Depuis plusieurs mois, les journalistes de Marsactu se sont lancés dans l’aventure de la reprise de leur journal en ligne. Avant leur retour à l’automne avec un nouveau site disponible sur abonnement, ils livrent ici leur vision des mutations de la presse locale sur Marseille et son territoire.

Les journalistes du monde entier adorent gloser sur Marseille et ses particularités supposées. Règlements de compte, trafics de drogue, ambiance cosmopolite et vendeuse de poissons qui commente l’actualité depuis le Vieux-Port… On connaît par coeur le canevas sur lequel nos confrères posent leur prose. Mais on ne sait pas avec quoi la vendeuse du Vieux-port va emballer sa friture dans un avenir proche. À Marseille comme ailleurs, le paysage médiatique se réduit comme peau de chagrin.
Ancienne propriété de Gaston Defferre, maire illustre, La Provence appartient depuis 2012 à Bernard Tapie, ancien glorieux président du club de foot de la ville, éphémère ministre et repris de justice … Piment supplémentaire, sa fortune retrouvée pourrait lui être retirée dans les mois qui viennent et remettre ainsi le quotidien sur le marché. Mediapart a amplement documenté les aspects politico-judiciaires de l’affaire.
En interne, cette incertitude se traduit par une stratégie de l’actionnaire illisible, voire carrément mortifère. Ses derniers actes concrets ont consisté à placer son fils dans l’organigramme et à contester le montant des primes réclamées par les journalistes sur le départ.
Non loin du Vieux-Port, La Marseillaise résiste encore et toujours. Ce journal communiste né dans la clandestinité pendant la seconde guerre mondiale fait face à des difficultés économiques structurelles. Placée en redressement judiciaire, l’entreprise de presse vient d’être reprise par Les Fédérés, une société présidée par le secrétaire départemental du parti communiste français. Le parti, ses adhérents et plus largement les lecteurs ont réussi à se mobiliser pour sauver ce titre historique. Or ce sauvetage dont la pérennité n’est pas assurée a eu pour première conséquence de saigner à blanc les effectifs.
Voilà l’endroit où l’histoire des deux titres se rejoint : la rédaction joue le rôle d’une variable d’ajustement permettant de réduire les coûts et de contrebalancer l’effritement des revenus publicitaires et des ventes. Nous quittons là le particularisme pour arriver à une situation beaucoup plus générale. Partout en France, les kiosques ferment et les lecteurs migrent ailleurs. C’est une évidence : c’est désormais sur internet qu’ils trouvent de l’information. Ou un mélange d’information et de divertissement, avec pour seul point commun le potentiel de clics et l’absence de travail approfondi.
Ce phénomène est perceptible à l’échelle planétaire et affecte durablement le fonctionnement de nos démocraties. Comme les autres titres, la presse quotidienne régionale a entamé sa migration numérique. Elle propose désormais une offre payante sur le net qui remplacera sans doute à terme le journal papier. Mais quelle information peut-elle donner quand il y a de moins en moins de journalistes dans ces rédactions ?
Vigie démocratique
Nulle crainte pour les déplacements ministériels ou les tueries spectaculaires, la presse audiovisuelle assure la couverture. Mais qui scrute la façon d’exercer le pouvoir de(no)s élus locaux ? Qui rend publics leurs débats ? Qui expose la manière dont ils dépensent l’argent public ? Il ne s’agit pas là de succursales éloignées de la démocratie française mais d’acteurs publics riches à milliards qui modèlent nos paysages et dont les décisions affectent durablement la vie de nos concitoyens.
L’État, principal aménageur du territoire, est tout aussi concerné. Qui va analyser la manière dont il a contribué à reléguer à l’arrière-plan européen le premier port français, en négligeant son développement durant des décennies ? Qui va suivre par le détail, les programmes de rénovation urbaine qui bouleversent la vie de citoyens qui subissent déjà l’exclusion ? Qui va parler d’eux, de leur vie, de celle de leurs voisins?
Face à cette pluie de questions, au moins peut-on affirmer une conviction. Nous avons fait le choix de regarder le monde à partir de l’endroit où nous vivons. Car c’est à cette échelle que peut être perçue et décrite une grande partie des enjeux d’une économie globalisée, les fractures qui traversent la société et la cité. Cet échelon local, vanté pour sa proximité, est aussi celui de l’opacité des rouages et des conflits d’intérêts, celui du cumul des mandats et du maquis institutionnel, des petits services rendus et des grandes fortunes bien nourries.
Nous, journalistes, avons les moyens de répondre à ces questions en revenant à la base de notre métier : recouper, confronter, enquêter pour produire une information approfondie. Nous ne pouvons le faire que si nous avons les moyens de travailler en toute indépendance, sans être contraints à un accompagnement servile de la communication des entreprises comme des institutions publiques. C'est le défi que relève vaillamment depuis plus de dix ans le mensuel régional d'enquête et de satire, le Ravi, un journal qui connaît lui aussi des difficultés financières (mais redresse les bras). Comme Mediapart, Le Ravi est un de nos partenaires éditoriaux "historiques", il continuera à l'être dans cette nouvelle page de notre histoire.
Un nouveau lien avec les lecteurs
Cette nouvelle aventure a naturellement lieu sur internet. C’est là que Marsactu est né. Car le passage au numérique minimise considérablement le ticket d’entrée dans le théâtre médiatique. Cela réduit aussi considérablement les intermédiaires coûteux qui s’interposent entre un média et ceux qui l’ont en mains. Cela ouvre un champ des possibles illimité dans l’invention de nouvelles formes d’écriture journalistique multimédia et participative. Enfin, et par conséquent, cela crée la possibilité d’un lien nouveau entre un journal et ses lecteurs.
Pour favoriser le débat citoyen, notre site sera aussi pensé comme un carrefour du débat local en proposant une plateforme de blogs et en accueillant des tribunes et des chroniques mettant en discussion tous les aspects de la vie locale, de l’économie à l’aménagement du territoire, de l’activité culturelle aux débats environnementaux et sociaux.
Pour asseoir le nouveau Marsactu, nous faisons le choix de l’abonnement. D’abord, parce que nous avons vécu nos cinq premières années d’existence en étant entièrement gratuit. Malgré la volonté de son fondateur, Pierre Boucaud, ce modèle, basé sur la publicité, n’a pas prouvé sa rentabilité et a amené l’entreprise à la cessation de paiement et la liquidation.
Pour proposer un média dégagé des contraintes de la publicité et des subventions publiques, nous avons besoin de lecteurs qui s’engagent à nos côtés. C’est le sens de la campagne de financement participatif que nous menons aujourd’hui sur Ulule et qui vous permet de faire partie de nos premiers soutiens. Car nous sommes persuadés que c’est dans la co-construction que nous créerons le journal en ligne indépendant dont Marseille et son territoire ont besoin.