Ce matin tout commençait pour le mieux à mon arrivée sur cette partie du canal. Tout semblait réglé pour que cette journée fériée du 1er juin s'annonce cool... Je me suis surprise à rêver de devenir, mi-sirène, mi- hippocampe. Je me suis mise à rêver de devenir un être aquatique.
J'ai posé un nombre incalculable de fois devant la miroir du canal aquarium, si bien que je devenais comme Narcisse, au féminin. Au point, où je replongeait en nostalgie amoureuse.
Quelle horreur ! devenir une nymphe, amorphe, le regard vide comme dans ces célèbres tableaux sensés représenter la femme et la nature. Les nymphes de cette époque devaient prendre des drogues spécifiques. Mais ça, l'histoire de l'art n'en parle pas, ou du moins, pas au grand public. En plongeant mon regard dans le miroir du canal, je me suis transformée éphémèrement en être aquatique, surgissant entre deux ou trois bouquets de plantes d'eau; un ban de poissons ondulants sur mon corps de créature aquatique; élancée et énigmatique, cheveux ondulants, en harmonie d'un thème mi-romantique, mi-comics.
Et je me suis dit stop ! Ça va pas ?! Et puis quoi encore... Non ! je ne veux plus de ce filtre d'amour onirique ! Et à cette seconde, où je disais cela, me voilà déjà partie sous le ciel azurée et ensoleillé d'une journée d'été; explorant idylliquement ce champs de blé; rêvant à je ne sais trop quel été, celui où l'on se laisse caresser par le vent, par ce brin d'herbe sèche; oui ce filtre d'amour recommençait à faire des sienne; il fallait l'arrêter au plus vite... le risque que le flot de ce poème ne me magnétise comme la mer était trop grand.
Après avoir "schooté" une dizaine de photos et de vidéos sur ce thème La créature aquatique du canal, je me suis mise à marcher vers un autre endroit du canal. J'ai dépassé l'écluse qui concentrait un petit comité de spectateurs et spectatrices, en ballade pseudo-bucolique urbaine. Un spectacle de la scène ordinaire du canal, une tranche de vie. Et voilà, je pouvais me poser sur le rebord en pierre, de ce "sacré canal", occupant un coin moitié ombre, moitié soleil.
Déjà des signaux clignotaient à l'orange pour ce qui est de la pollution. Avez-vous déjà rencontré un cadavre flottant à la surface ? Calmez-vous... je voulais juste parler des cadavres de nos déchets que l'on rencontre dérivant sur l'eau du canal; à un moment où l'on se sent si bien, que l'on se dit intérieurement, " que le monde est cool ! "; comme si vous vous rappeliez ce panier à trois points que vous aviez marqué, il y a cinq, dans ce street, en vous répétant en mantra "one millions dollars, Baby !" avant de marquer. Et ça marche plein de fois ce "one millions dollars, Baby !", un mantra capitaliste (oui ça existe), stylé genre " américan dream "; faire rêver les masses qu'un jour elles deviennent millionnaire; la grande loterie du prolétaire à laquelle tout un chacun (et c'est valable au féminin), a essayé de rêver au moins une fois dans sa vie. Bref, je vous disais, c'était donc à ce moment, de "grâce", qu'a débarqué la "disgrâce". Cette chose était le fameux cadavre : une bouteille en plastique. Même le médecin de la morgue des déchets de la mairie, avait identifié l'objet comme pouvant venir du fin fond de la cave du bateau de Davie Jones; tant la mousse qui était accrochée à son corps, l'avait colonisé; la couleur de son plastique devenue marron de gueux. Il ne manquait plus que les mollusques pour couronner la bouteille. Bref, autant dire que la chose qui flottait était aussi belle, que la scène d'une dame chinoise dégustant une chauve-souris fer à cheval.
La premier signal clignotant à l'orange, la pollution du canal avait retenti. C'était en fin de matinée et cela allait continuer jusqu' à la fin de cette après-midi.
Là, assise sur la pierre, au bord du canal, les reflets scintillant du soleil sur l'eau calme faisait de cet instant, un moment agréable.
Et puis, un groupe de gars sympa, genre la bande de potes, a débarqué à côté de moi; sacs en papier trimbalant un bon petit plat à emporter; de l'autre côté de moi, deux jeunes femmes studieuses avaient concocté leur pique-nique à la régulière, dans des récipients en plastique avec leurs fourchettes métalliques permanentes respectives.
Bravo les filles ! C'est le genre de pique-nique qui contribue à sauver la planète !
Bon, les gars étaient cool, ils mont prévenu : " on va tout jeter après "! Même que pour les faire un peu flipper, je leur ai montré les deux camions de police, (pour faire poli), "ils vous attendent au tournant"... mais même en période post-confinement, ils ne m'ont pas cru. Et puis je leur ai avoué : " je plaisante". Pour le coup, j'ai fait ma "rabat-joie", en montrant façon guide touristique, le cimetière qui n'était autre que l'écluse où se trouvait stocké les déchets. L'écluse servant "d'épuisette" aux déchets, ou si vous préférez un dépotoir à ordures, discret mais bien visible. Voilà ! J'ai fait mon taf ! Comment casser le moral à une bande de gars gentils et prêt à rendre service. Une manie de ne pas pouvoir resté tranquille. Et bien quoi ? il ne me restait plus qu'à partir trouver un autre petit coin cool du canal, histoire de les laisser finir en paix sociale leur pique-nique.
Chose dite, chose faite ! Je suis repartie vers mon quartier général, the headquarter, comme on dit chez les américains. Mon headquarter, où je gratte un peu du papier, marmonnant des idées, tapotant mon clavier de smartphone, où je reste online. De retour, vers mon headquarter, j'ai revu ce pêcheur que j'avais laissé tout à l'heure.
Si tous les signaux clignotaient à l'orange depuis ce matin, rien ne s'était arrangé en début d'après-midi. La pollution dérivait lentement mais surement, espacée de quelques mètres entre chaque déchet. Dans le creux de la vague, de pollution, une séquence "remember " ushuaïa s'est invité mais sans le matériel d'immersion. Quand on a pas le matériel à adéquat, on fait avec les moyens du bord. Sans le zoom à 700 euros, on fait comme on peut avec son objectif naturel. Je veux dire :son œil. Non pas son œil du tigre, ce qui ne sert à rien dans un tel moment, mais celui du lynx, plus utile. Et mon œil de lynx - quoique le lynx redoute plus l'eau que le tigre, on pourrait philosopher sur la question entre deux paragraphes, en vous invitant à la buvette du quartier, alias le troquet semi-confiné. Bref, mon œil de lynx, a repéré une scène "ushuaiesque" d’anthologie sur la vie du canal. Une peuplade de poissons frétillant en quête de nourriture offerte par les plantes agrippées à la paroi des berges s'est mise à danser.
A la surface, les plus jeunes, entre deux eaux, les plus matures, et pour finir ceux nageant dans le fond du canal, les gros pères. Une scène frénétique... ça bougeait dans tous les sens pour s'alimenter à cette paroi. Mais même pour cette peuplade de poissons pacifiques, le paradis sur eau est à court terme. Un zodiac de surveillance de la mairie de Paris, même à vitesse modérée, a débarqué, provoquant une vague qui s'est transformée en onde de choc, créant un mini tsunami sur la région occupée par la peuplade des poissons affamés. Ça m'a rappelé la vague géante qui faisait tant hurler les touristes de la piscine de "l'Aquacity". En quelques minutes, l'eau limpide s'est transformée en eau trouble verdâtre, et tous les poissons ont disparu sauf les plus jeunes à la surface, moins agiles, incapable de nager aussi vite que leurs aînés.
Le temps passait, je devais quitter mes amis à écailles, qui ne parlent pas notre langage, mais qui sont des anges. J'ai plongé une dernière fois mon regard dans cet aquarium naturel, en me disant " heureux comme un poisson dans l'eau ". A ce moment d'amitié, le corps d'un autre cadavre débarquait entre le frétillement de ces jeunes poissons à la surface et le rayon de soleil braqué comme un projecteur sur la scène : une bombe aérosol non identifiée.
Le spectacle de ce cadavre n'était pas pour me réjouir. Les signaux continuaient de clignoter à l'orange, et ne s'étaient jamais arrêtés, depuis cette fin de matinée. Il était déjà 14h30. La pollution ne faisait que commencer. Carton de pizza, boite de kebab, boite de sandwich, gobelet en plastique ou cartonnés, sac en plastique de toutes les couleurs (bleu, blanc, transparent, noir), sandalettes, dérivant vers le cimetière, le point de l'écluse.
Oui, si nous cessions de rester tranquillement assis à observer cela, pour prendre en main nos actes respectueux une bonne fois pour toutes : faire attention à notre environnement. Faire attention à notre environnement comme si nous étions ses hôtes. Enfin protéger la nature comme si la nature était un être vivant.
L’incivilité est un grand mot pour justifier cela. Alors que pour beaucoup de personne un simple bout de papier qui s'envole par la faute du vent multiplié par des centaines de personnes dans le même cas, provoque certainement autant de dégât.
Bulles d'eau cosmiques
chemin de poissons
oiseaux anges souriants
bouquet floral maritime
chant des oiseaux
mélodieux
danses aquatiques de poissons
la nature est angélique
nous la remercions avec nos offrandes
de déchets
scène du crime ordinaire
avec l'élégance d'un père qui apprend à son fils
à jeter son poisson rouge décédé
dans l'eau des toilettes.
Créons le miracle
d'aimer ce monde
qui ne dit mot : notre environnement
 
                 
             
            