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Billet de blog 14 septembre 2025

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Fanfare populaire, arrestation arbitraire : récit d’une garde à vue absurde

Le 10 septembre dernier, j'ai choisi de participer à la journée de mobilisation pour protester contre la politique menée par le gouvernement et contre nombre de lois récentes auxquelles je suis fondamentalement opposée.

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Le 10 septembre dernier, j'ai choisi de participer à la journée de mobilisation pour protester contre la politique menée par le gouvernement et contre nombre de lois récentes auxquelles je suis fondamentalement opposée. 

À vélo, je me suis rendue au point de rencontre vers 14h où l'ambiance était joyeuse et festive ; aucun cortège ne s'était encore lancé et je naviguais entre les fanfares, chorales et ami.e.s réuni.e.s pour discuter. Puis nous avons quitté la place collectivement, dans une ambiance toujours bon enfant. Je me suis associée à un groupe qui chantait, accompagné par des cuivres et des percussions.

À peine quelques minutes après le départ et alors qu'aucune forme de violence ne s'était exprimée du côté des manifestant.e.s, nous avons été visé.e.s par des tirs de bombes lacrymogènes lancés par des CRS. Par dizaine, les palets incandescents s'abattaient sur les gens, les instruments de musique, les vélos et la panique s'emparait de la foule qui ne s'était pas du tout préparée à une telle attaque. Complètement aveuglée par le gaz, j'ai réussi à me mettre à l'abri dans le hall d'un immeuble aux côtés d'une femme qui présentait une brûlure au niveau de la poitrine, ayant reçu des projections brûlantes. La violence de la répression était aussi soudaine que violente et déjà à cet instant, j'étais traversée par l'incompréhension et un puissant sentiment d'injustice.

Retrouvant deux ami.e.s larmoyant.e.s à cause des gaz et abasourdi.e.s par la situation, nous avons rejoint une petite place à proximité pour débriefer de ce que nous venions de vivre et mesurer ensemble le niveau de répression mis en œuvre contre les personnes exprimant leur désaccord politique dans la rue. Une trentaine de minutes plus tard, apaisé.e.s, nous sommes finalement reparti.e.s avec un nouveau cortège et toujours aux cotés de la fanfare, espérant cette fois défiler plus paisiblement. Le scénario s'est alors répété et cette fois, les CRS ont longuement et violemment chargé, en plus d'envoyer des gaz lacrymogènes de manière effrénée. Nous avons été repoussé.e.s sur plusieurs centaines de mètres.

Après cet assaut, désorientée, je me suis retrouvée seule avec l'un de mes amis. Nous avons pris la direction de la place où mon vélo était garé. J'avais choisi de rentrer, choquée et résignée par le niveau de violence et de répression policière. J'imaginais déjà le traitement médiatique des évènements, à savoir un focus unique et amplifié sur les "casseurs" qui permettrait de résumer les actions du jour sous le seul angle des dégradations, faisant oublier toutes les questions de fond et les revendications des manifestant.e.s. 

Dans une rue non loin de l'endroit où se trouvait mon vélo, je cherchais dans mon sac les clefs de mon antivol en continuant à discuter avec mon ami, dans une atmosphère relâchée après cet épisode stressant. Nous avons aperçu un groupe de CRS non loin mais nous ne nous sommes pas souciés d'eux : tout était très calme, la rue était quasiment déserte et nous n'étions plus en train de défiler. En bref, nous ne nous sentions pas menacé.e.s.

Puis, sur le trottoir d'en face j'ai aperçu une ancienne stagiaire de mon lieu de travail ; elle était accompagnée d'une amie et toutes deux sortaient d'une pharmacie. Nous avons fait quelques pas pour nous saluer et à ce moment-là, deux CRS se sont jetés sur son amie et l'ont violemment plaquée au sol, à environ deux mètres de moi. La scène m'a paru surréaliste. Spontanément et alors que les policiers continuaient de la maintenir face contre terre, je me suis baissée pour lui demander si tout allait bien. J'ai alors senti des mains gantées me saisir chaque bras. Je venais d'être arrêtée à mon tour.

A partir de là, tout s'est accéléré : nous étions 3 femmes, entourées d'un grand nombre de CRS qui ont réalisé un contrôle de nos identités. Ils ont fouillé nos sacs et lorsqu'ils ont découvert des lunettes de piscine dans le mien (que j'avais pris en prévision d'éventuels gaz lacrymogènes, sans imaginer que nous en serions aspergés aussi rapidement et gratuitement), ils m'ont accusée d'être une casseuse en me tutoyant. Mes protestations ont été vaines et nous sommes restées près de ¾ d'heure contre un mur, entourées de ces hommes et femmes armé.e.s qui passaient des appels et s'échangeaient des informations. Puis, un fourgon est arrivé. L’annonce est tombée : nous étions placées en garde à vue.

Comme anesthésiée par l'incompréhension et la sidération, j'étais incapable de réaliser ce qu'il m'arrivait. Installées dans de minuscules cellules du véhicule, nous avons été amenées dans un commissariat de Lyon. Avant de descendre, une policière m'a tendu un document, me proposant de le signer. Il s'agissait de l'attestation de ma mise en garde à vue et je pus (enfin) en lire le motif : "dissimulation du visage dans le but de commettre un délit".

Il est difficile de décrire l'impression de chute dans le vide que produisit chez moi la lecture de ce pur mensonge rédigé noir sur blanc et signé par des représentants des forces de l'ordre quelques minutes plus tôt. Mais je devais me maîtriser, rester la plus calme possible et évidement garder le silence : j'étais placée en garde à vue, j'étais privée de mes droits.

Je ne me souviens plus dans quel ordre mais j'ai dû participer à l'inventaire des mon sac (qui contenait mon téléphone, mes clefs, mes lunettes de piscine, une gourde et une carte de bus) ; j'ai rencontré un OPJ qui m'a demandé de décliner mon identité ; j'ai été mise en cellule puis sortie pour voir une avocate (dont le nom m'avait été donnée par les deux jeunes femmes arrêtées avec moi ; avocate que je ne remercierai jamais assez) ; j'ai été sortie de nouveau pour être vue par un médecin, à ma demande; puis encore pour réaliser ma "signalisation" ( pas obligatoire mais dont le refus est passible d' 1 an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende) ; et enfin pour être auditionnée tard dans la soirée. J'ai choisi de garder le silence à ce moment-là même si face à certaines questions cela était extrêmement difficile, par exemple "pourquoi étiez-vous dans le cortège de tête ?" alors que mon arrestation avait eu lieu dans une rue quasiment déserte. 

C'est lors de ma rencontre avec l'avocate que je compris que j'allais rester enfermée au moins 24h; avant cela, je pensais encore que je serais libérée rapidement.

24h c'est long. Très long. Surtout dans cette cellule minuscule et poisseuse où un projecteur puissant s'allume de temps à autre, de jour comme de nuit. 24h ça laisse le temps de se refaire le film, de rager en pensant au motif mensonger, de sentir son cœur qui cogne dans sa poitrine et encore plus fort quand on entend le bruit des clefs dans les couloirs. Ça laisse le temps de craindre la suite, d'imaginer le pire. Ça donne aussi l'occasion d'analyser finement ce qui se joue dans ce pays et notamment le bâillonnement pur des personnes qui contestent et s'opposent au gouvernement, quand il ne s'agit pas de leur infliger des blessures physiques parfois graves.

24h ça laisse aussi la possibilité de méditer, de penser à celles et ceux qu'on aime, d'entonner des chants de lutte et d'espoir, de faire de l'exercice physique, d'adopter un regard sociologique sur les interactions à l'œuvre dans ce lieu de privation. Et puis ça donne du temps pour rêver de justice sociale, de solidarité, de respect de la dignité humaine, de lutte contre la pauvreté, de responsabilité collective, d'égalité de genre et de race, de respect de l'environnent, et tout le reste.

Ça reste malgré tout violent, humiliant, dégradant et dans mon cas comme dans beaucoup d'autres, totalement injustifié.

Le 11 septembre à 15h, un policier est venu me chercher. N'ayant pas réussi à fermer l'œil de toute la garde à vue ni à manger suffisamment, je me sentais complètement étourdie. Une OPJ m'a annoncée que j'étais libérée avec un non-lieu. "Infraction insuffisamment caractérisée", a t'elle ajouté. Après avoir signé le document attestant de la fin de ma garde à vue pour être certaine que je pouvais prendre la parole sans crainte, j'ai interrogé cette personne à propos du motif aberrant qui m'avait valu de vivre cette arrestation et cet enfermement arbitraire.

Elle m' a répondu que ma seule présence dans la rue à ce moment-là était déjà une infraction en soi et que la question était plutôt de savoir ce qu'une femme de 40 ans, mère de famille et cadre faisait dans la manifestation. Frappée par le désespoir face à cette réponse, j'ai quitté le commissariat. J'ai appelé mon conjoint et je suis allée récupérer mon vélo qui m'attendait sur la petite place où jouait la fanfare, la veille.

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