- Extrait d'une interview d'Edward Snowden par le média Vice le 11 avril 2020 (traduction: sous-titrage vidéo)
" - Quand j'envisage le futur. Quand on se demande où cela va nous mener. On doit repenser aux situations qu'on a déjà traversé, et malheureusement, de ce genre, de mesures drastiques d'urgences qui émergent des situations de crise, historiques, il n'est ressorti que des abus, c'est absolument systématique, à chaque fois que ce genre de choses ont été mises en place, ce qui est amusant de constater, en étant cynique, c'est que l'état d'urgence ne prend jamais fin. Ça devient normal.
Si on parle de surveillance massive, le programme d'écoutes téléphoniques, sans mandat, sous l'ère Bush, il n'a été que partiellement interrompu, il est continuellement renouvelé. On a un peu arrondi les angles, mais les pratiques centrales de ce qui est sensé être, une situation d'urgence à court terme, et qui faisait écho à une autre situation d'urgence à court terme, à savoir bien entendu, les retombées du 11 septembre, et Patriot Act, et on est encore encore empêtrés, dans les mêmes guerres aujourd'hui, qu'on a déclaré il y a presque 20 ans et dont on a pas pu réussir à sortir.
Ce à quoi on a assisté, comme résultat du 11 septembre, c'est au développement iranien, parce que leur ennemi irakien n'existait plus. On a vu l'autoritarisme s'insinuer dans les sociétés occidentales, dans des pays où on ne l'aurait jamais imaginé comme la Hongrie ou la Pologne, et plus l'autoritarisme devient monnaie courante, plus les lois d'urgences prolifèrent, et plus nous sacrifions nos droits, plus nous sacrifions également notre capacité de stopper le glissement vers un monde libre. Est-ce que tu crois vraiment que lorsque la première, la deuxième, ou la sizième vague du coronavirus, ne seront plus qu'un lointain souvenir, on renoncera à utiliser ces nouveaux instruments et on renoncera à utiliser toutes les données accumulées. Est-ce qu'on ne va pas commencer à utiliser ce instruments, pour traquer des petits délinquants ? Est-ce qu'on ne va pas s'en servir pour les analyses politiques ? Pour procéder au recensement ? Est-ce qu'on ne va pas s'en servir pour faire des sondages politiques ? Est-ce qu'on ne va pas s'en servir pour faire des sondages politiques ? Peu importe la façon dont on s'en servira, ce qui est en train être structuré, c'est l'architecture de l'oppression. Et peu importe qui vous ayez confiance en ceux qui gèrent ça. Moi, je m'en fou de Mark Zuckerberg ! Mais un jour les données finiront dans les mains de quelqu'un d'autre.
Elles atterriront dans les mains d'un autre pays. Dans votre propre pays, un autre président finira par contrôler toutes vos données et quelqu'un s'en servira de manière abusive.
- Sur quoi devrions-nous être concentrés ?
- Une des choses qui me frappe, c'est ce sentiment que tout ça surgit de nulle part, qu'on aurait pu l'empêcher, et qu'on n'aurait pas pu imaginer une telle pandémie mondiale. Les américains moyens, ils vont au boulot tous les jours, ils passent dix heures au bureau, dans leur voiture, loin de leur famille, loin de leur foyer. Et à la fin de la journée, il ne leur reste pas de temps pour penser.
Et d'un coup, nous sommes tous collectivement, et simultanément, forcés de prendre des congés généralisés, partout dans le monde, ce qui est un événement extraordinaire rare dans notre histoire. Nous vivons un des seuls instants qui restera gravé dans nos vies comme celui où le système est tellement mis à l'épreuve, tellement écartelé, et que les gouvernements sont tellement ouvertement dépassés, qu'on a la possibilité de mettre en oeuvre des changements non plus de la réforme mais de la révolution, qu'on peut tellement changer le fonctionnement de la société, qu'on peut réellement changer la structure du système, qui contrôle et influence nos existences, la façon dont on est surveillé, la façon dont on est suivi. Parce que les systèmes, si on ne les change pas, ne serviront pas seulement à observer notre état de santé, ils prendront des décisions pour nous, de façon automatique, pour déterminer qui obtient un poste, qui peut faire des études, qui obtient un prêt, à qui on loue une maison, et qui n'a pas le droit à tout ça.
Et aujourd’hui, on nous demande dans un moment extraordinaire, comment est-ce qu'on veut que ce système soit fait. Et si on ne prend pas cette décision pour nous-même, quelqu'un la prendra à notre place. "
- Extrait d'une interview de Christiane Taubira sur France Inter datant du 13 avril 2020
" Comme on est pas insensible, on est vulnérable comme les autres, même si on a un devoir de force et de résistance (...) Je suis profondément persuadé que se sera compliqué parce que c'est un débat qui va traverser le pouvoir lui-même. Comment on sort d'un coup avec les risques que cela suppose. Est-ce qu'on sort au "sifflet", comme on dit, et quand est-ce qu'on arrête le "sifflet" ? Et incontestablement, l'urgence, sanitaire ou pas, mais objectivement, cet état d'urgence, est une privation quasi absolue de libertés individuelles et de libertés publiques.
Nous y consentons, et nous avons besoin d'y consentir. Pas seulement pour nous-même, c'est pas le plus glorieux, mais pour les autres (...) Oui, nous y consentons. Mais les démocraties, parce que les responsables politiques ont de moins en moins de courage, il est de plus en plus difficile de revenir sur les privations de libertés. Il y a toujours une voix, un courant, qui va se mettre à hurler lorsque quelqu'un va rétablir les libertés, en disant qu'on rétablit les risques. Et comme les hommes politiques ont appris à ne pas affronter les opinions publiques critiques, c'est de plus en plus difficile, mais ça veut dire que la réponse est entre nos mains, c'est à nous de faire mûrir nos démocraties.
Et si nous sortions de cette épreuve terrible, où nous perdons du monde, où nous perdons des amis, nous perdons des parents, nous les perdons dans des conditions les plus terribles, parce que nous ne sommes pas en situation de passer ensemble, autour de la personne qui s'en est allé, un moment d'apaisement, un moment de larmes, de chagrin, mais aussi de joie. C'est un rituel qui est aussi interdit en ce moment.
Si nous sacrifions ça, qui est un sacrifice terrible, et nous si nous sacrifions cela à une petite routine, en sortant, c'est que nous avons été misérable, peureux, reclus chez nous, pour ne pas tomber malade, pour ne pas crever, mais grand comme nous devrions être capable de l'être en ces circonstances."