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J’ignore. Je n’ai jamais pratiqué ce phénomène affectif.
Si! Cela aurait pu, envers les femmes pour lesquelles j'ai eu très tôt de l'appétit, mais j’ai très vite compris qu’il fallait avec ces animaux très fantasques demeurer le patron, sinon on risquait de sombrer très rapidement dans le plus pervers et humiliant ridicule. Or je suis très fier, et je ne me suis donc jamais laissé aller. Jamais. J'ai toujours "contrôlé".
Mais si je parle de passion, aujourd'hui, c’est parce que cet après midi un de mes meilleurs amis, un homme qui s’est pourtant fait et qui a brillamment réussi en partant du tas, du grattoir et d'un marteau de carrossier, ce qu’on peut appeler un homme dur, très dur en affaire et dans le travail, mais le plus sympa et fidèle des copains, m’a une fois de plus déballé la face la plus naïve et fragile qu’une personnalité de self made man apparemment intraitable peut dissimuler. Oh, je la connais que trop bien cette facette du bonhomme : Depuis plus de trente ans que nous sommes rencontrés, je la lui ai vue fréquemment. Elle m’est d'ailleurs particulièrement réservée : Tous deux issus du milieu ouvrier, entre nous il n’y a pas de chichis, ces simagrées auxquelles il est obligé de sacrifier pour le boulot, dans le nautisme de luxe.
Avec moi c’est du nature. Quand nous étions plus jeunes, c’était les bagnoles dont il s’éprenait. Il tombait amoureux tous les huit jours d'un nouveau bolide. Généralement rital. Sans suite. Je n’y prêtais donc pas attention. (Faut préciser tout de même qu'à 70 berges il m'amène encore parfois boire un verre au célébrissime Café de Paris, à Monaco, dans sa dernière Ferrari 458 Spéciale. On n'a d'ailleurs pas l'air con qu'à moitié tous les deux, vieux chnoques pliés en quatre dans cette pelle à tarte rouge italien. Mais ça lui fait plaisir. Moi ça me fait rire : ça emmerde les gauchards).
Puis est venu le golf !... Oui, le golf. Et là, comme d’autres tombent accros à la Coke, il a plongé, fana de ce que j’appelle, par dérision et pour le taquiner, le « bilboquet ». Très sportif, excellent skieur et nageur... il a tout abandonné le jour où un quidam lui a collé un fer7 en main. Une révélation.
Or cet après midi il en avait justement contre L’Équipe, qui a sorti un numéro spécial largement consacré à notre champion national, le premier Français à être classé aussi haut dans le gratin mondial, 17ème je crois : le « petit » Dubuisson.
Tu parles! C'est que C... a suivi les progrès du « gamin » depuis son enfance, et il appert que l’article, qu’il m’a fait lire en entier, écorne manifestement la personnalité particulière de cette étoile montante des greens.
-« Dis-moi, toi qui comme moi connais sa famille (Je ne connais en fait qu’un oncle dentiste, un bon copain, et Léon, le grand-père maternel, lui et son épouse, un couple d’une exceptionnelle gentillesse), tu sais très bien pourquoi il ne veut pas qu’on parle de sa famille !... Tu le sais !... Qu’ils s’occupent donc de leurs fesses ces cons de journalistes, et qu’ils ne l’emmerdent pas, ce petit !... ».
Je sais, en effet... mais dont je n’ai certes rien à dire ici.
Durant que C..., ganté, piquait une sainte colère entre deux grutages - puisqu’en effet "la saison" commence -, je l’observais, celui que je surnomme "Mr Caractère" : C’est marrant ce que la passion peut vous changer les gens.
Pour tout dire, je n’ai pour ma part entrevu ce Victor Dubuisson, un jeune gars un peu grassouillet, entouré de quelques amis de son âge, discret et même il faut dire très réservé, limite fermé, qu'un soir à Bacon, chez Etienne et "Didi" Sordello, deux autres copains, les meilleurs tauliers du coin, dans le Cap. Sa Lamborghini jaune, une avantipopolo ou quelque chose comme ça (Hub, si tu passes par là tu me corrigeras), garée sur le gravier parmi Bentleys et Ferraris.
Enfin, tant mieux pour ce gosse de 24 ans s'il gagne tant de fric, mais pour tout dire aussi, je n’en ai, moi, rien à foutre d'essentiel. Homme de droite, je ne suis ni jaloux ni envieux, mais voilà : tant mieux pour lui, sans plus.
Pour C..., qui avait été le seul à applaudir son entrée dans la salle de restaurant, et qui s’était levé pour aller l’embrasser, on voyait qu’il avait retrouvé son icône, comme on dit aujourd'hui.
« Qu’est-ce que tu veux, je l’ai connu tout petit, j’ai vu ses débuts, et quoiqu’il ait hérité du caractère un peu ombrageux des G..., ça me gonfle que ces connards qui ne connaissent rien de lui et qui veulent à tout prix remplir du papier, disent n’importe quoi, de vrai ou de faux peu importe, à son sujet. Car ils piétinent-là, en faisant jacasser des bavards à sa place, l’intimité d’un gosse qui veut qu’on la ferme au sujet de son enfance. C’est pas compliqué »...
Je lui aurais bien glissé cette phrase de Flaubert : "Ne touchez pas aux idoles, l'or en reste aux doigts" mais il m'aurait gentiment envoyé bouler : Les fioritures littéraires ça le "gonfle" aussi, bien qu'il soit un des mecs les plus intelligents que je connaisse.
Vie de province.