Un ami m'envoie cet article par mail. Le jeune président, pour lequel je n'ai pas voté, suscite fortement ma curiosité depuis qu'il affiche un autoritarisme semble-t-il de fer. Je sens que ce chef d'Etat ne va pas faire longtemps bon ménage avec le 4ème pouvoir, les journalistes. Débat ou conflit à suivre... :
ÉDITION ABONNÉS
> Emmanuel Macron
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> Emmanuel Macron à l’Elysée, un mois de présidence impérieuse
> Par Bastien Bonnefous, Cédric Pietralunga, Solenn de Royer
> Le 14 juin 2017 à 12h00 Mis à jour le 14 juin 2017 à 14h51
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> En quatre semaines, le président de 39 ans a imposé son style : par petites touches, se dessinent les contours d’une gouvernance de fer, centralisée et hyperpersonnalisée.
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> Emmanuel Macron, président de la république reçoit Vladimir Poutine, président russe au château de Versailles, lundi 29 mai 2017 | Jean-Claude Coutausse/French-Politics pour « Le Monde »
> Ils sont arrivés en bande, sur le tapis rouge posé dans la cour d’honneur de l’Elysée, le jour de la passation des pouvoirs, il y a tout juste un mois. Huit hommes, très jeunes pour la plupart, impeccables dans leurs costumes sombres et bien coupés. Et une femme, robe fleurie, perfecto noir et chaussures blanches vernies, des « zizis », les mêmes que portait Serge Gainsbourg.
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> Ils sont arrivés en conquérants, sourires éclatants, assurance et fierté affichées, un brin d’arrogance peut-être. Ils ont salué les photographes avant de grimper les marches du palais, pour assister à la consécration d’Emmanuel Macron, leur « maître », selon leur propre terme, qu’ils ont accompagné dans cette folle conquête du pouvoir, ce Blitzkrieg, ce « hold-up du siècle ».
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> Les ralliés de la deuxième heure, qui leur reprochent de vouloir garder pour eux seuls l’accès au « patron », les ont surnommés « les mormons » : Ismaël Emelien (le stratège), Sylvain Fort (la plume), Jean-Marie Girier (le chef de cabinet, parti depuis au ministère de l’intérieur), Stéphane Séjourné (le conseiller politique), Julien Denormandie (l’homme du parti), Benjamin Griveaux (le porte-parole, candidat aux législatives à Paris), Sibeth Ndiaye (la chargée de communication). Cette jeune garde est chaperonnée, ce jour-là, par deux anciens députés socialistes – parmi les premiers à avoir rejoint Macron quand il était à Bercy –, Arnaud Leroy et Richard Ferrand.
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> Lire aussi : Comment le président Macron prépare l’après-second tour
> Rompre avec l’hyperprésidence et la présidence normale
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> En ce dimanche au ciel mitigé, sous les lambris de la salle des fêtes de l’Elysée, alors que les invités attendent le président élu, un mur invisible sépare les jeunes vainqueurs des tenants de « l’ancien monde », pourtant tous issus de la même famille socialiste. « C’était hyper froid, raconte un responsable du PS, invité à la cérémonie d’investiture. Les Macron boys avaient pris un melon énorme, nous n’étions déjà plus dans leurs radars. Ils ne nous ont même pas salués. »
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> Ambitieux et surdiplômés, ces jeunes conseillers se sont mis au service d’un seul : Emmanuel Macron. Le trentenaire s’est installé dans le fauteuil de huitième président de la Ve République il y a un mois, le 14 mai. Plus qu’installé, il s’y est coulé, lové. Comme si l’homme, inconnu des Français il y a encore trois ans, avait toujours occupé la fonction, ou en tout cas l’avait minutieusement pensée. Le chef de l’Etat, né sous Giscard, a clairement choisi de renouer avec la geste du régime créé par de Gaulle, celle du monarque républicain.
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> De la célébration de sa victoire au pied de la pyramide du Louvre à sa remontée des Champs-Elysées en « command-car » militaire le jour de son intronisation, jusqu’à sa rencontre avec le « tsar » Poutine dans les galeries de Versailles, celui qui s’est autoproclamé « président jupitérien » a décidé de parler à l’imaginaire français, forgé autant par les rois que par les Lumières. Le tout en live sur les réseaux sociaux… Les « deux corps du Roi » d’Ernst Kantorowicz, version Mark Zuckerberg.
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> Emmanuel Macron sur le perron de l’Elysée le 12 juin. | LIONEL BONAVENTURE / AFP
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> L’auteur de Révolution (XO éditions, 2016), qui compte sur la « Macronmania » pour obtenir une large majorité à l’Assemblée nationale et imposer au pas de charge ses premières réformes, veut rompre avec dix ans d’incarnation du pouvoir qui, à ses yeux, ont abîmé la fonction : l’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy et la présidence normale de François Hollande. Mais c’est surtout de son ancien patron qu’il veut se détacher, en symboles et en actes.
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> Entre 2012 et 2014, depuis son bureau d’angle, au quatrième étage de l’Elysée, Emmanuel Macron a observé de l’intérieur les failles, les dysfonctionnements et les apathies du hollandisme. Le mercredi, jour du conseil des ministres, l’ex-secrétaire général adjoint traversait parfois l’étroit couloir tapissé d’une moquette usée pour regarder par la fenêtre les membres du gouvernement arriver au palais en majesté, dans leurs berlines sombres, dont les pneus faisaient crisser les graviers.
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> Familier des lieux
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> L’ancien banquier restait là un moment, collé à la lucarne, suscitant l’étonnement de ses collègues du cabinet, qui se demandaient bien par quoi le numéro trois de l’Elysée pouvait bien être ainsi attiré. Songeait-il alors au cérémonial républicain, à ce qu’il aurait fait s’il était à la place du président ? Se rêvait-il en pleine lumière, alors qu’il était encore relégué dans l’ombre, sous les combles ?
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> Quoi qu’il en soit, c’est en familier des lieux qu’Emmanuel Macron a pris possession de l’austère palais militaire qui abrite la présidence de la République depuis la fin du XIXe siècle. Il a hérité du salon doré où ses prédécesseurs avaient installé leur bureau, au premier étage. Mais le chef de l’Etat aime aussi travailler au calme dans le salon d’angle, ancienne chambre à coucher de l’impératrice Eugénie, qui dispose d’une vue splendide sur le parc, sa pelouse parfaitement tondue, son bassin à jet et ses marronniers.
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> Lire aussi : « En quelques semaines, Macron a chamboulé le système politique comme jamais depuis 1958 »
> Vaste et discret, ce bureau – autrefois dévolu aux directeurs de cabinet mais qui fut occupé aussi par Giscard – est pourtant devenu une pièce maudite du palais depuis la démission forcée d’Aquilino Morelle. L’ancien conseiller spécial de François Hollande s’y était installé après Henri Guaino, son homologue auprès de Nicolas Sarkozy. Les égo très affirmés des deux derniers locataires, souverainistes intransigeants, ont valu à cette pièce d’avoir été baptisée « le bureau qui rend fou ». Hollande n’avait d’ailleurs pas souhaité la réattribuer après le départ de son conseiller. « C’est un peu étrange qu’Emmanuel ait décidé d’y travailler », murmure un familier du Château, qui y voit un inquiétant présage.
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> Géopolitique des bureaux
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> Mais rien n’est anodin au palais. Surtout pas la géopolitique des bureaux. En occupant les deux plus beaux salons de l’ancien hôtel d’Evreux, le président laisse entendre qu’il n’a pas l’intention de partager le pouvoir. De son côté, sa garde rapprochée (Sylvain Fort, Stéphane Séjourné, Ismaël Emelien) a tenu à rester groupée, investissant le quatrième étage. Le stratège, Ismaël Emelien, 30 ans, s’est installé dans l’ancien bureau de son mentor.
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> Avec les communicants de la présidence, ces jeunes conseillers – qui échangent tous en permanence via la messagerie cryptée Telegram, l’un des codes du nouveau pouvoir – se retrouvent deux fois par semaine autour du secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, et du directeur de cabinet, Patrick Strzoda, pour des réunions d’agenda et de stratégie. « Ils sont très contents d’être là », observe un familier du palais. Au risque d’oublier certaines fidélités anciennes. Un ex-visiteur du soir de Macron, sous le précédent quinquennat, confie ainsi qu’il n’a plus ses entrées à l’Elysée : « Macron et sa petite équipe ont coupé tous les liens anciens. Le président fonctionne en cercle très fermé, voit peu de gens. Et ses très proches ont la culture du secret ».
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> Lire aussi : Macron et les défis de l’hégémonie
> Ils sont arrivés en bande sur le tapis rouge et l’Elysée s’est refermé. Emmanuel Macron a demandé à ses ministres et ses conseillers de ne pas dire un mot à la presse. Une condition première, indispensable à ses yeux, pour réussir : verrouiller la communication. Pas question, comme lors du quinquennat précédent, de laisser prise aux « bavardages » ou aux couacs, relayés par la machine médiatique. « Emmanuel nous interdit de parler aux journalistes. Pour lui, vous êtes un ogre qui ne se laisse jamais rassasier », confie un parlementaire.
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> « Je parle du sujet que j’ai choisi »
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> A la fin du conseil des ministres, il faut voir ces derniers rejoindre leurs voitures sans un mot, parfois même sans un regard, aux journalistes, tenus à distance derrière des cordons, sur le côté. Certains demandent même que leurs berlines s’avancent jusqu’au pied des marches, pour éviter de traverser la cour et d’être importunés par d’éventuelles questions embarrassantes…
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> Mais le président assume. Il a décidé de raréfier sa parole et d’agir dans le secret. De revenir aux préceptes du « sorcier » Jacques Pilhan, conseiller de Mitterrand puis de Chirac, qui avait théorisé la présidence « jupitérienne » et l’arythmie de la parole présidentielle. Depuis son élection, Emmanuel Macron n’a pas jugé bon d’accorder la moindre interview. « Pourquoi parler ? Son incarnation suffit », lâche un de ses proches, extatique.
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> De la même manière, lors de ses déplacements « poolés » (avec un accès réduit pour les journalistes), il refuse de répondre aux questions qui ne concernent pas le sujet qu’il a décidé d’aborder. Ainsi, pas un mot sur l’affaire Ferrand, ni sur les soupçons d’emplois fictifs au Parlement européen qui frappent le MoDem, le parti du garde des sceaux, François Bayrou. « Quand je viens sur un sujet que j’ai choisi, je parle du sujet que j’ai choisi. Je ne fais pas des commentaires d’actualité », a sèchement répondu Emmanuel Macron, le 9 juin dans le Limousin, à un reporter qui l’interrogeait sur l’opportunité d’un maintien au gouvernement de ses alliés centristes.
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> Le président n’aime pas les journalistes politiques. Il leur reproche leur « bovarysme », de donner plus d’importance à la scène, au décor et aux acteurs de la pièce qu’au contenu de celle-ci. Il leur en veut aussi de n’avoir vu en lui qu’un « métèque » et d’avoir tardé à comprendre ses visées de recomposition politique. « Moi, je ne ferai pas des journalistes mes confesseurs », a-t-il sifflé, le 3 mai, dans Le Dauphiné libéré. Depuis sa prise de fonctions, le chef de l’Etat cherche à court-circuiter les « accrédités à l’Elysée », en privilégiant les journalistes spécialisés ou en choisissant des plumes amies pour conter de l’intérieur l’aventure présidentielle, comme l’écrivain Philippe Besson, qui doit publier un livre à la rentrée sur la geste macronienne. « Macron et ses proches pensent que nous avons été des oies blanches dans un monde de brutes, soupire un hollandais. Eux sont plus durs. »
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> « On tâtonne »
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> Mais si le Touquettois promeut la parole rare, tel Jupiter sur son Olympe, il n’est pas un jour sans qu’il apparaisse sur les réseaux sociaux ou sur les écrans des chaînes d’information en continu. Non pas pour expliquer sa politique, mais pour sculpter sa statue. Aux commentaires, le chef de l’Etat préfère les belles images. Comme durant sa campagne, il est sans cesse accompagné par une photographe, Soazig de la Moissonnière, qui publie ses photos sur le compte Facebook du président. De même, il continue de laisser travailler autour de lui les photographes de l’agence Bestimage, qui inondent la presse papier glacé de clichés de son couple. « Chacun voit ce que tu parais, peu perçoivent ce que tu es »,écrivait Machiavel, à qui Emmanuel Macron a consacré un mémoire lors de ses études de philosophie…
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> Adepte d’une communication de fer, le président organise lui-même le spectacle, sans intermédiaires. Comme le 9 juin, quand il se fait complaisamment filmer par ses services au standard de l’Elysée, répondant au téléphone à des Français qui appelaient le palais. Une visite relayée sur les réseaux sociaux par l’équipe de com’ du Château, qui oublie alors son aversion officielle pour les mises en scène des coulisses du pouvoir.
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> Conscients du revers de la médaille d’une communication trop verrouillée, les lieutenants du président réfléchissent néanmoins à fluidifier le dispositif. Les premières innovations pourraient être matérielles : à l’Elysée, la salle de presse, réservée aux agenciers, qui donne sur la cour du palais - ce qui permet d’observer qui entre et qui sort -, pourrait être déplacée et ouverte à d’autres médias. Comme c’est le cas à la Maison blanche, à Washington, où la presse présidentielle travaille dans les murs, avec un point presse quotidien du porte-parole.
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> La présidence réfléchit aussi à installer une « salle de briefing », où les conseillers techniques pourraient se rendre à brûle-pourpoint faire de la pédagogie sur telle ou telle réforme. « On tâtonne », explique Sibeth Ndiaye, la chargée de communication du palais, qui précise que la réflexion reste « embryonnaire ». « On regarde ce qui se fait dans d’autres démocraties, poursuit-elle. On cherche le meilleur fonctionnement possible entre pouvoir et contre-pouvoir. »
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> Garder la main sur tout, n’être dépossédé de rien, voilà l’obsession du nouveau président. Derrière les murs de l’Elysée, et à l’abri des regards, se met en place un pouvoir hyperrecentré sur la présidence. Pendant sa campagne, Emmanuel Macron n’a eu pourtant de cesse de faire l’éloge de l’esprit d’initiative, prônant l’autonomie des troupes comme condition de libération des idées et des talents. Il jurait qu’il serait un président qui se contente de fixer les grandes orientations, à charge à son premier ministre de les mettre en œuvre.
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> Les pouvoirs concentrés au Château
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> Mais de facto, les services de Matignon ou des grands ministères ont beau jurer du contraire, citant les fréquentes réunions interministérielles autour d’Edouard Philippe, c’est le Château qui concentre tous les pouvoirs. Macron l’a signifié en recevant dès les premiers jours les syndicats pour un round de discussion préalable à la réforme du code du travail. Idem avec l’avalisation de l’avant-projet de loi anti-terroriste dans le cénacle du conseil de défense, qui se réunit chaque semaine autour du chef de l’Etat. « Macron fait comprendre qu’il fera tout, confirme un haut fonctionnaire. Il met en œuvre directement les commandes qu’il passe. C’est me, myself and I… Il faut juste que l’intendance suive. »
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> Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Julien Vaulpré observe la même concentration des pouvoirs à l’Elysée qu’en 2007. Par la « volonté » du président mais aussi par le « regard des autres », qui guettent la « fumée blanche », viennent chercher le « la ». Ce spécialiste de l’opinion observe que la « toute puissante équipe de campagne » d’Emmanuel Macron « bénéficie d’une véritable aura », comme « la Firme » de Nicolas Sarkozy, il y a dix ans. « Hollande qui avait fait revenir tous les vieux grognards de la jospinie dans l’appareil d’Etat n’avait pas suscité le même élan », estime Julien Vaulpré.
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> Avec ses troupes, le chef de l’Etat se comporte comme le patron d’une grande entreprise qui fixe une feuille de route précise et surveille de près son exécution. Gare à ceux qui ne rempliront pas leurs « objectifs ». Durant la campagne, le candidat Macron a même annoncé que chaque membre du gouvernement devrait engager tous les ans sa responsabilité devant le Parlement. « Un ministre qui ne réussira pas ne restera pas », a-t-il prévenu. « Je plains les ministres parce qu’ils vont devoir rendre des comptes. Macron sait exactement ce qu’il veut et ne veut pas. Chez Rothschild, ils disaient que c’était une brute »,raconte un membre de l’équipe commando qui a participé à la conquête du pouvoir.
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> Le président a l’œil sur tout, du nom des membres de cabinet des ministres, qui doivent lui être soumis pour validation, aux directeurs d’administration, qu’il s’apprête à renouveler pour partie, s’inspirant du spoils system à l’américaine, pour avoir une haute fonction publique à sa main. « Macron ne supporte pas le doute ou l’à-peu-près. Quand il donne une consigne, il veut qu’elle soit appliquée », confie un proche, qui y voit « un gage de rigueur et d’efficacité » mais aussi « une marque de rudesse ». « On n’est pas là pour beurrer les tartines ! », aimait répéter Macron du temps où il était secrétaire général adjoint de l’Elysée, citant la réplique de son film culte, Les Tontons flingueurs, contre ce président Hollande qui ne cessait de consulter et de tergiverser.
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> « Il se projette pour dix ans »
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> Même mainmise sur son parti, La République en marche. Alors qu’il avait promis de ne pas s’en mêler, le chef de l’Etat a passé des heures dans le huis clos de la commission d’investiture du mouvement présidé par l’ex-chiraquien Jean-Paul Delevoye, chargée de désigner les candidats aux législatives. « Il connaissait toutes les circonscriptions de France dans le détail, de l’Aude en passant par Wallis-et-Futuna ou la Creuse, s’esbaudit un fidèle. Il surveillait tout. Il a par exemple insisté pour qu’on mette un très bon candidat dans la Somme face à François Ruffin [le réalisateur du film Merci patron !, qui se présente sous l’étiquette La France insoumise]. Il voulait vraiment gagner ! »
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> Manœuvrier, le président a aussi été très attentif à ce que la jeune garde du PS, les Matthias Fekl, Axelle Lemaire ou Najat Vallaud-Belkacem soient sur le gril dans leurs circonscriptions, afin de tuer une possible concurrence à gauche dans les années à venir. « Il se projette pour dix ans », justifie un proche. Il a lui-même négocié avec le député LR des Hauts-de-Seine Thierry Solère les circonscriptions à préserver pour les élus de droite « macroncompatibles ».
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> Ironie de l’histoire, le nouveau président gouverne exactement à l’inverse de ce qu’il prônait lorsqu’il était ministre. A l’époque, le brillant énarque proclamait ne pas être « l’obligé » du président Hollande et luttait pour sa liberté de parole. Désormais élu, il impose silence et respect à son gouvernement. Entre 2014 et 2016, il estimait qu’une bonne réforme ne pouvait être que le fruit d’une longue négociation parlementaire, comme il s’y était attelé pour sa loi pour la croissance ; à présent, il procède par ordonnances et devient un adepte du « parlementarisme rationalisé ».
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> A Bercy, son cabinet était un des plus pléthoriques de Paris ; aujourd’hui, il veut limiter le nombre de conseillers pour ses ministres… « Il a changé de rôle. Il tient les rênes courtes, serrées. Le système est très centralisé, c’est logique : quand on a détruit l’ancien système et qu’il faut reconstruire le nouveau, il faut une unité de commandement forte », analyse François Bazin, auteur de Rien ne s’est passé comme prévu, les cinq années qui ont fait Macron (Robert Laffont, 512 pages, 23 euros).
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> « On veut tous se marier avec lui »
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> Les premiers fidèles, qui ont connu les « copol » (les comités politiques) d’En marche ! à Bercy, alors qu’Emmanuel Macron n’était pas encore candidat à la présidentielle, se sont auto-baptisés « les apôtres ». « Et lui, Emmanuel, c’était Dieu », s’amuse l’un d’eux. Par son charme et son talent, le chef de l’Etat s’est indéniablement attiré de solides soutiens. « Non seulement il a affronté le monde, mais il a étonné le monde, il a révolutionné le monde ! »,s’est enflammé sans rire le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, en meeting à Villeurbanne le 7 juin, après les premiers pas à l’international de son champion. « On veut tous se marier avec lui », sourit un autre élu. « Objectivement, tout lui réussit et tout le monde est en pâmoison », soupire un ex-député socialiste.
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> Mais derrière certaines louanges, se devine parfois une prudente réserve, voire une certaine inquiétude, devant ce jeune président jugé « charismatique » mais aussi « control freak ». « Macron est un chef qui inspire du respect et de la crainte, comme Sarkozy en son temps, estime un élu socialiste qui n’a jamais pu supporter l’ancien banquier. Il y a très peu de fuites pour le moment parce que le premier qui parle sait qu’il est mort. Personne n’a jamais eu peur de Hollande, alors que certains commencent à avoir peur de Macron. Ils ne veulent pas lui déplaire. »
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> Dès avant son élection, certains de ses détracteurs disaient craindre l’instauration d’une « dictature technocratique » en cas de victoire. « Ses investitures En marche !, c’est la fin du Parlement, le mandat impératif sous la contrainte du chef. Il y aura un Parlement inexistant et l’Elysée sera bunkérisé autour de dix personnes », s’inquiétait au printemps un ministre de François Hollande. « Une majorité absolue finit toujours dans l’absolutisme », n’a cessé de répéter ces dernières semaines Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, avant d’être balayé au premier tour des législatives.
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> Les pressions exercées récemment sur la presse par le ministère du travail après des fuites sur le projet de loi travail, ou par le garde des sceaux, François Bayrou, contre une enquête de France Inter sur les affaires du MoDem, ne manquent pas d’inquiéter sur les pratiques du nouveau pouvoir, même si le premier ministre vient de recadrer le maire de Pau. Une vingtaine de sociétés de journalistes – dont celle du Monde – se sont alarmées mardi 13 juin, dans une tribune, de « signaux extrêmement préoccupants » envoyés par le gouvernement en matière d’« indépendance des médias » et de « protection des sources ».
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> « Le bonapartisme porte en lui une tentation autoritaire », analyse encore François Bazin, selon lequel « la référence » du président n’est pas Ricœur, mais Machiavel. « Macron a lu Le Prince, poursuit-il. Il sait que la tactique de conquête n’est pas la même que celle de la conservation du pouvoir. Dans la conquête, il était le renard, rusé et duplice. Une fois élu, il est le lion, explicite, vertical, jupitérien. Et il prend tout. »