
Je venais de lire son dernier livre, dont l'écriture avait été pour lui essentielle. " Le jour où Gary Cooper est mort", paru chez Rivages-Payot. J'avais découvert alors un Boujut que je ne connaissais pas si bien que cela, lui en avais fait part, et cela l'avait ravi, comme tout ce qui n'était pas entendu d'avance.
Cette histoire de désertion qui l'avait conduit en Suisse, à la télévision, où je l'avais rencontré.
On a le tort de penser que la vie des gens commence quand on les rencontre.
Nous avions travaillé, et aussi fait la grève, je ne m'étais pas étonné qu'il soit d'accord tout de suite.
Non, je ne connaissais pas cette longue quête de liberté qui avait décidé de sa carrière de critique cinématographique.
Ces cinémas où il se cachait pour ne pas partir "faire la guerre d'Algérie", comme on disait. De la guerre d'Algérie, nous savions peu de choses, des inscriptions sur les murs, "Libérez Pouillon", nous paraissaient énigmatiques. Ce n'est que plus tard que je sus, que ces étudiants algériens croisés à l'Université qui se permettaient de contredire les profs, deviendront ministres du FLN.
Il y a un mois, je l'avais rencontré dans la rue alors qu'il se rendait chez Michel Piccoli pour préparer la présentation qu'il devait en faire dans une librairie.
Je n'avais pu y aller, ce n'était que partie remise.
C'était le 25 avril, ce serait donc la dernière fois que je l'aurais vu.
Michel est mort la nuit dernière, d'une maladie foudroyante.
Il n'y aura plus, ces cafés pris ensemble, le dimanche au marché du boulevard Beaumarchais qui nous permettaient de faire le point. Il avait toujours ce point de vue décalé sur le monde, je savais que je pouvais l'appeler, pour lui demander un avis, une adresse.
N'était-ce pas lui qui avait organisé ce voyage à Paris en 1971, pour obtenir le soutien d'amis français lors de notre licenciement de la télévision suisse, grâce à lui nous avions rencontré les journalistes de Charlie-Hebdo, Jean-Luc Godard, et d'autres.
Généreux de ses adresses, ce qui dans le métier n'est pas fréquent .
Dans la Glâne, près de Fribourg, il avait trouvé des fermes où nous nous étions réfugiés, improvisés fermiers de montagne. C'est là que Thomas son fils et né.
Et Michel écrivait, toujours et toujours.
"C'est un métier", disait-il, "le matin je me mets au travail ça vient ou ça ne vient pas", sentencieux même sur la fin, alors que nous parlions d'un ami, il trouvait qu'il ne travaillait pas assez.
Est-ce de son père, Pierre Boujut, le poète créateur de La Tour de feu, qu'il tenait le métier? C'est toujours difficile à dire. Poète, il l'était, ses articles dans la Charente Libre en témoignaient, il y avait cette tournure particulière, une histoire poétique naissait d'un simple fait.
Plus que cela c'est lui qui me familiarisait la France, avec Mano sa femme, j'avais découvert le meilleur cognac de sa région. Il m'avait raconté que son grand-père prenait toujours la pomme un peu pourri à la cave, et du coup de sa vie, il n'avait mangé que des pommes un peu gâtées.
J'avais découvert et c'est toute une culture, le radis noir, les fèves crues.
Du passé il avait une vue dynamique, pas de complainte nostalgique, Antoine Vitez, Lacan auraient parlé d'un "futur antérieur", il vivait dans le "futur antérieur".
Ses positions politiques avaient évolué, il n'était plus anarchiste.
Voila, Michel Boujut n'est plus là, pour voir les films, pour en sourire si particulièrement, il faudra voir les films sans lui.
On va attendre un peu.