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Billet de blog 2 avril 2022

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Le système Zemmour

Depuis plusieurs décennies, Eric Zemmour a construit une rhétorique et un modèle de pensée profondément réactionnaire, raciste et misogyne. Après l'avoir rodé de radios en plateaux télés, le polémiste l'organise aujourd'hui pour conquérir l'Elysée. Ce modèle possède des caractéristiques bien précises qu'il paraît bon de décrypter tant la spirale médiatique lui accorde une place prépondérante.

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Avant de plonger dans les méandres de l'idéologie zemmouriste, il paraît nécessaire de se poser une question simple (mais efficace) : qui est Eric Zemmour ? Nous ne retraçerons pas ici les 63 années d'existence du candidat d'extrême droite mais nous allons plutôt essayer de comprendre quelques points qui ont fondé les convictions du bonhomme.

Le petit Eric voit le jour le 31 août 1958 à Montreuil. Ses parents, ambulancier et mère au foyer ont quittés l'Algérie 6 ans plus tôt avec leurs parents et leurs fratries, passeports français en poche. La famille met alors un point d'honneur à s'intégrer sans conditions. Les grands-parents Zemmour, Liaou et Messouka sont même allés jusqu'a renoncer à leurs prénoms pour se faire appeler Justin et Rachel.

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© Eliot Blondet/Abaca

Dans cette famille juive séfarade, l'importance du patriotisme et de l'identité était donc toute particulière, comme le souligne Etienne Girard auteur du livre-enquête Le Radicalisé. Une communauté, qu' Eric Zemmour lui-même désigne comme « ultra-patriote », où on est Français avant toutes choses. Français avant d'être juif, comme quand sa mère, Lucette, lui demandait de ranger sa kippa dans sa poche en sortant de la synagogue. 

Si le jeune Eric est très proche de Lucette, la relation avec son père Roger est plus mouvementée. « Quand nous restions dans le verbe, j'avais le dessus sur lui. Quand il m'attrapait, cela se terminait par la ceinture » confie le premier intéressé à Libération en 2006. Cette relation l'a beaucoup influencé, notamment dans son rapport au rôle du père ou plus généralement de l'homme. Une vision où le monarque paternel est seul et unique dépositaire de l'autorité et où cette figure du père doit forger la virilité et le caractère du fils. « Quand on affronte son père, on devient un homme. Aujourd'hui, les jeunes n'ont plus de père à tuer. En me confrontant au mien, je me suis endurci, c'est pour cela que j'aime la bagarre » élabore le polémiste, toujours pour Libération. Des idées qu'il déploie dans son livre Le premier sexe (2006) et dont on aura le temps de reparler.

Refusé deux fois à l'ENA, Zemmour démarre sa carrière dans la pub avant de mettre un pied dans le journalisme au Quotidien de Paris. Une plume qui fera son chemin, souvent poussé par les polémiques et toujours en cassant les codes. 

LA FRANCE AUX FRANCAIS

Une des premières caractéristiques de la pensée zemmourienne, base même de son discours depuis de nombreuses années, madeleine de proust du polémiste : la lutte contre l'étranger. Nous tenons ici une des facettes les plus connues de son discours mais après des années d'invectives, il paraît important de se remémorer le fond de la pensée de monsieur Zemmour. Plus qu'une "préférence nationale", il agite le drapeau d'un « grand remplacement » à venir, d'une invasion d'immigrants venus en France pour imposer leur culture. « Nous vivons depuis trente ans une invasion, une colonisation, qui entraîne une conflagration », a-t-il affirmé dans l'émission C à vous en septembre 2016. Un concept théorisé par Renaud Camus, réfuté par les chercheurs pour ses incohérences voir ses absurdités statistiques, qui imprime pourtant le débat et a été à l'origine de la tuerie de Christchurch, coûtant la vie à une cinquantaine de personnes dans une mosquée. 

Illustration 2
© Eliot Blondet/Abaca.

Dans cette réalité alternative, l'immigré est une menace, qu'elle soit culturelle, sécuritaire ou économique. C'est le pilier du programme d'Eric Zemmour, le concept qui les gouvernent tous : l'immigration est la source de tous les maux français, la menace d'une guerre civile imminente. « En France, comme dans toute l’Europe, tous nos problèmes sont aggravés par l’immigration : école, logement, chômage, déficits sociaux, dette publique, ordre public, prisons, qualifications professionnelles, urgences aux hôpitaux, drogue. Et tous nos problèmes aggravés par l’immigration sont aggravés par l’islam. C’est la double peine » avait affirmé le polémiste à la "Convention de la droite" organisée par Marion Maréchal le 28 septembre 2019.

Adieu aux inégalités de classes, aux politiques d'austérités, à la pauvreté, aux inégalités femmes-hommes. Le seul et unique bouc-émissaire du déclin Français est tout trouvé : l'immigré. Mais Zemmour va bien plus loin qu'une simple dénonciation de citoyens étrangers arrivant sur le sol français. Pour lui tout ce qui ne représente pas le "Français de souche" doit être banni. Dans cet optique, les prénoms non-français deviennent une « insulte à la France » (Les Terriens du dimanche, C8) qu'il choisirait d'interdire, et la ségrégation à l'emploi devient acceptable (Eric Zemmour à en effet affirmé que les employeurs avaient le droit de refuser des arabes et des noirs, notamment car « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes »).

Cette rhétorique est monnaie courante dans la pensée d'Eric Zemmour, qui a déclaré le 1er Octobre 2020 au sujet des mineurs isolés : « Il n’y a pas de juste milieu, il faut que ces jeunes, le reste de l’immigration ne viennent plus »… « Tous ? » le relance la journaliste de CNews Christine Kelly. « Tous ! Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont ». Suite à ces propos, le chroniqueur a été condamné le 17 janvier 2022 pour provocation à la haine, sa troisième condamnation du genre. 

L'ISLAM EN LIGNE DE MIRE

Sans surprise, la victime favorite du candidat d'extrême droite est toute trouvée : l'Islam. Difficile d'être exhaustif dans l'énumération des attaques contre ceux qu'il considère comme une « armée d'occupation » mais nous pouvons en avoir un aperçu révélateur. Dans la vision d'Eric Zemmour, être musulman n'est pas compatible avec la République. Pour lui, « Il faut leur donner le choix entre l’islam et la France » déclare t-il dans C à vous en septembre 2016. 

« Les auteurs les plus lucides qui dénonçaient le danger allemand comparaient le nazisme à l'islam » Eric Zemmour, Convention de la droite 

« En Islam il n’y a pas de musulmans modérés, ça n’existe pas », poursuit-t-il face à Anne-Sophie Lapix. « Le djihad fait partie de l’islam… les soldats du djihad sont considérés par tous les musulmans, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas, comme de bons musulmans. » Des citoyens français sont donc assimilés à une armée ayant pour but de renverser la civilisation française. Leur seul tort ? Être de religion musulmane. Mais le polémiste ne s'arrête pas là et déroule son propos, notamment lors de la "Convention de la droite", retransmise en direct et en intégralité sur LCI : « Dans les années 30, les auteurs les plus lucides qui dénonçaient le danger allemand, comparaient le nazisme à l’islam (…) et disaient “le nazisme est un peu raide, un peu intolérant, mais de là à le comparer à l’islam...” ». 

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Éric Zemmour sur le plateau de CNews, le 17 octobre 2019 © Sébastien Leban/Divergence images.

L'utilisation du danger nazi n'est pas ici une brebis égarée, une phrase sortie du contexte, mais bien un modèle de pensée ; la menace est imminente, et la seule façon de l'éviter est de l'expulser, de la vaincre. Et pour ça, la solution est toute trouvée : la remigration. « Vouloir la remigration, ce n’est pas être raciste. C’est considérer qu’il y a trop d’immigrés en France, ça pose un vrai problème d’équilibre de démographie et identitaire (…) la France est en danger » déclare le candidat. Il le sait cela n'est pas envisageable dans un état de droit européen mais qu'à cela ne tienne, monsieur Zemmour ne s'arrête pas à ce genre de broutille : « Mon plan sur l'immigration ne peut s'appliquer que si on se libère de la cour européenne des droits de l'Homme, de la cour de justice, du conseil constitutionnel » déclare t-il à On est en direct en septembre 2021. Cour européenne des droits de l'Homme qu'il a d'ailleurs saisi pour échapper à une condamnation pour provocation à la haine religieuse. 

VIVE LE PATRIARCAT

Même si son discours présidentiel en fait son unique préoccupation, le système Zemmour ne se limite pas aux problèmes de l'immigration. Le candidat d'extrême droite défend un modèle profondément patriarcal et masculiniste. Pour lui, le féminisme n'est « pas un mouvement de libération des femmes » mais « une guerre d’extermination de l’homme blanc hétérosexuel » comme il le clame à la "Convention de la droite". Il en va de même pour le mouvement #MeToo, dénonçant les violences sexuelles, représentant pour lui, « un mouvement d'éradication de l'homme » (Elysée 2022, décembre 2021). 

« La virilité va de pair avec la violence, l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant » Eric Zemmour, Premier sexe (2006)

Rien d'étonnant quand on connaît la vision du polémiste concernant l'homme. Pour lui, le poil masculin « nous rappelle que la virilité va de pair avec la violence, que l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant ». Dans Le Suicide français (2014), il estime que « le besoin des hommes » est « de dominer pour se rassurer sexuellement » et celui des femmes est « d’admirer pour se donner sans honte », de « réclamer la protection de son mari ». Il estime que l'affaire DSK, accusé de viol, est « une ridicule affaire ». Que « DSK, menottes derrière le dos entre deux cops new-yorkais, marchant tête baissée, c’est un renversement de mille ans de culture royale et patriarcale française. C’est une castration de tous les hommes français ». Lui même accusé par 8 femmes de comportements sexuels inappropriés voir d'agression sexuelle (Mediapart), on comprend vite que dans cette vision, l'homme a tous les droits, qu'il est, à tout égard supérieur à la femme et qu'il est normal, voir naturel qu'il, domine, agresse, discrimine. Pour Eric Zemmour, les femmes n'ont pas vocation à occuper un quelconque poste de pouvoir car avec elles « le pouvoir se dilapide » (BFM TV, 2013). Il va même jusqu'à affirmer que « les femmes ont une forme d'intelligence différente des hommes, d'ailleurs, les grands génies sont hommes ». 

Aujourd'hui candidat, Eric Zemmour demande à ce qu'on oublie ses déclarations. Il affirme même que sa candidature : « est celle qui défend le mieux les femmes car le danger pour les femmes ce n'est pas un hypothétique patriarcat blanc » (TF1, Novembre 2021). Il ne s'agit pas seulement de déclarations mais bien d'un modèle de pensée, un modèle que ni lui, ni les femmes qui l'accusent n'ont oublié. Un modèle qui pourrait bien être érigé au sommet de l'Etat.

LA TOUTE PUISSANCE

La pensée d'Eric Zemmour s'inscrit dans une vision ou la puissance est reine. Lors de son meeting au Mont Saint-Michel, le mot est apparu pas moins de 30 fois. La puissance de résister à l’envahisseur, la puissance de se préparer à la guerre, de briller dans l’espace international. Quelques jours avant que la Russie lance son invasion contre l'Ukraine, le candidat annonçait plutôt l'approche de la « guerre civile », de la « guerre de civilisation », concept qu'il affectionne tant. Après l'offensive de Vladimir Poutine, Zemmour a même affirmé au Salon de l'Agriculture que la guerre en Ukraine « nous distrait du vrai choc de civilisation » en ajoutant, « nos problèmes géostratégique et civilisationnels sont au Sud, ils ne sont pas à l'Est ». 

« Je rêve d'un Poutine Français » Eric Zemmour, septembre 2018

Une guerre ukrainienne qui nous égarerait donc du combat à mener, celui de la défense par la force d'une civilisation supposée pure et homogène, menacée comme nous l'avons vu par l'immigration africaine et proche-orientale. Eric Zemmour ne parle donc plus d'un problème migratoire mais d'une menace face à laquelle il faut se tenir prêt à prendre les armes. Lors de son discours au Mont-Saint-Michel, le candidat martèle un imaginaire guerrier. Citant l'ancien testament, Zemmour semble se reconnaître dans le portrait de Saint-Michel : « L’ange qui dirige l’armée des anges contre celle des démons, dans le combat que se livrent le bien et le mal à travers les millénaires, récite t-il avec conviction. C’est donc un ange supérieur et un ange militaire. Un leader, un protecteur et un berger. » Il annonce que les Français doivent prendre en charge leur « survie », prédisant des « débâcles si nous ne faisons rien ». Il jure vouloir devenir « le président du devoir de puissance » et joint la parole aux actes en annonçant vouloir porter le budget annuel des armées à 70 milliards d’euros en 2030 (contre 41 milliards aujourd’hui), ce qui en ferait le premier budget de l’Etat loin devant l’éducation nationale. « Un minimum vital » selon lui. Tout cela en sachant que le candidat prône un isolationnisme à la Trump et un repli sur ses frontières. Pourquoi investir aussi massivement dans l'armée sans avoir d'objectif extérieurs ? Le candidat ne le dit pas.

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Meeting du candidat d’extrême droite, Eric Zemmour, à Pontorson, devant le Mont-Saint-Michel (Manche)), le 19 février 2022. © CYRIL BITTON/DIVERGENCE

Si Eric Zemmour avait un modèle international, pas besoin d'aller le chercher bien loin, il s'appellerait Vladimir Poutine. Il élabore son admiration pour le dictateur Russe dans un entretien pour l'Opinion en septembre 2018 : « Poutine aurait pu être Français. Il prend un pays qui a été un Empire, une grande puissance qui est en déclin et il essaye de le redresser ». Le journaliste lui demande : « Vous rêvez d'un Poutine Français ? » « Oui j'en rêverais oui ». Au delà d'avoir toujours justifié l'action de Vladimir Poutine comme un patriote défendant les intérêts de sa nation (notamment en Ukraine), Eric Zemmour reprend et admire la grille de lecture impérialiste et autoritaire du leader Russe, de la même manière qu'il a toujours défendu la colonisation et l'impérialisme Français.

LE ROMAN NATIONAL

Rarement un candidat n'avait autant mobilisé sa vision, ou sa supposée connaissance de l'Histoire dans son discours politique. De Pétain sauveur des juifs Français, à la possible culpabilité de Dreyfus en passant par l'idée d'un gauche majoritaire sous Vichy, Eric Zemmour utilise sa révision nationaliste de l'Histoire pour construire, appuyer, consolider les différents pans de sa pensée autoritaire, masculiniste et raciste. A la manière d'un Trump, Zemmour prétend se placer du côté de la "vérité" face aux fake news, de la "raison" face à un supposé dogmatisme aveugle, une propagande gouvernementale. Comme le détaille très bien l'historien Laurent Joly dans son essai La falsification de l'Histoire (2022), si Zemmour réhabilite Pétain, la France de Vichy et la colonisation, c'est d'abord pour « rendre possible les politiques disqualifiées depuis les crimes de la collaboration : mettre à bas l'Etat de droit, stigmatiser des minorités, expulser deux millions d'étrangers et de "mauvais Français"... » Se plaçant dans la lignée des "nationalistes ethniques" tel Maurice Barrès ou Charles Maurras dans les années 30, qui basaient déjà leur rhétorique sur le déclin de la société française et la menace civilisationnelle (incarnée par le juif), Eric Zemmour reprend leurs mots : "guerre civile", "déclin" "envahissement", et leurs idées, celles d'un retour à "la France d'avant". Nous n'avons ni le temps, ni l'expertise pour détailler ici les innombrables erreurs et révisions historiques de Zemmour (le Tract Gallimard : Zemmour contre l'Histoire, écrit par un groupement d'historiens professionnels le fait très bien) mais à chaque fois qu'il tord les siècles passés, le candidat d'extrême droite le fait pour consolider le récit d'une France jadis grande, patriote, pour fustiger les malheurs d'une idéologie progressiste et pour réhabiliter les politiques discriminatoires, colonisatrices et anti-démocratiques. 

Au delà de son admiration pour le Maréchal Pétain, connue et documentée, un des exemples les plus frappant reste celui de son approbation face aux crimes de guerre du Général Bugeaud. Figure peu connue du grand public, Bugeaud a été un des grands artisans de la colonisation de l'Algérie et a massacré des locaux pour imposer la "puissance française". 

A son sujet, Eric Zemmour déclarait ceci sur CNews en octobre 2019 : « Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence à massacrer les musulmans, et même certains juifs. Eh bien moi, je suis du côté du général Bugeaud. C’est ça être Français ». Dans cet exemple, comme dans tant d'autres, Eric Zemmour se sert de l'histoire pour légitimer la violence, l'exclusion, pour promouvoir sa vision conquérante, raciste, guerrière de la France. Comme le concluent parfaitement les historiens auteurs de Zemmour contre l'Histoire : « Il fait mentir le passé pour mieux faire haïr le présent... et ainsi inventer un futur détestable. »

Les sorties médiatiques d'Eric Zemmour ne sont donc pas des dérapages d'un soir mais bien le fruit d'une pensée bien précise, déjà rencontrée par le passé, profondémment raciste, masculiniste et autoritaire. La France de Zemmour c’est la France de Pétain, la France de Bugeaud, des antisémites Drumont et Maurras. C’est la France qui glorifie la colonisation, qui déporte, qui massacre. La France autoritaire, qui veut sortir de la cour européenne des droits de l’homme et qui rêve d’un Poutine français. Celle qui compare une religion et ses pratiquants aux nazis, et qui veut sortir de l’état de droit. La France de Zemmour c’est celle là.

Marius Joly

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