Laissons pour le moment l’antisémitisme de côté. Je lis ces temps-ci, par bribes, Mémoires d’un touriste. Il m’est impossible, et cela depuis fort longtemps de me laisser prendre à des fictions. En effet, seules les chroniques, biographies et faits réels captent mon esprit. Cela vient sans doute de ma condition de manuel. Ou alors du fait que je suis rationaliste à donf et déteste affèteries et autres affiquets.
Ainsi, par exemple, ai-je refermé Les Poneys sauvages à la vingtième page, pourtant expressément recommandés par Bobonne et alors que j’ai lu les Pages grecques avec passion et que je suis un (prévisible) admirateur de Déon. Il en a été de même du Rouge, abandonné dans l’heure, alors que je me suis farci Promenades dans Rome, Voyage en France, Rome, Naples et Florence, ou les Chroniques Paris-Londres et la Vie d’Henry Brulard d’une seule traite.
Et là, en ce moment, je feuillette donc Mémoires d’un touriste, à l’allure d’un vieux cheval usé.
Ce qui a fait qu'en arrivant à Lyon, hier au soir, le Lyon du 15 Mai 1837 bien sûr, en compagnie du héros du livre que Stendhal fait vivre du commerce du fer, ai-je eu un inattendu mais immense plaisir. Celui de découvrir une allusion de quelques lignes à un passage des Confessions que j’ai pourtant maintes et maintes fois "rappelé", mais en vain, à tous les prétendus lecteurs de Rousseau que j'aie rencontrés. Personne ne s'en souvenait. J’en étais à ce point de me demander si je ne l’aurais pas éventuellement inventé (N’étant pas à ça près). Pour m’avoir marqué bien plus que la peccamineuse et célèbre anecdote du peigne cassé, je gardais le souvenir délicatement narré d’une nuit passée à la belle étoile sous le porche d’un jardin, et l'éveil de cette fine crapule de Jean-Jacques dans un cadre plus XVIIIème que ça tu meurs : Vieilles pierres désarticulées, mousses rudérales et vigne vierge; Tout ça dans la fraicheur d'une aurore dont, si je ne m'abuse et à moins que je brodasse de moi-même par la suite, l'orient rosissait les flaques d’eau sur son chemin, à mesure que le marcheur s’éloignait en sifflotant une cantate : la Cantate de Baptistin.
Heureusement, le neveu des Daru, le sigisbée halitueux aux fesses lourdes*, l’antipathique amant de Clémentine Curial, mais aussi le magistral prosateur vient aujourd’hui à ma rescousse et confirme que je n’avais ni bu ni pantaïé en lisant les Confessions. Et même semble-t-il, par conséquent, que j’aurais un certain goût littéraire : Celui des gens qui apprécient leur lecture, pas ceux qui engloutissent du texte.
Stendhal qui n’aime pas Voltaire en profite pour glisser que ce dernier, « écrivain incapable d’émotion tendre », lui ou Buffon d'ailleurs, ou Duclos (...?) auraient « mis en vain leur esprit à la torture » pour décrire cette scène que dépeint merveilleusement Rousseau, « cet homme détesté des âmes sèches »...
Voilà, c’est tout. Je suis content.
*Rapporté par feu mon patient le Comte Curial, d'une lettre de son aïeule qu'il aurait conservée. Celle-ci dénonçait en effet à son père, le Général Comte parti aux Armées, les infidélités de sa mère avec un "vilain monsieur désagréable, qui a de grosses fesses et qui transpire beaucoup". A vrai dire je le lui ai demandé cent fois, à Henri Curial, de me la montrer, mais je n'ai jamais vu cette lettre...