" Immédiatement après l'élection de Trump, je suis partie pour Standing Rock, dans le Dakota du Nord. Une terrible tempête était annoncée et, à notre arrivée, le blanc uniforme des collines se confondait avec le ciel.
Quelques jours plutôt, le gouverneur avait annoncé qu'il raserait les camps de milliers de " protecteurs de l'eau " rassemblés aux bords de la réserve sioux de Standing Rock pour tenter de stopper l'installation du pipeline Dakota Access. Ce dernier devait être construit sous le lac Oahe, la seule source d'eau potable des Sioux de Standing Rock, et sous un autre segment du fleuve Missouri où 17 millions s'approvisionnent en eau potable. Une rupture du pipeline mettrait en péril l'eau potable et les sites sacrés concernés, protestaient les communautés. Depuis l'amorce de ce mouvement, son slogan avait résonné dans le monde entier : " Mni Wiconi", en langue Dakota : l'eau, c'est la vie.
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" Je n'oublierais jamais ce que j'ai ressenti dans le camp principal, après des mois de résistance, quand la nouvelle de la décision d'Obama est arrivée, celle d'interdire le pipeline. Le hasard a voulu que je fusse avec Tokata Iron Eyes, une jeune fille de 13 ans malicieuse, mais avec la tête sur les épaules, qui avait participé au lancement du mouvement. Je lui ai demandé ce qu'elle pensait devant la caméra de mon téléphone : " C'est comme si on m'avait rendu mon avenir", a-t-elle répondu avant de fondre en larmes. Et je me suis mise à pleurer avec elle.
Trump a fait perdre à Tokata le sentiment de sécurité qu'elle venait de retrouver. Toutefois, rien de ce que fera le président ne pourra jamais effacer l'intensité de tous ces mois passés sur le territoire, et tout ce qu'on y a appris. On y a construit une nouvelle forme de résistance, on a dit non à une menace imminente, mais on a aussi travaillé sans relâche à batir le " oui", c'est-à-dire le monde dont nous avons besoin et que nous appelons de tous nos voeux."
Noami Klein, Dire Non ne suffit pas (edition Acte Sud 2017)