Les attaques dramatiques du 22 mars en Belgique ont ravivé un débat déjà ancien en France : comment punir les pires criminels ? Profitant d’un climat de peur et d’insécurité, à droite comme à gauche, il est à nouveau question de peine à perpétuité réelle pour les criminels qui commettent des actes terroristes. Alors que l'autorisation d'extrader Abdeslam vient d'être donnée, le Sénat a d'ailleurs approuvé hier un projet de loi étendant la perpétuité réelle aux terroristes.
En France la peine à perpétuité dite «réelle» existe pourtant depuis 1994 suite à l’affaire Tissier, impliquant le viol et meurtre d’une mineure de 8 ans. Fourniret, Blondiau et Bodein ont été condamnés à ladite peine pour des crimes similaires. Au regard de la loi, leur sentence ne pourra être revue que de manière «exceptionnelle» au bout de trente ans. Révision ne rime donc pas avec libération. Fourniret, Bodein et Blondiau mourront sans doute en prison. Dans les débats actuels, certains politiciens proposent d’étendre cette sentence aux criminels accusés d’actes terroristes et de repousser le droit à la révision jusqu’à cinquante ans ou même de l’interdire, tout simplement. Il s’agit donc non seulement de réhabiliter une peine rarement utilisée, mais également de l’étendre.
En matière pénale, légiférer dans l’urgence suite à des événements traumatiques est souvent lourd de conséquences en termes de legs juridique à long terme. Le cas des Etats-Unis et de l’utilisation d’une peine similaire, «life without parole» (LWOP),en est un exemple criant.
Il ne faut jamais oublier que la question de la peine de mort sous-tend les débats concernant la peine à perpétuité perpétuelle. Abolitionniste depuis 1981, la France fait office de modèle pour les adversaires de la peine capitale dans le monde entier, en particulier aux Etats-Unis. A l’époque, le ministre de la Justice, Robert Badinter, avait explicitement écarté la question de la peine de substitution, celle de l’emprisonnement à perpétuité, soulignant qu’on ne remplaçait pas la peine de mort par une autre forme de torture, on l’abolissait, un point c’est tout.
De l’autre côté de l’Atlantique, l’utilisation de la peine à perpétuité réelle a suivi un chemin inverse. L’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de révision, la LWOP, avait été introduit dans l’arsenal judiciaire dans les années 70 pour remplacer la peine capitale déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême. Aujourd’hui, la peine de mort vit probablement ses derniers instants aux Etats Unis : multiplication des erreurs judiciaires, manques de drogues pour les injections létales, coûts exorbitants des procès capitaux, évolution des mœurs et changement de génération en auront bientôt raison. De nombreux Etats, paniqués de ne pas avoir de sentences alternatives suffisamment punitives, introduisent en hâte la LWOP comme peine de remplacement : une peine suffisamment sévère que les jurés et juges n’hésiteront pas (plus) à imposer. Une peine de remplacement donc, mais une peine censée être moins cruelle et sévère que la peine capitale.
Quelque quarante ans plus tard, les Etats-Unis sont confrontés à une crise carcérale sans précédent. Un prisonnier sur neuf est condamné à la prison à vie. L’explosion de la population carcérale condamnée à la LWOP est en partie responsable du phénomène d’incarcération de masse. Entre 1982 et 2012, elle a quadruplé (et été multipliée par 40 en Californie). Aujourd’hui quelque 50 000 hommes et femmes sont condamnés à cette sentence. S’agit-il de Charles Manson (l’un des auteurs du meurtre de l’actrice Sharon Tate, enceinte de sept mois) ou Sirhan Sirhan (l’assassin de Bobby Kennedy) ? Absolument pas. D’ailleurs, l’ironie veut que ces criminels notoires soient condamnés à la prison à vie tout en étant éligibles à la révision de leurs peines. La majorité des condamnés à la LWOP sont pauvres, jeunes, ont été élevés dans la violence et exposés à la criminalité dès leur plus jeune âge. Ils ont commis des crimes certes, certains sont mêmes des meurtriers. Mais l’application de LWOP s’est propagée au-delà des crimes dits «capitaux». Certains ont été condamnés à la prison à vie pour avoir été complices d’une mort accidentelle, d’autres pour avoir vendu l’équivalent de 10 dollars de marijuana ou pour avoir volé des outils de jardinage. On est donc loin des meurtres prémédités, multiples et sanguinaires.
Les Français qui s’interrogent aujourd’hui ne doivent donc pas oublier que les sentences «imaginées» pour ceux considérés comme étant les pires criminels s’appliquent souvent aux populations les plus marginalisées.
En France la peine est conçue différemment: la peine à perpétuité réelle est considérée comme une sentence plus lourde, plus punitive. La question devient alors : qu’est-ce que la peine à perpétuité réelle ? Marque-t-elle un retour vers notre passé rétentionniste ? Comme la peine à perpétuité réelle aux Etats Unis est considérée comme une peine de remplacement, elle est perçue comme une peine moindre, un pas vers le progrès et la civilisation, une sentence progressiste. Certains groupes abolitionnistes célèbres, comme la fameuse American Civil Liberties Union en Californie du Nord, vont même jusqu’à soutenir et promouvoir la LWOP.
Lorsqu’une personne est condamnée à une telle peine, aucun changement, aucune évolution, aucun effort de réhabilitation ne seront pris en considération. Toute rédemption est niée ; il n’y a pas de seconde chance. Le criminel est comme cryogénisé au moment de sa condamnation. Le prisonnier sera également exposé à la violence carcérale pour le restant de ses jours. Ironiquement d’ailleurs, au vu du contexte dans lequel ce débat a lieu, la prison française est connue pour son effet radicalisant. Aux Etats-Unis, nombreux sont ceux qui tentent de se suicider. La sentence, en niant toute capacité de changement, enfreint les droits humains les plus basiques. Il n’est donc pas surprenant que certains prisonniers condamnés à mort s’opposent à la commutation de leur peine à la LWOP. Au-delà des considérations humanitaires, la punition soulève de sérieux problèmes liés au vieillissement des prisonniers condamnés à mourir derrière les barreaux. C’est également une punition qui requiert des coûts considérables.
La prison à perpétuité réelle est une sentence de mort. Il n’y a pas de drogue à injecter, de guillotine à activer. La mort est plus lente, graduelle, elle choque moins les mœurs et salit moins les mains de l’Etat et de la société. C’est une mort au compte-gouttes. Lorsque la France débat de la peine à perpétuité réelle, n’est-elle donc pas en train de réintroduire la peine de mort sous un autre nom ? Une version 2.0, l’échafaud du XXIème siècle ?
(version écourtée publiée sur Libération.fr)