Aujourd'hui, face à un élève en difficulté, la réponse est quasi systématique : « Consultez un orthophoniste. »
Ce réflexe, qui se veut bienveillant, est devenu un automatisme qui interroge.
Car l’orthophonie, loin d’être une réponse universelle, est un acte médical nécessitant une évaluation précise, rigoureuse et motivée.
Or, dans la réalité, certains professionnels prescrivent cinquante séances avant même qu’un diagnostic clair n'ait été posé. Un élève lit lentement ? Orthophonie. Il s'agite en classe ? Suspicion de TDAH. Il écrit mal ? Ergothérapie.
La machine est lancée, souvent sans retour possible.
Bien sûr, certains enfants présentent de véritables troubles :
La dyslexie, la dysphasie, la dyspraxie, le TDAH ou d'autres troubles cognitifs spécifiques existent et doivent être identifiés avec rigueur et accompagnés avec soin.
Mais il est crucial de rappeler que seul un médecin spécialiste — neurologue — est habilité à poser un diagnostic médical de dyslexie.
L'orthophoniste évalue, alerte, propose une rééducation adaptée, mais il ne pose pas de diagnostic médical ; le neuropsychologue explore le fonctionnement cognitif, mais lui non plus n'établit pas le diagnostic officiel.
Pour ces enfants, un diagnostic posé avec justesse est une délivrance : il éclaire leur fonctionnement, leur donne des outils adaptés, et restaure souvent une confiance malmenée.
Mais lorsque l'étiquette est posée à la légère, sans évaluation approfondie, elle devient un fardeau au lieu d'un tremplin.
Elle enferme l'enfant dans une identité de "malade" ou "d'inadapté", alors qu'il aurait parfois suffit d'une approche pédagogique différente, d'une écoute attentive, ou d'un soutien psychologique pour le remettre en mouvement.
À ce stade, le parcours des familles se complique : on leur suggère alors un bilan neuropsychologique. Un examen long, exigeant, et surtout coûteux : entre 300 et 600 euros, rarement pris en charge par la sécurité sociale.
Un investissement financier lourd pour des parents souvent démunis, et pas toujours éclairés sur la pertinence réelle de cette démarche.
Car non, tout enfant qui peine à l'école n'est pas dyslexique.
Non, tout enfant remuant n’est pas TDAH.
Non, tout enfant curieux n’est pas forcément HPI.
Rentre alors en scène le pédopsychiatre, espéré comme le garant du bon sens et de la prudence.
Après quelques séances d’observation et d’évaluation fine, il se rend compte que tous ces praticiens sont à côté de la plaque.
S’insurgeant contre ce diagnostic préétabli et cette avalanche de traitements non justifiés, il manifeste son désaccord.
Mais sa voix, pourtant éclairée et cruciale pour clarifier les véritables difficultés de l’enfant, est ignorée par un système qui privilégie les solutions administratives et les décisions hâtives.
Ce n’est pas un combat contre les professionnels du soin ; c’est un plaidoyer pour leur redonner leur juste place.
L’orthophoniste n’est pas un professeur de français bis. Le neuropsychologue n'est pas là pour combler les lacunes d’un système scolaire en difficulté. L’ergothérapeute ne devrait pas être appelé à la rescousse pour remplacer une pédagogie différenciée qui peine à se mettre en œuvre.
Et que dire du PAP — Plan d'Accompagnement Personnalisé — signé à distance, sans que l’enfant n’ait jamais été reçu en consultation ?
Ce qui devrait être un outil d'inclusion devient trop souvent une formalité administrative, sans évaluation réelle, sans réflexion de fond.
Puis viennent les bilans coûteux, les séances de rééducation en série, les protocoles d'adaptation matérielle…
Chaque nouvelle "aide" semble bonne à prendre — sans jamais résoudre le problème de fond : l'enfant est en difficulté parce qu’il est unique, et l'école a de plus en plus de mal à accueillir cette singularité sans la transformer en pathologie.
Le risque est grand : en voulant bien faire, on infantilise, on étiquette, on fige.
On traite des symptômes au lieu d’écouter ce qu'ils disent.
On oublie qu'apprendre est un cheminement parfois cahoteux, fait d'essais, d'erreurs, de doutes — et que l'échec scolaire n'est pas toujours l’indicateur d’une maladie.
Médicaliser sans discernement, c'est nier aux enfants le droit à la complexité, à l'imprévu, à l'imperfection.
Oui, il faut dépister, diagnostiquer et accompagner quand c’est nécessaire.
Mais non, tout enfant en difficulté n’a pas besoin d’un bilan médical avant même qu’on lui ait tendu la main.
Avant de prescrire, écoutons. Avant d’étiqueter, observons.
Avant de médicaliser, humanisons.
Les enfants méritent mieux qu’une succession de formulaires et de consultations.
Ils méritent qu'on prenne le temps de comprendre leur histoire, leur parcours, leur singularité.
Parce que derrière chaque "trouble" supposé, il y a d'abord et toujours un être humain en devenir.
Et si on repensait l’accompagnement autrement ?
Plutôt que de médicaliser à outrance, commençons par :
– Prendre le temps de l’observation pédagogique en classe.
– Associer les parents à la réflexion.
– Former les équipes à repérer sans étiqueter.
– Croiser les regards professionnels avant de prescrire.
– Redonner à l’enfant sa voix, sa temporalité, sa singularité.