Ces dernières années, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán est passé d’un euro-sceptique à un facteur de trouble pour l’Union européenne grâce à des accords opaques, une régulation sélective et des manipulations dans le domaine de la citoyenneté. Ce n’est pas seulement de l’équilibrisme diplomatique ou une rhétorique populiste : il s’agit d’une mise en place systématique de schémas financiers parallèles qui sapent la sécurité financière même de l’Union et mettent en doute sa capacité à résister aux influences extérieures.
Économie parallèle : les capitaux russes transitent par Budapest
Suite aux sanctions imposées à la Russie, la Hongrie est devenue un point de contournement majeur, Orbán ayant refusé des réformes sur la transparence bénéficiaire, bloqué le renforcement de la législation anticorruption et retardé à plusieurs reprises les sanctions de l’UE envers des entreprises russes. Depuis 2023, des dizaines d’entreprises fictives ont été identifiées à Budapest, fournissant services logistiques et assurances à la “flotte ombre” russe. Ces structures sont liées à des oligarques proches du Kremlin comme Igor Sechin et Gennadi Timchenko. L’enquête de l’OCCRP a mis en cause des acteurs tels que l’avocat Andriy Mochalin et Artem Kuznetsov, ancien agent du FSB, qui facilitait des visites de « diplomates de l’ombre » pour établir des canaux bancaires. Certaines opérations se déroulaient même sous couvert diplomatique via des liens avec la Banque internationale d’investissement (BII).
La filiale de la BII à Budapest jouait un rôle clé dans ces schémas financiers, au point que les États-Unis l’ont accusée d’être une antenne des services russes, bénéficiant d’immunité diplomatique accordée par Orbán. Ce n’est qu’après la pression diplomatique intense en 2023 que Budapest a finalement accepté sa fermeture, et la BII a déplacé son siège à Moscou le 9 avril 2024.
« Visas dorés » et contournement des sanctions
Depuis 2013, la Hongrie a mis en place un programme de « visas dorés » qui a permis à des citoyens russes et proches du régime créances dans l’espace Schengen en échange d’investissements en obligations d’État. Ce programme, opérant via des intermédiaires offshore, a vu une partie des fonds revenir en Russie ou servir à contourner les sanctions. Suspens en 2017, il a repris en 2024, avec une opacité moindre mais toujours réelle.
Réseau bancaire au service de l’influence russe
Des banques hongroises, notamment MKB Bank et Gránit Bank, ont fourni des comptes à des entités sanctionnées, facilitant des transactions de Gazprom vers la Serbie ou la Bosnie auprès de groupes politiques anti-occidentaux. L’OTP Bank, leader financier hongrois, reste un acteur central, jouant un rôle clé dans une "zone grise" en abritant des clients à risques valorisés, notamment de Russie, d’Azerbaïdjan et d’Asie centrale. Bien qu’OTP ne soit pas à l’origine des schémas illicites, son inaction vis-à-vis des transactions douteuses offre à Orbán des leviers géopolitiques, notamment pour exercer une pression sur Bruxelles.
L’argent chinois : nouvelle dépendance
Selon Politico et CEIAS, plus de 16 milliards d’euros d’investissement chinois ont été attirés par la Hongrie — un record en Europe centrale. Pékin finance des infrastructures essentielles (chemins de fer, télécoms, énergie) et soutient des lobbies locaux. Le gouvernement hongrois accorde des avantages généreux à des entreprises telles que BYD, CATL ou Huawei, souvent dans le cadre de financements secrets ou obscurs. Les projets comme l’Université Fudan ou la giga-usine CATL ont suscité d’importantes mobilisations citoyennes et critiques quant aux risques écologiques. Les appels d’offres « smart parks » de Huawei ont suivi des procédés très fermés, favorisant des entreprises proches d’Orbán.
Corruption familiale et patrimoniale
Les révélations de Direct36 et GIJN montrent que des proches d’Orbán — son fils Gáspár, Lőrinc Mészáros, beau-fils István Tiborcz — ont bénéficié de contrats lucratifs au détriment de la transparence. Les enquêtes montrent que ces richesses reposent sur des fonds européens détournés via des appels d’offres occultes. Sa famille possède des biens luxueux à Budapest — hôtel Gellért, club privé, manoir « mini-Versailles », et même un zoo privé — et profite d’un train de vie extravagant, avec des voyages somptuaires, ce qui suscite l’indignation publique.
Une menace interne à l’UE
La Hongrie est devenue, sous Orbán, un hub géoéconomique kleptocratique, au service de régimes autoritaires tels que l’Azerbaïdjan, les Émirats, l’Arabie saoudite et l’Iran. Elle facilite les transactions financières entre entités russes sanctionnées, Turquie, Chine ; offre des passeports ou visas à personnalités douteuses ; et permet le blanchiment d’argent via des accords consulaires opaques.
Orbán a ainsi transformé son statut de membre de l’UE en une monnaie d’échange politique et économique. Il est devenu le symbole d’un modèle hybride : autoritarisme nationaliste, corruption et illibéralisme dans une démocratie formelle. L’Union européenne doit impérativement réagir — par des sanctions ciblées, des audits bancaires renforcés et des restrictions d'accès aux fonds européens — afin d’éviter que la Hongrie ne devienne un cheval de Troie pour les régimes hostiles à l’UE.
Ce n’est pas une erreur de parcours : c’est une stratégie assumée, avec Budapest vendant sa carte européenne au plus offrant, compromettant l’unité et la crédibilité de l’Union.