De son vrai prénom, Martine, nous l'a surnommions "Bamboula". Sa maman, intello Latin/Grec, était blanche d'une blancheur parisienne, ce qu'elle était d'ailleurs : blafarde. Et un peu collet-monté, cela allait de soi. Le papa ingénieur, lui venait des îles, j'ai oublié lesquelles. Métis. Très racé. Un excellent danseur. Martine avait hérité la mélanine paternelle, mais bizarrement encore plus "cognée", comme dirait Bobonne.
D'où le sobriquet quand on l'interpellait. Auquel elle répondait invariablement " Oui, Bouana !". Elle était guide de France. J'étais scout. Elle en pinçait visiblement pour moi et j'en pinçais tout aussi béatement pour elle. Dieu qu'elle était jolie!
Mais à cette époque on ne passait pas aux actes comme aujourd'hui. Et nous n'avons, elle probablement, et moi sans équivoque que le souvenir du bonheur de se voir qui nous unissait, et nous poussait à de discrètes combines dont nos parents amusés n'étaient pas dupes.
Or un jour elle m'apprit que son papa était muté en métropole...
Bamboula. Ce matin je me hasardais à une petite marche dans le quartier, par vent d'Est et donc ciel pluvieux, corseté et déambulant à grand peine, poings serrés dans les poches en effet crevées de mon vieux paletot. C'était une heure d'affluence à laquelle tout le monde du travail se précipite vers ses obligations l'oeil rivé sur sa montre, et quand j'abordais le rond-point de la Chapelle St Jean, un flot ininterrompu de voitures, indifférent au vieux bonhomme, m'empêchait d'emprunter le passage piéton.
J'attendis, attardant mes regards aux mimosas en fleur, et puisque je suis devenu un poids mort de la societe, engoncé de surcroît dans des circonstances peu enviables pour une retraite. Un être desormais inutile.
Soudain une bagnole pile sec, obligeant la file impatiente qui la suit à s'arrêter, et son conducteur me fait aimablement signe d'y aller. C'est justement un "bamboula". La ciquantaine joviale. Comme je suis un homme poli je retire la casquette de "Lénine" que mes filles m'ont offerte à leur retour de Russie, et salue ce monsieur délicat. Il me répond d'un sourire désarmant de bonté.
Voila, c'etait tout simple. Une rencontre fugitive. Eussions-nous été amis, l'aurais-je aujourd'hui surnomme Bamboula?
Certainement Pas.