnaissance" expliquait-il " c'est de voir les spectateurs bouger. Je préfère les voir bouger leurs pieds plutôt que de les voir hocher la tête en signe de satisfaction".
A plusieurs reprises, il était venu jouer à Paris avec son groupe les ABC& D and Boogie Woogie : "c'est moins fort que les Rolling Stones, c'est plus subtil, il faut réapprendre à écouter" lançait-il, avec un sourire amusé.
Curieusement, un des plus beaux hommages a été rendu par Rachel Garrido, l'ancienne porte-parole de la France Insoumise. L'avocate a raconté, au micro de RTL, comment la chanson des Stones, Ruby Tuesday, avait sans-doute, sauvé la vie de son père: "il était incarcéré, après le coup d'état du 9 septembre 1973. Il volait montrer à ses geôliers qu'il n'était pas un soutien de Salvador Allende et qu'il était proche des américains. Il leur a dit qu'il parlait anglais couramment. Comme la radio résonnait en bruit de fond, pour couvrir les bruits de tortures, l'un de ses gardiens lui a dit "et bien chante la chanson en anglais. Il s'agissait de Ruby Tuesday. Il l'a chanté, un sac sur la tête, les mains attachées derrière le dos".
Le secret des Stones, c'est Keith Richards qui le livre dans son autobiographie :"au début, je voulais qu'il tape plus fort, je le trouvais trop jazzy. Une fois qu'il a eu son style, il ne l'a plus lâché. J'arrive à jouer rien qu'en regardant le tempo de son pied. Il a cette façon de faire durer la mesure, un peu plus longtemps, c'est le secret du son des Stones. Il faisait un geste, un geste seulement et il suspendait le tempo". Good-bye sir.