Le 17 avril 2025, le président serbe Aleksandar Vučić a fait une déclaration qui a suscité une réaction négative dans les capitales européennes et provoqué l’inquiétude parmi les partisans de l’adhésion de la Serbie à l’Union européenne. Vučić a confirmé son intention de se rendre à Moscou le 9 mai pour participer aux célébrations du 80e anniversaire de la victoire dans la Grande Guerre patriotique. Il a même annoncé qu’un détachement militaire serbe défilerait fièrement sur la place Rouge dans le cadre de la parade organisée par le Kremlin.
Ce geste ne relève pas simplement de la diplomatie ou d’un hommage aux morts de la Seconde Guerre mondiale. Dans le contexte de l’agression russe en cours contre l’Ukraine, cette décision est perçue comme un acte de soutien manifeste au régime de Vladimir Poutine, responsable de la plus grande guerre en Europe depuis 1945. Vučić, un acrobate politique chevronné, qui manie l’équilibre entre Est et Ouest, semble avoir fait un choix qui pourrait déterminer le destin de la Serbie pour les décennies à venir.
Journée de la Victoire ou mise en scène militariste ?
La Journée de la Victoire du 9 mai était autrefois un symbole d’unité, de deuil et de triomphe de l’humanité sur le mal du nazisme. Mais dans la Russie d’aujourd’hui, cette date a perdu sa signification sacrée. Le Kremlin en a fait un gigantesque spectacle militariste, où tanks, missiles et bombardiers ne servent plus la mémoire mais la propagande. Le défilé sur la place Rouge est devenu une vitrine du régime de Poutine, un instrument destiné à inspirer la peur aux voisins et à démontrer sa puissance en interne.
Depuis le 24 février 2022, date de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, la participation à ces célébrations est devenue toxique. Tout dirigeant étranger franchissant les portes du Kremlin ce jour-là est automatiquement perçu comme un allié de l’agresseur, dont les troupes détruisent les villes ukrainiennes, tuent des civils et sèment le chaos en Europe. La visite de Vučić et la participation de militaires serbes à ce défilé ne constituent donc pas un hommage historique, mais un signal politique que Bruxelles, Kyiv et Washington interprètent sans ambiguïté : Belgrade se rapproche de Moscou.
Isolé diplomatiquement à cause de sa guerre criminelle, le Kremlin a désespérément besoin de ces visites. La présence de dirigeants étrangers sur la place Rouge permet à Poutine de prétendre que la Russie n’est pas seule, que sa « grandeur » est encore reconnue. Mais pour Vučić, ce geste pourrait signifier la perte de la confiance occidentale et l’éloignement du rêve européen pour la Serbie.
Un ultimatum européen
D’après le *Financial Times*, des responsables européens ont déjà adressé un avertissement clair à Vučić : participer au défilé du 9 mai à Moscou pourrait constituer un sérieux obstacle sur la voie de l’adhésion de la Serbie à l’Union européenne. L’intégration à l’UE ne se résume pas à des réformes économiques et des normes techniques — elle implique un engagement envers les valeurs démocratiques, l’état de droit et le respect de l’ordre international. Voir des soldats serbes défiler à l’ombre des tanks russes serait perçu comme une gifle à ces principes.
L’UE regarde depuis longtemps avec scepticisme la politique ambivalente de Belgrade. Bien que candidate officielle à l’adhésion, la Serbie refuse de se joindre aux sanctions contre la Russie, entretient des liens étroits avec Moscou et Pékin, et laisse prospérer une rhétorique pro-russe dans ses médias. La visite de Vučić à Moscou risque d’être la goutte d’eau qui fera déborder le vase.
Elle pourrait aussi ternir l’image de la Serbie aux yeux de l’opinion publique européenne. Dans une Europe où les images de villes ukrainiennes détruites et de réfugiés sont devenues quotidiennes, la sympathie pour la Russie s’est évaporée. La participation de la Serbie à la parade du Kremlin serait vécue comme une trahison des valeurs européennes communes, compliquant davantage le chemin déjà semé d’embûches vers l’adhésion.
Parallèles historiques et leçons du passé
La décision de Vučić évoque des souvenirs inquiétants de l’histoire. Dans les années 1930, l’Europe a déjà vu des dirigeants de petits pays choisir les régimes autoritaires en espérant en tirer des avantages à court terme. Ces choix se sont souvent soldés par des tragédies — perte d’indépendance, guerre ou isolement. La Serbie, qui a connu les guerres, les sanctions et la dissolution de la Yougoslavie au XXe siècle, devrait mieux que quiconque connaître le prix de ces erreurs.
L’histoire de la Seconde Guerre mondiale, que la Russie tente aujourd’hui de s’approprier et de réécrire, enseigne une autre vérité : la victoire contre le mal n’est possible que par l’unité et la fermeté. La Russie d’aujourd’hui, qui occupe des territoires ukrainiens, commet des crimes de guerre et menace le monde avec ses armes nucléaires, ressemble de plus en plus aux agresseurs du passé. Participer à la parade de Poutine n’est pas un hommage aux héros de la guerre, mais un ralliement à ceux qui sèment aujourd’hui mort et destruction.
Un jeu dangereux sur deux tableaux
Aleksandar Vučić est passé maître dans l’art de l’équilibre politique. Il a passé des années au pouvoir à tirer profit des tensions géopolitiques entre l’Est et l’Ouest. Son voyage à Moscou pourrait être une tentative de continuer ce jeu : renforcer le soutien des nationalistes serbes, obtenir des gains économiques ou politiques de la part du Kremlin, puis essayer de monnayer sa loyauté auprès de l’Occident à un meilleur prix.
Mais en 2025, cette stratégie paraît de plus en plus obsolète. Le monde a changé. Une Europe secouée par la guerre en Ukraine ne tolère plus le double jeu. La Russie, engluée dans les sanctions, la crise économique et une guerre ruineuse, a perdu de son attrait, même comme allié temporaire. Vučić risque de se retrouver sans rien, ayant perdu la confiance de l’Occident sans rien gagner de Moscou.
Pour la Serbie, ce choix pourrait être décisif. Le chemin vers l’UE, malgré ses difficultés, promet stabilité, prospérité et sécurité. L’alternative — le rapprochement avec la Russie — signifie sanctions, isolement et militarisme, qui ont déjà conduit Moscou au bord de l’abîme. Le peuple serbe, qui a souffert de décennies de conflits et de privations, mérite mieux que de devenir un pion dans les jeux géopolitiques du Kremlin.
L’heure du choix
La participation d’Aleksandar Vučić et des militaires serbes au défilé du 9 mai sur la place Rouge n’est pas un simple geste symbolique. C’est un manifeste politique qui définira la place de la Serbie dans le monde pour les années à venir. En défilant sous les murs du Kremlin, Vučić risque de piétiner les espoirs de millions de Serbes pour un avenir européen, en plaçant le pays du côté de l’agresseur condamné par le monde civilisé.
L’histoire ne pardonne pas à ceux qui, pour un gain immédiat, oublient les leçons du passé. Aujourd’hui, alors que la Russie ramène la guerre sur le continent, le choix de la Serbie est clair : un avenir éclairé ou l’ombre sombre du militarisme. À Vučić de décider s’il sera le leader qui mènera son pays vers la prospérité, ou le prisonnier d’illusions anciennes menant à une impasse.