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Billet de blog 10 novembre 2025

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Réforme du CPF : le bilan de compétences et toute une profession résiste à la vague

Derrière la réforme du CPF, c’est un espace essentiel du travail humain qui vacille : celui du bilan de compétences. Ce n’est pas une question de financement, mais de sens — et du droit de chacun à s’arrêter pour se réinventer.

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Réforme du CPF : chronique d’un effondrement silencieux du sens au travail — comment surfer la vague sans se laisser emporter

🚨 Breaking news : le bilan de compétences sauvé (provisoirement) du couperet budgétaire

Par Anne Marinho, coach de carrière et fondatrice du collectif Entre 2 Kairos

Illustration 1
Image générée avec ChatGPT — Apprendre à surfer la vague du changement plutôt que la subir : trouver son équilibre entre ombre et lumière, mouvement et lucidité. © Anne Marinho

Le 9 novembre 2025, la commission des Finances de l’Assemblée nationale a adopté l’amendement CF2608 dans le cadre du Projet de loi de finances 2026.
Cet amendement a supprimé les alinéas 3 à 9 de l’article 81 — ceux qui prévoyaient la fin de l’éligibilité du bilan de compétences au CPF.

Source officielle : Assemblée nationale — Amendement n° II-CF2608 (PLF 2026, article 81)
🔗 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/1906C/CION_FIN/CF2608

Autrement dit : le retrait du financement CPF n’est pas acté à ce stade.
Le texte initial du gouvernement, qui visait à recentrer le CPF sur les seules formations certifiantes, a été corrigé en commission sous la pression des acteurs du terrain.

Mais rien n’est gagné : la réforme entre maintenant en débat public à l’Assemblée, avant de passer au Sénat.
Le sort du bilan de compétences reste suspendu, et avec lui, une profession entière.

Ce léger sursis ne doit pas masquer l’essentiel :
que ce soit par suppression ou par fragilisation, c’est tout un écosystème du sens au travail qui tangue.
Et au cœur de cette tempête, les indépendant·es du lien et de la transformation — coachs, formatrices, accompagnant·es — sont en première ligne.

Le gouvernement prépare une réforme du Compte Personnel de Formation (CPF) qui pourrait exclure le bilan de compétences de son champ de financement.

Derrière ce dispositif apparemment technique, c’est tout un écosystème humain, social et féminin qui vacille.

UN DISPOSITIF HUMAIN PLUS QU’ADMINISTRATIF

Le bilan de compétences n’est pas une formation parmi d’autres.
C’est un sas de respiration, une parenthèse dans la course, un moment suspendu entre deux vies professionnelles.
Un espace où l’on se retrouve avant de se réinventer.

En 2022, plus de 120 000 bilans ont été réalisés selon France Compétences.
Et 73 % des bénéficiaires affirment que cette démarche a profondément changé leur rapport au travail (APEC).

Dans un pays où 2,5 millions de salariés sont en détresse psychologique (Technologia, 2023), ce temps d’introspection a une valeur inestimable.
Le supprimer, c’est retirer la seule soupape de celles et ceux qui ne peuvent plus continuer à “tenir” sans comprendre pourquoi.

UN MÉTIER DE FEMMES, DU SOIN ET DU LIEN

Derrière le mot “coach”, on trouve surtout des femmes.
Des femmes souvent en seconde partie de carrière, issues du management, des RH ou de la psychologie, qui ont choisi la liberté plutôt que la sécurité.

Leur vocation : transmettre, écouter, accompagner la transformation des autres tout en assumant leur propre vulnérabilité.

Le CPF n’était pas un luxe, mais souvent le socle minimal de stabilité économique.
Selon l’INSEE (2023), près de 40 % des femmes indépendantes gagnent moins qu’un SMIC.
Si le financement des bilans disparaît, beaucoup perdront le moyen d’exercer leur métier — et, avec lui, le sens même de leur engagement.

Ce ne sont pas des prestataires. Ce sont des passeuses de sens.

DES STRUCTURES ENTRE TREMPLIN ET FRAGILITÉ

Les centres de bilans ont permis à des milliers de coachs d’exercer leur vocation.
Mais leur modèle économique reposait sur un équilibre fragile : visibilité et volume d’un côté, précarité et dépendance de l’autre.

Cette réforme agit comme un révélateur de ces déséquilibres structurels :
un système construit sur la flexibilité des indépendants, soudain privé de son oxygène.

Aujourd’hui, tout l’écosystème tremble : les plateformes, les consultants, les coachs terrain, les bénéficiaires.
Les uns comme les autres paient le prix d’une réforme pensée sans concertation réelle avec le terrain.

LE PARADOXE FRANÇAIS

Cette réforme illustre un paradoxe politique.
On prône l’employabilité, la mobilité, la reconversion,
mais on retire aux citoyens la possibilité de prendre du recul.

On parle de “valeur travail”, tout en aseptisant ce qui permet encore d’en questionner le sens.

C’est tout le dilemme d’un modèle qui glorifie la performance,
mais méprise la pause réflexive, pourtant essentielle à toute transformation durable.

Le travail n’est plus pensé comme un espace de développement, mais comme une obligation d’efficacité.

ANECDOTE DE TERRAIN : LA VALEUR INVISIBLE DU MÉTIER

Un jour, on m’a demandé :
“Tu n’as pas l’impression de t’être planquée derrière la réussite des autres que tu accompagnes ?”

Je me souviens avoir répondu avec un sourire :
“Est-ce qu’on demande à Philippe Lucas de nager comme Laure Manaudou ?
À Didier Deschamps s’il a été un meilleur joueur que Zidane pour mener l’équipe de France à la victoire ?”

Mon métier n’est pas de briller à leur place.
C’est de les aider à renaître à eux-mêmes.

Je me plais à dire que je suis une sage-femme du sens :
j’aide les autres à accoucher d’une version plus juste, plus alignée, plus vivante d’eux-mêmes.

Et si c’est ça “rater sa vie”, alors j’ai merveilleusement raté la mienne.

DERRIÈRE CHAQUE BILAN, DES VISAGES

Derrière chaque “bilan de compétences”, il y a une histoire.

Marie, qui s’est relevée d’un burn-out en créant un projet pour ne plus laisser d’autres tomber.
Romain, qui a retrouvé la flamme et renoué avec son rêve d’enfant.
Aurélien, 25 ans d’expérience, écarté pour “insuffisance professionnelle”, et qui a reconstruit un projet à sa mesure.
Emmanuelle, médecin, persuadée d’être condamnée à un métier qu’elle n’aimait plus “parce qu’elle avait choisi”.

Ces personnes se sont redressées, ont retrouvé de l’élan, de la confiance, une direction.

Ce que nous faisons n’a rien d’anecdotique.
C’est un travail de réparation invisible, une forme d’écologie humaine.

UNE VAGUE QUE NOUS REFUSONS DE SUBIR

“Dans crise, il y a opportunité.”
Et comme je le dis souvent :
“Ceux qui voient la vague arriver sont ceux qui surfent sur la vague.”

Cette vague, nous la voyons venir.
Et nous refusons de la subir.

Cette crise peut devenir le moment d’un kairos — ce moment opportun où tout peut basculer.
Elle nous oblige à repenser nos modèles, à unir nos forces, à remettre du collectif là où le système isole.

ENTRE 2 KAIROS : UN ESPACE COLLECTIF ET SOLIDAIRE

Face à ce constat, j’ai fondé Entre 2 Kairos, un collectif solidaire pour les coachs, accompagnants et professionnels du sens.

Un espace d’intelligence collective, d’écoute et de co-création,
pour réfléchir ensemble à la mutation de nos métiers et au futur du travail de l’accompagnement.

Nous y partageons des retours de terrain, des analyses, des ressentis,
et nous explorons de nouvelles voies d’action : hybridation des modèles, mutualisation, éthique du lien.

L’entre-deux, c’est symboliquement là où nous en sommes : suspendus entre deux ères.
Le kairos, en grec ancien, c’est le moment juste — la fenêtre où peut naître une transformation profonde.

Entre les deux, il y a ce que nous faisons : tenir l’espace du possible.

CE QUE CETTE RÉFORME DEVRAIT INSPIRER

Et si cette réforme devenait un révélateur ?
Et si, au lieu d’éteindre le bilan, elle nous poussait à redéfinir notre rapport au travail ?
À repenser la valeur du sens, la place du collectif, la dignité des transitions ?

Il ne s’agit pas d’un combat pour un financement.
Il s’agit d’un combat pour une vision :
celle d’un monde du travail où l’humain reste au centre.

Le bilan de compétences n’est pas une dépense.
C’est un investissement collectif dans la lucidité, dans la prévention, dans la santé du lien.

Supprimer ce temps, c’est amputer notre capacité à évoluer.

À PROPOS DE L’AUTRICE

Anne Marinho
Coach de carrière et bilan de compétences
Fondatrice du collectif Entre 2 Kairos

Un collectif solidaire dédié à la réinvention professionnelle des coachs et accompagnants,
à travers des espaces d’échange, de soutien et d’intelligence collective.

“L’entre-deux, c’est là où tout bascule.
Le kairos, c’est le moment où tout devient possible.”

SOURCES ET RÉFÉRENCES

France Compétences, Rapport d’activité 2022
APEC, Étude 2023 sur les effets du bilan de compétences
INSEE, Portrait des travailleurs indépendants (2023)
Technologia, Baromètre de la détresse psychologique des salariés (2023)
Assemblée nationale — Amendement n° II-CF2608, Projet de loi de finances 2026, article 81
🔗 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/1906C/CION_FIN/CF2608


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