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Billet de blog 1 juin 2024

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Le droit humanitaire, la Suisse et la Palestine : récit d'un double standard

Le droit international humanitaire est jeté dans un gouffre, notre humanité avec lui, nous laissant assister de manière béate à un massacre que nous, citoyen·nes, ne pouvons stopper. Il est temps que la Suisse prenne ses responsabilités et conscientise la violence des doubles standards qu’elle favorise dans sa politique extérieure.

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Au moment où j’écris ces mots, selon l’UNICEF, près de 40'000 gazaouis ont été tués, victimes d’une répression armée dont la violence marque un changement de paradigme mondial. Au moment où j’écris ces mots, Rafah et les camps humanitaires de l’UNRWA, seules zones pourtant désignées comme « sûres », sont bombardées. Une ville où plus d’un million de personnes se sont retirées sans nulle part d’autre où aller qui ne soit déjà champs de ruines. 48 heures seulement après l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice de cesser immédiatement son offensive. Peut-on encore croire à la soi-disant volonté d’épargner les vies civiles ?  Dans ces conditions, le sifflement des bombes n’est-il pas en réalité l’annonce de la mort imminente des civils palestiniens ?

« Il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant la commission d’actes de génocide à l'encontre des Palestiniens de Gaza a été atteint : meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; et soumission délibérée du groupe à des conditions d'existence calculées pour entraîner sa destruction physique totale ou partielle. » Francesca Albanese, rapporteure spéciale aux questions palestiniennes en territoires occupés, terminait ainsi son rapport sur les exactions commises par le gouvernement Netanyahu. La réponse suisse ? Reconnaître à Israël « son droit à la légitime défense » sans jamais condamner les actes de déshumanisation commis par les colons israéliens. Refuser devant le Conseil de Sécurité d’octroyer à la Palestine le statut de membre de l’ONU, et donc d’État. Enfin, couper tout ou partie du financement prévu à l’UNRWA, en déclarant vouloir « prendre le temps d’analyser en détail » le nouveau « rapport d’enquête Colonna », blanchissant l’agence onusienne de collaboration dans les attentats. Aujourd’hui pourtant, face au génocide avéré, le peuple palestinien n’a pas « le temps ». 

Ce rapport soulignant les efforts déployés en faveur de sa neutralité, n’est pas le premier qu’Ignazio Cassis décide d’ignorer. Contraint en 2019 de collaborer avec l’organisation suite aux conclusions d’un rapport disculpant l’UNRWA, il déclarait déjà que l’organisation faisait « partie du problème ». Pourtant, ces rapports montrent l'importance du travail de l'UNRWA, seule capable d'apporter l’assistance dont les Palestiniens ont cruellement besoin. Ce n’est donc pas un positionnement étatique qui est défendu, mais une vendetta personnelle. Une position qui reprend mot pour mot la propagande du gouvernement Netanyahu - qui n’a pourtant fourni aucune preuve confirmant ses graves accusations contre l’UNRWA – et celle de la majorité bourgeoise du parlement, dont la majorité des représentants demandent que la Suisse coupe entièrement ses financements à l’UNRWA. Une position en rupture totale avec la tradition suisse.

À ce jour, il n’y a plus de mots assez forts pour dire l’horreur. Nos yeux ne peuvent oublier ce père tenant le corps décapité de son bébé, les corps adultes calcinés, les flammes, les cris, la panique, la terreur... et le silence de plomb de notre gouvernement. Silence malgré les accusations qui pourraient être lancées contre nous pour complicité de génocide ou de crimes de guerre. Véritable coup de grâce pour la tradition humanitaire suisse. Quant à sa neutralité, si chère à la droite conservatrice, elle volerait définitivement en éclat. Les décisions prises jusqu’ici face à ces crimes contre l’humanité placent la Suisse aux côtés de auteurs de ces crimes, représentant une rupture claire et dangereuse avec sa position traditionnelle aux-côtés du droit international humanitaire. Il est donc temps qu’elle prenne ses responsabilités et conscientise la violence des doubles standards qu’elle favorise dans sa politique extérieure.

Défendre le peuple palestinien n’est pas antisémite, tout comme ce n’est pas soutenir le peuple d’Israël que de s’aligner sur son gouvernement d’extrême droite. Du point de vue de la protection des droits humains, il est essentiel que le judaïsme ne soit nulle part associé aux politiques du gouvernement israélien actuel. La rhétorique nationaliste portée par le gouvernement Netanyahu est dangereuse et ne participe qu’à augmenter les violences. Ce autour de quoi nous devrions nous réunir est un sentiment d'inséparabilité morale entre la lutte contre l'antisémitisme et la lutte contre le racisme, ainsi que la liberté de tous les peuples.

En ce sens, la Suisse a très justement condamné les attentats du Hamas du 7 octobre qui ciblaient délibérément des civils. Pourquoi cette lâcheté dans la condamnation des bombardements de Netanyahu, d’une ampleur sans égale, qui ont déjà tué près de 2% de la population gazaouie ? Le droit international humanitaire est jeté dans un gouffre, notre humanité avec lui, nous laissant assister de manière béate à un massacre que nous, citoyen·nes, ne pouvons stopper. Toutes les mesures pour arrêter ces actions sanglantes, barbares et délibérées commises par les forces israéliennes doivent être prises, par la Suisse et par la communauté internationale. 

Toutefois, face à l’incapacité manifeste des politiques de répondre à ce nettoyage ethnique, il est déjà trop tard. Toutes les voix qui s’indignent contre ce monde qui se laisse sombrer sont légitimes, et essentielles, car elles ouvrent des brèches rendant ce rêve de justice encore possible. La lutte du peuple palestinien est structurante. Face à l’apathie, l’endormissement, l’habituation à la violence, elle doit nous ouvrir les yeux. De la rivière à la mer, la tâche de la communauté internationale est d’exiger un cessez-le-feu et de libérer le peuple palestinien vivant sous occupation, à la merci d’un gouvernement et de colons meurtriers agissant en toute impunité. C’est l’unique possibilité pour la Palestine de pouvoir mettre en œuvre son droit à l'autodétermination et choisir sa forme d'unité politique, dans le respect total du droit international et surtout des droits humains. 

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