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Billet de blog 29 mars 2016

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Révolution Syrienne : Assad, ses armes contre des roses (1)

Pour rendre hommage à la Révolution syrienne il est utile de repositionner l’explication simple qui résume bien le conflit syrien : « c’est un peuple qui s’est soulevé pacifiquement contre un dictateur ».

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La chaîne de l'espoir: l'appel d'une ville, sauvez Daraya Crédit Photo Foulexpress.com

Explication évidente dans les démonstrations pacifiques en mars 2011.  Dans celles déployées avec courage sous les bombardements du régime syrien. A l’image de celles sous ceux de la Russie de Poutine.  Enfin martelée à chaque manifestation d’expression médiatique en Europe. Il était ainsi courant, par habitude paresseuse, de l’oublier.  Beaucoup ferment les yeux sur cette évidence comme ils en oublient les mises en scènes célèbres du régime syrien dont celle qui va suivre. Un mois après le début des manifestations pacifiques en Syrie le régime syrien effectuera une capture d’armes le 18 avril 2011 à la frontière syro-iraquienne. Elle sera retransmise par la chaîne gouvernementale Souria TV. Bachar al Assad criait alors au loup djihadiste parmi les manifestants. Afin de déconstruire la mise en scène par le régime syrien,  Jean-Marc LAFON a bien voulu nous faire un inventaire des armes pour nous expliquer leur provenance et contextualiser cette capture dans le cadre de la révolution syrienne en mars 2011.  Blogueur sur les questions de défense et de stratégie, il anime le blog kurultay.fr qu’il a fondé en septembre 2014 pour « promouvoir l'exercice du sens critique dans le traitement de l'actualité, à travers une approche parfois iconoclaste mais toujours documentée, étayée par des références fiables ».

Pouvez-vous nous faire l’inventaire complet des armes exposées dans cette vidéo svp ?

Au moins 7 mitrailleuses légères russes PKM de calibre 7,62x54R. Ne pas se laisser leurrer par l'adjectif : cette arme est légère pour une mitrailleuse, mais elle est encombrante et pèse tout de même environ 11kg avec son boîtier contenant la bande d'alimentation de 100 cartouches, quand un fusil d'assaut affiche en moyenne 4 kg chargé. Ce sont des armes destinées à l'appui-feu au profit du fantassin.

3 fusils d'assaut M-16 US et 5 carabines M-4 (version compacte du M-16) de calibre 5,56x45 OTAN. Ces armes de base du corps de troupe sont en service dans de nombreux pays dont Israël et le Liban. En Irak, elles équipent certaines unités spéciales de l'armée et de la police.

4 fusils d'assaut russes AKS-74 de calibre 5x45x39. C'est la version à crosse repliable de l'AK-74, fusil de base du corps de troupe russe qui remplaça le célèbre AK-47 de calibre 7,62x39, dont il reste techniquement très proche. Moins courant au marché noir que l'AK-47 mais pas rare.

3 Dragunov SVD russes (ou clones) de calibre 7,62x54R. Ce sont des fusils semi-automatiques de précision, pourvus d'une lunette et destinés aux tireurs d'élite.

1 lance-grenade M79 US de 40mm. Un lance-grenade mono-coup, figure emblématique de la guerre US au Vietnam, très largement exporté aux quatre coins du monde.

De très pistolets mitrailleurs allemands Heckler & Koch MP5 de calibre 9x19mm. Une arme extrêmement répandue à travers le monde, destinée au combat à courte distance (0 à 50m). Faisant l'objet d'un usage à dominante policière, le MP5 a acquis une certaine notoriété aux mains du groupe terroriste allemand Fraction armée Rouge, qui l'a fait figurer sur son logo.

Quelques pistolets mitrailleurs tchèques VZ 61 Skorpion de calibre 7,65 Browning. Ces armes très compactes tirent une munition relativement peu puissante qui les cantonne à un emploi à courte distance. Le VZ 61 a été assez largement exporté et n'est pas rare au marché noir.

De très nombreuses armes de poing, notamment des Makarov russes et des FEG hongrois, de calibre 9x18mm mais aussi au moins deux Glock de 9x19mm.

Illustration 2
daraya-la-pacifiste © © Crédit photos A l'Encontre La Brèche

A combien d’hommes sont-elles destinées et pour quel type d’opération militaire sont-elles utilisées ?

A vrai dire, tout cela est bien hétéroclite. Avec les 7 mitrailleuses, on pourrait pratiquement combler les besoins en soutien de deux compagnies de combat d'infanterie d'une armée régulière (1 compagnie = +/- 140 personnels). Toutefois, en termes d'armements d'infanterie à proprement parler, on n'a que 7 fusils d'assaut, 3 de précision et un lance-grenades. Le reste, c'est à dire le gros du matériel visible dans la vidéo, est de l'armement de courte portée, plus utile pour l'auto-protection et les coups de main (pistolets, pistolets mitrailleurs) voire les missions annexes comme la garde de prisonniers ou d'installations. D'ailleurs, si l'on a vu des pistolets Makarov et FEG en action aux mains d'insurgés en Syrie, jihadistes ou non, les pistolets mitrailleurs, massivement représentés dans cette vidéo, sont presque absents de l'iconographie propre à ce conflit.

Quel rapport cette capture d’armes aurait-elle avec une population syrienne non militarisée qui, réprimée dans le sang, manifestait toujours pacifiquement en avril 2011 ?

Difficile de déterminer si cette saisie d'armes est liée à des groupes armés syriens. Il peut s'agir d'un trafic destiné à un pays tiers, ou encore d'un simple coup monté par le gouvernement syrien. Mais il est avéré que des groupes armés se sont activés en Syrie dès cette époque. Ainsi, Joshua Landis, directeur du centre de recherche pour le Moyen-Orient de l'Université de l'Oklahoma, a témoigné de la mort du cousin de son épouse, colonel dans l'armée arabe syrienne, dans une embuscade sur la route de Banias, le 11 avril 2011. Par ailleurs, les prémisses d'Ahrar al-Sham furent institués peu avant les premières manifestations de Mars 2011 en Syrie.

Al-jayš as-suri al-ħurr (l’Armée Syrienne Libre) est formée le 29 juillet 2011 et le 21 décembre 2011 marque le départ des dernières troupes américaines d’Irak. D’où proviendraient ces armes ?

L'Irak est notoirement un paradis du marché noir, où l'on trouve à peu près tout ce qui existe en termes d'armement léger. Les provenances sont très variées, et pas forcément en prise directe avec les belligérants locaux. Les M-16 et M-4 pourraient avoir été pris aux forces, US, irakiennes ou libanaises. Les autres matériels peuvent venir de n'importe quelle filière et avoir changé maintes fois de mains avant d'arriver là...

Quel était le rôle du régime syrien dans la lutte entre l’Armée Islamique d’Irak et l’Armée Américaine d’occupation ?

Dès septembre 2003, John Bolton, sous-secrétaire pour le contrôle des armes au département d'Etat US, s'indignait publiquement et officiellement du soutien de la Syrie à des groupes terroristes. Lors de la campagne contre-insurrectionnelle US en Irak de 2006-2007, une base de données a été saisie à Sinjar, contenant les références de nombreux combattants étrangers ayant transité par la Syrie. Elle est connue sous le nom de « Sinjar records » et le centre de contre-terrorisme de West Point en a publié et mis en ligne certains éléments http://tarpley.net/docs/CTCForeignFighter.19.Dec07.pdf  Ce soutien syrien a donné aux groupes jihadistes concernés de bonnes connaissances du pays et un réseau utile. On omet trop souvent ce pan de l'histoire quand on se laisse aller à faire de Bachar al-Assad le grand artisan du contre-terrorisme au Moyen-Orient. Comme on oublie que dans la même période, la Syrie soutenait le groupe jihadiste Fatah al-Islam qui s'empara du camp de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared au Liban et y livra une bataille de trois mois contre l'armée libanaise. Les principaux cadres de  Fatah al-Islam avaient pour point commun d'avoir fréquenté les geôles syriennes, à l'image de Shakir al-Absi, son fondateur, arrêté en 2002 pour avoir animé une rébellion dans les hauteurs du Golan.

Le régime syrien criait au loup djihadiste alors qu’il était préoccupé par les convois d’armes destinés au Hezbollah. Pourquoi a -t-il mis en scène cette « capture » d’armes le 18 avril 2011 ?

La clef de voûte argumentaire de Bachar al-Assad quant à la légitimité de son gouvernement face aux opposants est, depuis le début, la lutte contre le terrorisme. Où les médias occidentaux montraient des manifestations pacifiques, il importait de montrer des mouvements violents visant à déstabiliser le pays, ainsi que des trafics d'armes et de combattants orchestrés par l'étranger.

Illustration 3
Daraya, la ville des roses est plombée par les barils

Lilia Marsali.

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