
Agrandissement : Illustration 1

La riposte Israélienne aux attaques du 7 octobre soulève de nombreuses questions éthiques, politiques et juridiques. Parmi elles, la conformité au droit de la guerre du siège et du bombardement de Gaza occupe une place prépondérante dans le débat public. Dans ce débat, l’essentiel des discussions porte à ce jour sur la conduite des hostilités, l’armée israélienne étant notamment accusée de frapper les populations civiles de manière indiscriminée et disproportionnée.
Si les voix dénonçant les violations par Israël du droit international humanitaire se font de plus en plus nombreuses, une idée semble en revanche ne souffrir aucune contestation : Israël a le « droit de se défendre » contre l’agression du Hamas. Cette notion est, sans surprise, un élément central de la propagande de guerre israélienne. Mais elle est reprise également, souvent sans nuance ni véritable justification, par les alliés et soutiens d’Israël, même lorsqu’ils émettent par ailleurs des critiques sur la catastrophe humanitaire en cours à Gaza. Ainsi le Président Macron, tout en exhortant Israël à une réponse proportionnée et conforme au droit international, affirmait-t-il le 27 octobre que « tous les États convergent pour reconnaître le droit d’Israël de se défendre ». Tout se passe comme si cette idée allait de soi et comme si, malgré de possibles infractions au droit humanitaire, Israël menait à Gaza une guerre qui – dans son principe et sa finalité – est une guerre juste puisque conforme au droit de légitime défense.
Droit international et légitime défense: quelques point de repère sur le droit de la guerre
Cette idée n’a pourtant rien d’évident en droit international, et ce pour au moins trois raisons. Il convient d’abord de noter que le droit international humanitaire, qui régit la conduite des hostilités et limite les moyens de guerre pouvant être utilisés en situation de conflit armé, est indifférent aux motifs de guerre. Les lois de la guerre sont d’égale application à tous les belligérants, qu’ils mènent une guerre juste ou injuste au regard du droit international. Autrement dit, un État faisant usage légitime de la force – par exemple en application du principe de légitime défense – n’est pas dispensé de ses obligations dans la conduite des hostilités et sa responsabilité n’est en rien minorée s’il commet des infractions au droit de la guerre. Quand bien même Israël agirait à Gaza dans le plus parfait exercice de son droit à l’autodéfense, cela ne viendrait donc en rien atténuer la gravité des crimes dont il est accusé, s’ils sont avérés.
C’est toutefois la capacité même d’Israël d’invoquer ce droit qui pose question. Si le droit international reconnait incontestablement aux États le droit de faire usage de la force à des fins défensives, ce droit ne peut être invoqué que dans des circonstances bien précises. Notons d’abord que l’article 51 de la Charte des Nations Unies, qui consacre le « droit naturel de légitime défense », a classiquement été interprété comme n’autorisant la légitime défense qu’en cas d’agression armée « d’un État contre un autre État » (position rappelée par la Cour Internationale de Justice dans son avis de 2004 sur la légalité du mur de séparation israélien). Depuis les attentats du 11 septembre, certains États – Israël et États-Unis en tête – ont certes invoqué la légitime défense pour justifier des attaques contre des groupes terroristes (en Afghanistan, au Pakistan ou en Syrie). Ces attaques ont néanmoins fait l’objet de vives contestations et il n’existe à ce sujet aucun consensus international. En l’état actuel du droit, Israël ne saurait donc se prévaloir du droit de légitime défense contre une entité non-étatique telle que le Hamas, sauf à reconnaitre l’existence de l’État de Palestine et à lui attribuer la responsabilité des attaques du 7 octobre.
Mais c’est en réalité pour une raison plus fondamentale encore qu’Israël est empêché de se prévaloir du droit de légitime défense: dans le conflit qui l’oppose à la Palestine, Israël n’est pas, du point de vue du droit international, l’agressé mais l’agresseur. L’affirmation peut heurter, au regard des massacres perpétrés par le Hamas. Il faut pourtant, pour bien qualifier les faits juridiquement, accepter de regarder le 7 octobre dans le contexte global du conflit israélo-palestinien. Or ce contexte est celui d’un usage illégal et discontinu de la force par Israël depuis la fin de la guerre des six jours.
Un État faisant usage illégitime de la force ne peut se prévaloir de la légitime défense
De l’avis général, la guerre préemptive menée par en Israël en 1967 contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie n’avait aucune base juridique en droit international, la légitime défense « par anticipation » étant strictement circonscrite aux cas extrêmes où l’État a la certitude d’une attaque imminente (condition non remplie en l'espèce). L’occupation militaire de la Cisjordanie et de Gaza étant la continuation de la guerre de 1967, elle est entachée en droit international de la même illégalité. Le principe ex injuria jus non oritur prévoit en effet qu’un droit ne peut naître d’un fait illicite. Indépendamment de la manière dont elle est conduite, l’occupation israélienne est donc – dans son existence même – sans fondement en droit, puisqu’elle est le produit d’une guerre illégale.
Chaque jour que dure l’occupation des territoires palestiniens, Israël commet donc un usage illicite de la force, qui en droit est constitutif d’une agression. Or un État qui commet une agression ne saurait se prévaloir du droit de légitime défense lorsque les populations occupées se soulèvent contre lui, aussi sanglantes soient les attaques dont il fait l’objet. Le droit international reconnait aux puissances occupantes le droit de protéger leur population en usant de leur pouvoir de police. Mais il le ne leur reconnait pas le droit de réprimer militairement la riposte qui leur est opposée – fusse-t-elle de nature terroriste – en plaidant la légitime défense.
Il suffit pour s’en convaincre d’imaginer qu’un groupe de militants ukrainiens lance une offensive en territoire russe impliquant des attaques meurtrières et délibérées contre des civils. Ces attaques seraient assurément illégales en droit de la guerre. Mais elles ne donneraient pas à la Russie le droit d’intensifier son agression et son occupation de l’Ukraine en invoquant la légitime défense. Nul n’accepterait d’extraire ces attaques de leur contexte et de faire comme si la Russie était dans ce conflit l’agressé et non l’agresseur.
Conclusion
La Russie comme Israël, en tant qu’États souverains, ont incontestablement « le droit de se défendre » contre des menaces extérieures. Mais dès lors que ces menaces émanent de territoires qui font l’objet de leur part d’un usage illicite de la force, ils sont dans l’incapacité d’invoquer la légitime défense. Cela crée une difficulté majeure pour Israël, qui se voit privé du droit de répondre militairement à des attaques émanant des territoires palestiniens, même lorsqu’elles sont manifestement illégales au regard du droit de la guerre. Mais cette difficulté est le fruit de sa propre politique d’occupation et de colonisation. En violant de manière flagrante et systématique le droit international, Israël ne prive pas seulement les Palestiniens de leur droit à l’autodétermination. Il se prive lui-même, et sa propre population, d’un outil majeur d’autodéfense en droit international.