
Giscard, Chirac, Juppé, Bayrou, Zemmour, continuons le combat !
Lors de son premier discours de campagne grand format à Villepinte, le candidat Zemmour a raillé l'étiquette "fasciste" qu'on lui colle. " Fasciste ? " a-t-il clamé, "ben voyons !" ont répondu en choeur ses groupies, parlant couramment le Zemmour. Ils avaient même imprimé cette réponse sur des pancartes militantes. Dans un long silence couvert d’applaudissements leur champion a donc balayé l'adjectif avec un sourire apitoyé, lui, ce démocrate sincère, se faire traiter ainsi ? Avec dans son oeil la petite tristesse d'un Calimero, mêlée à une certaine satisfaction quant au pouvoir qu'on lui prête déjà. Sauf qu'à écouter les mesures qu'il a détaillées en matière d'immigration-le coeur, pour ne pas dire le seul et unique chapitre de son programme, on ne peut que conclure, effectivement, que celui qu’on surnomme Gargamel, appartient bien à cette catégorie politique. Si l'on considère que le fascisme est le passage à l'acte de l'extrême-droite, alors parlons, pour être rigoureux, de fascisme latent.
Pour échapper à ce qu'il nomme une infamie (être classé à l'extrême-droite), il s'est placé sous la protection de toute la droite en rappelant que c'était ici, à Villepinte, qu'avait eu lieu en 1990 les Etats-Généraux de l'immigration en présence de Giscard, Chirac, Juppé, Bayrou, et qu'on y avait décidé notamment l'abrogation du droit du sol, rien que ça. Donc voilà, si je suis fasciste toute la droite l'est, puisque je reprends un flambeau lâchement abandonné il y a 31 ans. Mais on le sait bien, cher monsieur, que toute la droite l'est, en grattant un peu. Le récent "débat" du club des 5 prétendant-e-s l'a prouvé, c'était un concours Lépine des mesures xénophobes. Tout y est passé, Guantanamo à la française (Ciotti), sortie de la CEDH (Juvin), etc. Et puis n’oublions pas que notre bon vieux Giscard avait tenté l’impossible douze ans plus tôt. Macron vient juste de rappeler quel grand président ce fut à l'occasion de l'anniversaire de sa mort...mais c’est lui qui en 1978 avait envisagé le retour de 500 000 Algériens chez eux, à raison de 100 000 par an ou je me trompe ? Il était prêt pour cela à dénoncer les accords d'Evian, à changer les lois sur l'Immigration, etc. Mais suffisamment de forces dans la société française ont empêché cette déportation, il faut bien l'appeler ainsi. Un conseiller du quai d'Orsay, rapporte l'historien Patrick Weil avait lancé à Jean François-Poncet, ministre des Affaires Étrangères : «Comment va-t-on faire ? Un jour, au petit matin, on ira avec des cars de police et de gendarmerie arrêter les gens chez eux pour les mettre dans des trains, des cars puis des bateaux ? Et les enfants, on en fera quoi ? Ils sont Français. On va séparer les enfants des parents? Ou on va renvoyer des parents français ?»[1] C’est ce film là que Zemmour veut produire en vrai.
Pour sauver la France, une croisade contre les ennemis de l’intérieur
Le fascisme a une conception organique du peuple, corps unique et indivisible de la nation. « La France » que Zemmour ne cesse d’invoquer est cette substance idéale dont chaque Français est un morceau, et qui doit « reprendre son destin en main » et « reprendre sa place ». La foi remplace la pensée, « la France » doit s’imposer comme une puissance spirituelle qui emporte tout et tout le monde. On l’a compris, ce n’est pas une campagne qu’il propose, c’est une croisade contre les ennemis de la France. Car le fascisme a besoin d’un drame national, d’une fiction belliqueuse pour exister. Et s'il n’y a pas de guerre, il faut la créer. C'est exactement par là que commence Zemmour : "la France est au bord du gouffre"," je veux sauver la France ", j’en fais ici « le serment ». Mon nom est Clovis, Jeanne d'Arc, Napoléon, de Gaulle
L'entreprise est délirante et ne peut fonctionner qu'en renversant l’état de droit. Autre caractère essentiel du fascisme, un pays c’est un chef, un peuple, un destin. Aucune instance n’a le droit de brider cette puissance. L'intéressé l'a déjà annoncé, les institutions qui barrent la route à sa révolution nationale seront annulées par un recours au référendum sur l’Immigration. En début de mandat, celui-ci aura la même fonction que les législatives, faire ratifier l’élection du Président par les électeurs. Le bon vieux plébiscite, idéal pour mettre la République à sa botte. Prévu pour enjamber le Conseil Constitutionnel, destituer la Cour Européenne des Droits de l’Homme et faire fi du pouvoir de Bruxelles, ce référendum sera son coup d’état. Qui peut douter une seconde que dans le contexte de la Vème, il n’en profite pas, en cas de succès, pour installer un pouvoir sans partage et mettre tout l’appareil politique à sa botte. Car pour imposer son programme, il ne pourra en être autrement. Contraindre l’Etat et la société au service de son projet « suprême », c’est la caractéristique politique principale du fascisme.
Mettre au pas l’Etat et la société
"L’immigration zéro" repose d’abord sur le renvoi "chez eux" des étrangers en situation irrégulière ou détenus. Et le docteur Zemmour ne lésine pas, ce sont TOUS les sans-papiers qui seront expulsés. On se souvient en particulier des années Hortefeux où l'on avait atteint 29 000 expulsions en 2009 (la feuille de route de Sarkozy avait fixé l'objectif à 27 000, puis 28000 en 2010, où des actions spectaculaires au cours de l'été contre les Roms, décidées au plus haut niveau, avaient choqué l'opinion publique internationale). Le virage pris dans ces années-là était sans retour, la répression s'est fait système. Celui ou celle qui n'a pas de papier, qui ne peut justifier légalement sa présence sur le territoire, peut à tout moment, dans les transports, à l'hôpital, dans la rue, être interpellé, mis en garde à vue, placé en centre de rétention administrative (qui est une prison pour les mis-e-s en examen administratif) et enfin expulsé ou non. À l'époque Sarkozy, toute l'Europe s'y était mise, sous les bons auspices de Frontex. Bruxelles organisait même, époque bénie, des "retours conjoints", c'est-à-dire des vols qui, au départ de plusieurs capitales, ramenaient « chez elles » des personnes originaires d'un même pays. Un sinistre ramassage que la Cour Européenne des Droits de l'Homme a fait interdire, condamnant l'UE pour cela au passage. Une politique du chiffre, qui, en dehors de son coût (8 525 782 € dépensés pour 2038 personnes reconduites par Frontex en 2011[2]), réactiva de bonnes vieilles pratiques comme les souricières (fausses convocations) ou les rafles, et renvoyait les personnes à l'aveugle, souvent au mauvais endroit. Sans parler des avions cloués au sol par des scènes tragiques, des passagers en colère ou des équipages récalcitrants.
La feuille de route de l’éditorialiste promu Président est d'une tout autre conséquence. On parle de 500 à 700 000 personnes, peut-être plus, correspondant à la catégorie « étranger en situation irrégulière ». Giscard, 1978, le retour. En beaucoup plus compliqué, beaucoup plus international. La population d'un département. Allez. L'intendance suivra. Actuellement, soyons clair, de source policière, et certains agents s'en plaignent, l'outil opérationnel principal est le délit de faciès. Ensuite viennent les fraudes dans les transports en commun. Et puis les hasards du contrôle d'identité. Sur cette base-là, on n’y arrivera pas. C’est petit bras. Comment va-t-on s'y prendre ? Avec des méthodes militaires et un appareil judiciaire et institutionnel "remodelé". Fasciste, ben oui.
On le sait, les guerres coloniales nous ont tout appris, que ce soit la façon de construire des villes, ou de contrôler la population (surveillance, maintien de l'ordre, lutte anti-guérilla). Il faudra déjà, comme disait Pierre Messmer, revenant sur les opérations menées par la France au moment de l’accession à l’indépendance du Cameroun, « séparer l’eau du poisson »[3]. Autrement dit isoler les suspects du reste de la population. Une campagne de criminalisation des sans-papiers sera indispensable, en communication, comme en action. Bien sûr les « Services » s’en occuperont. Il faudra créer une Direction dédiée à cette tâche dans la Police, former des brigades, afin de ne pas accaparer toute l’action policière. Mettre les Douanes sur le coup, évidemment. Toute la société devra s’y mettre, à commencer, par exemple, par les agents de Pôle-Emploi, puisqu’au bout de six mois de recherche infructueuse, un chômeur étranger devra être signalé aux autorités et renvoyé. C’est une des mesures proposées par Zemmour. Le passe sanitaire pourrait tout à fait se décliner en « passe civil, ou administratif ». Je vous laisse imaginer les scènes qui en découleront. L’outil est là, banalisé hélas, nous l’avons accepté. Nous avons mis un pied dans l’horreur du contrôle social numérique. Le passe administratif fera partie de l’Intendance. Efficace. Les mairies, toutes les administrations des territoires seront mises à contribution pour identifier les sans-papiers. Ne parlons pas des associations, et des entreprises. La délation, les trafics, les fraudes, les passe-droits rentreront dans le quotidien des Français. Le prix des faux-papiers grimpera en flèche, la corruption pourra se développer à tous les niveaux de l’Etat.
Pour être efficace, la politique du retour devra laisser aux Préfets les mains libres. On sautera la case judiciaire. Sur le fond, les recours auprès du Tribunal Administratif devront être supprimés. Tout comme ceux auprès du Tribunal de Grande Instance (Juge des libertés et de la Détention) pour les questions de procédure. La Cour Nationale du Droit d’Asile devra être également être destituée. Si toutes ces dispositions ne sont pas prises, on voit mal comment le pouvoir pourrait parvenir à ses fins. À moins bien sûr de noyauter ou de vider de leur substance toutes ces juridictions, ce qui revient au même. Bref quand le pouvoir exécutif remplace le judiciaire, on appelle ça…le fascisme.
En ce qui concerne l’arrêt de l’immigration légale, l’exécutif devra également faire sauter pas mal de verrous institutionnels. Comment supprimer le Droit du Sol, le droit au regroupement familial, sans trouver sur sa route le Conseil Constitutionnel, le Conseil d’Etat, la Cour Européenne des Droits de l’Homme et bon nombre d’accords internationaux. Nul besoin d’être un aigle pour comprendre le désastre humanitaire qui s’en suivra. Des millions de gens se retrouveront de facto envoyés dans la clandestinité. Plus de morts, plus de misère, plus de violence, le fascisme…ben bien sûr.
[1] « Le sens de la République » Patrick Weill. Éditions Grasset
[2] Bilan Frontex 2011
[3] Film « Autopsie d’une indépendance » Gaëlle Leroy, Valérie Ozouf, 2015