- L'odyssée d'Hakim, tome 1 De la Syrie à la Turquie est classée comme une bande dessinée reportage. Pourtant, son titre très littéraire, nous ouvre un autre horizon plus large que des faits historiques. Il nous invite au voyage, à prendre cette route, sur laquelle, des hommes et des femmes exposé.e.s à des évènements éprouvants et tragiques se révèlent soit par leur humanisme, soit par leur cruauté.
Odyssée... que nous dit Wikipédia sur ce nom... ?
" L'odyssée est une épopée grecque antique attribuée à Homère qui l'aurait composée après l'Illiade, vers la fin du VIII ème siècle av. J-C. Elle est considérée comme l'un des plus grands chefs d'oeuvre de la littérature, et, avec l'Illiade, comme l'un dans deux poèmes fondateurs de la civilisation européenne."
(...)
" L'odyssée a inspiré un grand nombre d'oeuvres littéraires et artistiques au cours des siècles et le terme d'odyssée est devenu un nom commun désignant un récit de voyage plus ou moins mouvementé et rempli d'aventures singulières. "
En tournant la première page de ce livre, on y découvre le titre et une image dessinant un paysage syrien, une route traversée par une voiture bleue allant vers un horizon, on ne sait où ?
En tournant la deuxième page, on découvre les premiers instants d'un livre, propre à chaque livre, cet instant est toujours palpitant : " Je dédie ce livre à tous ceux qui comme Hakim et sa famille, ont dû fuir leur pays. "
Les premiers instants dédiés d'un autreur.e sont toujours émouvant... et parfois même quelques lignes choisies traduisent des sentiments profonds.
Dans l'avant propos, qui suit, l'auteur, y fait une sorte de méa culpa et de profession de foi imbriqué. " Pour faire ce livre, les " trahisons", que je redoutais tant, ont donc été multiples : traduction de mes questions à Hakim, puis de ses réponses, retranscriptions écrites, puis dessinées... "
Des trahisons... ou plutôt, à un certain passage du livre, une vision plus personnelle exprimée. Sur cette scénette du livre, on pourrait se poser la question.
Est-ce réellement Hakim le réfugié syrien qui parle ou son auteur à travers lui ?
Notamment à la cinquante-et-unième page du livre, l'auteur fait connaissance avec le fils d'Hakim, né en France. " Il s'appelle Sébastien " Hakim, le réfugié, nous présente son fils. " C'est pour le symbole, peu importe que nous soyons musulmans, catholiques, syriens, français, je voulais qu'il démarre dans une nouvelle vie sans différences sans préjugés. "
Ce passage est-il ce que nomme l'auteur, une trahison, le point de vue de l'auteur, ou une invraissemblance, dans la fidélité du témoignage d'Hakim ?
La majorité des familles syriennes quittant leur pays, transmette une partie de leur racine à laquelle ils sont naturellement encore attachée par le choix d'un prénom musulman, pour la plupart, ce qui est compréhensible et psycologiquement humain. Ayant perdu, et leur pays, et leur maison, et leur famille et amis, comment leur reprocher de vouloir prénommer leurs enfants d'une racine de leur arbre de vie syrien, leur héritage, familial ou culturel. Qui a dit : " Et la terre se transmet par la langue. "
Peut-être le poète Mahmoud Darwich...
C'est pourquoi, si ce passage est autobiographique, Hakim, est un sage, un homme progressiste. Mais, nous aurions envie de lui dire que le temps de l'assimilation ne presse pas. Au regard de l'histoire de l'immigration en France, il semblerait que la deuxième génération soit plus propice à laisser le choix du prénom libre de ces origines premières.
Après tout, ce qui fait la richesse de notre société, n'est-ce pas cette diversité, quelle soit bio, ou celle de l'histoire de nos prénoms ?
Mais quand bien même, la nature de ce questionnement, il ne s'agit pas de remettre en cause l'authenticité du récit restitué.
L'auteur est soucieux de restituer la substance du récit. " J'ose croire que mes " trahisons " n'altèrent en rien la substance du récit qui est donc une histoire vraie. "
Oui, il y a une substance au récit qui se dégage. D'une part, par le choix du concept d'écriture, et d'autre part, par la sincérité du témoignage d'Hakim.
Le témoignage a sa puissance et sa pertinence ancré en lui-même.
Le concept d'écriture est basé sur un dialogue entre l'auteur et Hakim le réfugié syrien. Une rencontre entre deux hommes, et au coeur de cette rencontre le récit raconté par Hakim, narrateur de sa propre histoire. Un aller-retour entre la vie présente d'Hakim et sa vie passé. Entrecoupé de pauses, alimentant la curiosité de la lectrice/lecteur et de son attachement aux personnages.
La substance du récit est aussi très bien préparée par le concept du préambule historique en première pages du livre. A la manière, de Candide, il s'interroge sur l'actualité : " plus grave sans doute, et j'en ai honte. J'avoue ne pas avoir ressenti la même compassion que pour les passagers de l'avion. Est-ce parce que la répétition des naufrages de migrants avait conduit à ce que nous nous habituons à l'horreur. "
Dans ce préambule, le contexte historique syrien est schématisé, une préparation à la narration du récit d'Hakim.
La substance du récit tient sur la compréhension du conflit syrien, car trop souvant réduit à une guerre contre DAESH. Or, toute la substance du récit est bien mis en lumière à travers la restitution du récit d'Hakim, sur l'origine de cette guerre en Syrie : une insurrection du peuple contre un régime de dictature mis en place par le clan familial Al-Assad.
En découvrant les évènements historiques comme les manifestations, la répression sanglante, on comprend comment le favoritisme d'appartenance sociale et la corruption politique gangrène un pays.
La repression du régime traque les opposants politiques. Hakim est arrêté à tort, pour avoir été suspecté d'être un manifestant, un masque de protection contre les gaz lacrimogènes ayant été trouvé lors d'un contrôle. Toutes les répressions se ressemblent, ou presque.
La bande dessinée comporte des éléments historiques datés sur la création de l'Etat syrien et sur la situation de guerre civile engageant des factions de groupes armés et la communauté internationale.
Mais bien que les éléments politiques sont incontournables pour comprendre l'histoire d'Hakim, l'approche priorisée semble être plus sociologique.
Il y a une recherche de sobriété tant graphique que dans l'écriture du texte. Une sobriété agréable teintée de notes de générosité, d'empathie, du sympathie.
L'auteur se représente en contre exemple du vedettariat journalistique. Il partage ses difficultés professionnelles pour faire aboutir son projet, caricature ses maladresses, ce qui rend le personnage attachant.
Son attention est touchante lorsqu'il accorde sa patience et son écoute à Hakim.
Ce qui fait de cet ouvrage un travail intellectuel équilibré entre la réalité des faits et le respects de la vie privée, bien que sa profession de foi, exprime ses dites " trahisons ".
D'ailleurs, les traits graphiques utilisés pour caricaturer le portrait de la femme de l'auteur et de celui de la mère d'Hakim sont plutôt surprenant. Je laisserais le soin à Gérard Miller d'analyser ce sujet...
Les portraits des différents personnages humanistes rencontrés pendant cette odyssée sont une leçon d'hospitalité.
Ce passage où Hakim, trouve la bienveillance et le respect chez son ami à Beyrouth est un enseignement d'amitié, de tolérance et de bonté.
Cette notion est outre passé en France, bien plus profonde que celle de la solidarité. L'hospitalité est une famille qui ouvre ses bras, une maison qui ouvre ses portes en disant ma maison est ta maison. Ce sens responsable de l'hospitalité qui est sans doute ce qui a sauvé les syrien.ne.s de la terreur politique et des crimes de guerres. L'intelligence généreuse.
Les scènes de guerres, elles, sont stylisées suscitant l'émotion à la lecture sans voyeurisme.
Cette odyssée est passionnante et ce récit est nécessaire à faire se rencontrer les mondes.
****
L'odyssée d'Hakim, tome 1 De le Syrie à la Turquie
L'odyssée d'Hakim, tome 2 De la Turquie à la Grèce.
Aux édition Delcourt.