LETTRE<sp
LETTRE A MA SOEUR,
A ce moment de notre vie et à l’heure de faire un bilan des événements de ces quelques années passées il m’est venu à l’esprit qu’une explication peut-être plus apaisée était possible, bien que je n’en sois pas très convaincu. Nous sommes quatre enfants d’une même fratrie ayant les mêmes parents et ayant grandi à dix ans d’intervalle deux par deux. Les aînés ont vécu leurs premières années au milieu des années” trente”au coeur de la tumulte des années d’après crise de 1929.Nous, les deux “petits”, avons atterri après l’orage de la seconde guerre mondiale,mille neuf cent quarante cinq et mille neuf cent quarante six. Pourtant, bien que dix ans nous séparaient de nos deux autres frère et soeur, nous avons vécu les premières années sensiblement dans des conditions matérielles identiques. Nos parents ne possédaient alors qu’une modeste exploitation agricole, exploitation si peu importante qu’elle ne subvenait pas aux besoins de la famille.Je n’ai aucun souvenir de toi pendant ces quatre années où j’ai vécu dans cette misérable maison au sol de terre battue. Il m’en reste quelques-uns notamment celui où, présomptueux de ses forces, je brisais une petite brouette remplie de cailloux en la soulevant ;j’avais peut-être quatre ans. Mais le plus vivant des souvenirs est celui du départ de la famille vers le grand village où le père avait enfin trouvé une ferme à la hauteur de ses ambitions et des besoins de la famille, d’une superficie dix fois plus importante que la minuscule « bennasse » que nous quittions. J’ai encore à l’esprit les images des animaux, surtout les vaches, cheminant dans la grande plaine, et de nous deux assis sur le porte-bagages des vélos de nos parents. Quelque part une émotion un peu similaire à certaines scènes de l’exode de la famille des « Raisins de la colère »...C’est là que nous allions, sans le savoir, nous affronter au monde, le monde de ce nouveau village,et le grand monde auquel nous appartenons maintenant. Je n’ai jamais eu ton opinion ou l’expression de ton ressenti à propos de notre enfance. C’est une période très émouvante de ma vie,j’en ai conscience aujourd’hui .Elle fut riche en émotions, en plaisirs simples, et découvertes essentielles. Ah ! Le passage du bus venant de Sauzé-Vaussais et se rendant à Niort, combien de fois l’avons-nous salué assis au bord de notre portail d’entrée ! Nous avons appris bien plus tard que le chauffeur avait fait de ces bambins criant et vociférant « Sauzé, Sauzé !.. »ses coqueluches de voyage, s’amusant de nous voir à chaque passage toujours aussi enthousiastes et démonstratifs .Nous venions de si loin, perdus dans les fonds de La Blotière où l’on ne voyait jamais aucun véhicule, que le passage quotidien de ce bus nous semblait sinon magique du moins extraordinaire .Il fallut découvrir les rues peuplées de nombreux artisans, commerçants, ou simplement habitants. Rien qu’à deux pas de notre habitation se tenaient le boulanger, le garagiste, le charron, le maréchal-ferrant, le menuisier, autant de métiers inconnus à découvrir qui me permirent de m’initier au travail manuel ; à huit ans- m’a-t-il été raconté-je construisais mes jouets en bois et participais, avec les « gros bras » qui posaient les cercles de métal, à la fabrication des roues de charrette en arrosant le métal couleur de braise qui enfumait la cour du charron .Et à dix ans je réservais déjà ma place d’apprenti chez le boulanger,ce qui mit en émoi mon père, obligé de démentir mon initiative, et contrarié de constater que je ne pensais pas suivre son exemple en ne souhaitant pas le temps venu reprendre la ferme. Le frère aîné était parti, guerre d’Algérie, et lui aussi peu enclin à rester agriculteur. L’école bien entendu fut un terrain d’épanouissement bien que cela ne nous apparaisse pas aller de soi. La relation avec les maîtres fut mitigée, les uns craints mais admirés,les autres adulés mais pas moins respectés. Je ne sais ce qui me valut de devenir en quelque sorte le « chouchou » d’une partie d’entre eux,peut-être comme on disait à l’époque ma « facilité »à l’école, et cela nous permit d’être introduits, nous les petits paysans du village au sein des familles plus bourgeoises telle que celle de la pharmacienne dont le frère,ingénieur (ah le mot magique à l’époque !) venait passer quelques semaines de vacances au village. Nous étions sollicités pour accompagner son fils Patrick dans ses jeux à l’arrière-cour de la pharmacie. Quelquefois le soir la pharmacienne et son frère recevaient dans leur salon à l’étage et ces réceptions donnaient lieu à des jeux musicaux : l’ingénieur, violoniste émérite, se faisait accompagner par sa sœur au piano. Je me souviens avoir appris bien des années plus tard à la faveur d’un reportage lors d’un journal télévisé que ce fameux frère était devenu PDG de la société Rubson. Certes il jouissait à l’époque d’un prestige certain auprès de nos parents qui nous confiaient à lui lors de sortie en voiture au bord de la mer mais il avait aussi une « tare »ou défaut de respectabilité notoire étant connu qu’il était divorcé, situation dont je me souviens très bien à l’époque ne pas mesurer la signification mais qui faisait de la très belle femme qui l’accompagnait un être encore plus étrange. L’enfance et ses plaisirs c’est sans aucun doute le titre que je pourrais attribuer à l’un des chapitres de mes mémoires si j’en faisais.En dehors du village les prés, les chemins et les champs regorgeaient de trésors rustiques. Les étés souvent chauds nous surprenaient au bord des sources ou des étangs, nombreux à l’époque. Les premières tentatives de pêche à la ligne me laissent le souvenir de fil de nylon enroulé sur la ligne de téléphone. La chasse aux œufs des nids de pie stimulée par les récompenses des chasseurs se solda parfois par des retours peu glorieux à la maison après des chutes mémorables dans les ronciers heureusement placés là par mère Nature. Curieusement j’ai récemment réalisé que notre légère différence d’âge avait malgré tout eu quelque incidence sur le vécu de cette enfance puisque ne me restaient que quelques bribes de souvenir te concernant : quelques épisodes où un moment nos parents nous avaient mis dans la même chambre de grand-mère Ernestine à l’étage, le fameux jour où lors d’une réception tu avais sifflé tous les verres de vin alignés sur la table (tu devais avoir six ans), et bien sûr ta mine déconfite et larmoyante le jour du mariage de Denise. L’idée de voir partir ta grande soeur t’était absolument insupportable, j’en garde un souvenir très net comme celui de l’ambiance de ce jour de noces avec les deux musiciens,accordéoniste et trompettiste, qui nous emmenèrent à la mairie puis à l’église:je revois très bien Denise si belle dans sa robe de mariée, et Tonio son mari devenu « un voleur »en kidnappant ta sœur . Je crois bien qu’il a plu dans la journée. Que ne t’ais-tu rappelé ce jour là avant d’aller voilà quelques années à Royan chez ta sœur où, si j’en crois ce que tu nous as raconté, tu lui aurais en quelque sorte reproché de n’être pas partie de la maison pour « se réaliser » ! Funestes propos... Curieusement je n’ai pas la sensation d’une proximité fraternelle entre nous lors de ces années d’enfance et d’adolescence; nous étions à côté l’un de l’autre mais nous vivions des expériences et des émotions différentes. Pourtant nous avons vu ensemble des scènes de la vie animale offertes par des circonstances renouvelées chaque année telles les saillies des vaches laitières qui donnaient lieu à un spectacle dont nous étions friands cachés parmi les tas de paille du hangar près de l’écurie.Peut-être notre père qui officiait en dirigeant le taureau ne nous voyait-il pas ou faisait-il semblant de ne pas nous voir !?...Et as-tu assisté aux vêlages comme celui auquel le père me convia en me demandant, en pleine nuit, de l’aide, bien que je n’avais alors que douze ans ? Je me souviens très bien de ce matin-là quand, après avoir nettoyé le veau et qu’il était quatre heures, il me proposa d’aller à la pêche : et nous voilà partis avec nos cannes à François, au bord de la Sèvre niortaise, où nous arrivâmes à près de cinq heures dans ce jour d’été déjà levé. Mais nous rentrâmes bredouille ! De même tu as dû participer à des jeux avec les autres enfants du voisinage : je me souviens des noces où nous étions déguisés dans des cortèges qui donnaient lieu à des,peut-être, expériences coquines proches du fameux « jeu au docteur »...Tout cela relevait de la recherche enfantine de la connaissance du corps par des comportements imités des adultes. Selon les circonstances les activités ludiques se faisaient ou en mixité ou seulement entre garçons ou entre filles, mais celles qui m’ont marqué le plus sont celles entre garçons, que ce soient les parties de chasse au lance-pierres ou les essais de consommation de cigarettes sous forme de queues d’ail qui nous arrachaient la langue. De toutes ces activités je n’ai à aucun moment le souvenir d’un interdit quelconque exprimé par nos parents. Pourtant lorsque, un jeudi, je m’aventurai une seule fois à manquer le catéchisme je reçus une énorme claque de mon père, agrémentée d’un interdit de repas...Ma mère vint en cachette me porter au lit un bol de lait chaud. De l’enfance je retiens aussi les multiples tâches auxquelles nous fûmes conviés, le pâturage des animaux, le remplissage du timbre qui m’incombait, je surveillais quotidiennement le niveau en été et actionnais la pompe du puits fréquemment afin que tous les animaux qui revenaient des champs, ou du travail comme les chevaux de trait et les bœufs, puissent se rafraîchir abondamment.Ah que l’eau de ce puits était fraîche ! Te souviens-tu des allées et venues des voisins qui venaient chaque jour chercher, avec leur récipient, un peu de cette eau si magique ?.. Il est vrai qu’à tout âge, pour le moins en ce qui me concerne, les tâches de la ferme ne nous épargnaient pas. J’en ai le souvenir d’effectivement mémorables, comme celle où à l’époque des foins je ramenais,posé sur le sommet de la charrette par mon père, l’attelage à la maison. Je ne pense pas avoir plus de huit ans à l’époque et le roi n’était pas mon cousin perché que j’étais au-dessus de Pomponne la vieille jument docile qui aurait bien pu renter seule à la ferme ! Ou encore cet autre jour où parti avec papa dans le champ de poireaux nous en ramenâmes un plein tombereau ; en entrant au village chaque personne croisée avait droit à la même question : « vous avez des poireaux ? ». Et si la réponse était négative une brassée de légumes verts et blancs s’abattait au pied de la personne bien étonnée de la manne qui lui tombait ainsi du ciel ! Un autre jour, et à peu près à la même époque, il m’avait été demandé de ramener l’ail d’un champ. Comme je n’étais pas très au clair sur la nature du légume je ramenais bien une brouette de ce que je pensais être l’ail sauf que mon arrivée, tout exténué que j’étais, causa un certain émoi. J’avais ramené les oignons ! Je revois encore la mimique de mon père complètement incrédule de me voir ramener un tel chargement. Je me souviens que j’étais tellement épuisé que je n’en ai jamais ressenti aucune fierté particulière. Mais tu n’as pas dû être soumise à certaines contraintes qui seraient impossibles ou irréalisables actuellement. Ainsi je me souviens l’année de mes treize ans avoir été « gagé »comme berger dans une ferme de la Croix Naslin tenue par une femme veuve dont j’ai oublié le nom. Je n’ai jamais rien su du montant du « gage », mais tous les jours je me rendais là-bas l’après-midi pour emmener paître un troupeau de vaches dans des prés fort éloignés. Ce fut la même chose l’année de mes dix-huit ans où mon père me gagea pour trois semaines chez Marquois à Prahecq pour faire les batteries. Un bracelet de montre métallique fut la seule récompense de ces jours de labeur consistant notamment à porter des sacs de blé de cinquante kilos. En fait je n’ai eu des vacances que lorsque je fus vraiment au travail comme instituteur. Tu as dû connaître ces périodes des batteries où se côtoyaient dans une atmosphère bruyante et presque festive tous les agriculteurs regroupés dans une même aventure collective battre leur blé en allant chez les uns et les autres ; chacun amenait le personnel au prorata du volume de blé à battre. Les repas des batteries étaient un moment incontournable de la joie de vivre de cette époque et les maîtresses de maison veillaient à ce qu’il n’y ait point matière à chicaner sur la qualité des victuailles. La moindre indigence aurait été vécue comme un affront. Cette aventure collective fut mise à mal par l’arrivée des moissonneuses-batteuses à l’usage individuel et notre père que la mentalité et les moyens rendaient inadapté à cette évolution vécut douloureusement cette transition technique mais aussi économique et sociale. Il en avait contre la méthode et me fit remarquer que la moisson ainsi réalisée à grand renfort de déferlement mécanique directement dans les champs ne permettait pas de garantir au blé une excellente qualité en gommant les périodes de séchage dans les meules puis dans les mailles qui donnaient un blé bien à point, sec et dur. D’ailleurs tu dois te rappeler qu’avec ces grains de blé nous nous fabriquions des chewing-gums à force de les mâcher. Ainsi l’adolescence partagée ne me laisse pas un grand souvenir de complicité, nos centres d’intérêts devaient être déjà éloignés et mon départ à l’Ecole Normale de Parthenay a dû y contribuer. Quelle étrange aventure que ce succès à l’EN comme on disait. Même pour le village ce fut remarqué. J’eus d’ailleurs droit à une curieuse altercation qui faillit en arriver aux mains avec un ancien fils de gendarme dont je tairai le nom. En somme il me reprocha vertement d’être en quelque sorte un « faux-frère », de laisser les autres et leur village pour ne partir que motivé par ma propre réussite. Je fus longtemps troublé par cet événement et n’en ai saisi le vrai sens que nombre d’années plus tard quand la formation universitaire tant attendue me permit de conceptualiser la complexité des rapports sociaux et leur nature de classe. L’accès à cette école fut effectivement pour moi un véritable sésame. Non seulement j’y trouvais l’accès aux études gratuitement, mais j’échappais à la condition paysanne promise par les espoirs du père qui avait tout de même cédé aux instituteurs venus fréquemment le solliciter pour m’envoyer au collège. Certes je n’y avais été admis qu’au titre de la section agricole de la classe de cinquième étant trop vieux pour entrer en sixième. Rien alors ne présageait cet envol et je me souviens très bien de l’émotion de maman quand elle a appris que ça y était j’étais reçu ! Quant au père il ne manifesta jamais ses sentiments, déçu mais tout de même conscient de l’importance de ce qui m’arrivait. De ces années là je n’ai que de vagues souvenirs te concernant : seuls me reviennent les gros efforts de maman pour te permettre de continuer tes études au lycée, te fournir la nourriture de la semaine chez cette dame où tu logeais, où d’ailleurs je suis allé une fois , j’en ai un souvenir très sûr. Leur départ de la ferme suivit mon arrivée à l’Ecole normale et ton entrée au lycée; curieusement ils se retrouvèrent dans une situation presque identique à celle de leur début, petite exploitation agricole qui s’avéra vite insuffisante et entraîna maman à occuper un travail de femme de ménage à Niort chez un entrepreneur de travaux publics dont l’un de ses enfants devint l’un de mes élèves quand je fus sollicité pour lui prodiguer des cours de maths !Un comble pour moi beaucoup plus attiré par les sciences humaines...Tout était bon à ces pauvres parents pour gagner trois sous, heureusement ils n’avaient plus que toi à charge. J’ignore si tu as un souvenir très construit de cette époque, mais ce fut vraiment très dur : dès que cela était possible j’étais invité à donner un coup de main. Il me souvient parfaitement l’épisode de ce champ de betteraves qu’il fallut démarier au printemps, champ aux sillons tellement longs que je fus bientôt obligé de les parcourir à genoux ayant à force trop mal au dos .J’eus la malheureuse idée d’estimer la distance parcourue de la sorte et n’en crus pas mes yeux quand j’arrivai à un total de huit kilomètres! Toujours est-il qu’à l’époque m’est venu le sentiment qu’un monde meilleur était nécessaire; récemment j’ai eu la chance qu’une rencontre inattendue avec un ancien habitant du village me rappelle que j’adhérais dès mes dix-neuf ans au parti communiste. Oh !Ce ne fut pas une décision facile. Le manque de culture politique mais aussi l'insuffisance d’expérience de lutte sociale me laissèrent à un stade de conscience politique plus au niveau de l’idéal ou du rêve que de la détermination révolutionnaire. Aussi je ne captai pas tout d’abord le sens profond du fameux mai 68.Il me fallut la conceptualisation intellectuelle permise par mon parcours universitaire pour approcher une véritable conscience politique personnelle. Le travail de recherche exigé par la maîtrise d’histoire y contribua largement en me transportant, au travers du parcours social et professionnel d’une famille de la bonne bourgeoisie poitevine, dans les luttes sociales et politiques du XIX ème siècle. J’eus aussi la chance de côtoyer à l’intérieur de la cellule du PCF de mon quartier de Poitiers de grands intellectuels tel que Tony Lainé que tu ne dois surement pas connaître. Il a laissé une profonde influence humaniste sur la conception psychiatrique des enfants et la manière de les soigner. J’ai malheureusement oublié le nom du vieux professeur d’histoire, autre membre de ma cellule, qui replaçait savamment chaque situation dans son contexte social, politique ou économique. Il m’a beaucoup appris. Quant à toi je n’ai aucun souvenir de ton parcours d’étudiante à Poitiers puisque à l’époque je devais enseigner dans l’école de village du pays bressuirais .J’ai dû arriver à Poitiers quand tu en es partie. Toujours est-il que tu as bénéficié dans une moindre mesure des dispositions sociales de l’Etat qui assurait une bourse aux étudiants en contrepartie d’un engagement décennal. L’administration du Trésor recrutait ainsi ses futurs cadres. Quant à moi j’accédais au cursus universitaire tant rêvé par le concours des IPES. Mais j’étais un peu âgé après les années d’instituteur et je me retrouvais avec des lycéens sept ans plus jeunes que moi ! L’adaptation ne fut pas aisée et ce n’est qu’en février de la première année que je pus enfin prendre conscience de la réalité des exigences intellectuelles de la discipline. Ainsi en fait nous n’avons pu nous rencontrer pendant nos études ce qui n’a pas permis d’échanger au moment où nous appréhendions l’existence hors d’un cadre protégé. L’interrogation persistante qui m’occupe l’esprit depuis plusieurs années tient en fait en une seule question lancinante et quelque peu troublante : comment en es-tu arrivée là ? Et ce « là » n’est rien moins que le constat accablant de tes idées et comportements liés à la réalité politique de notre pays. Comment toi, fille de paysans indigents,confrontée, non pas à la misère mais aux difficultés de vivre persistantes, et s’en sortir était une préoccupation permanente, comment en es-tu arrivée à défendre les intérêts des plus riches en soutenant « ton chéri » comme tu l’as dit à plusieurs reprises en la personne de l’actuel président de la République ? Comment as-tu pu reproduire au féminin le parcours d’un fils de petit épicier comme Thiers devenu le bourreau des Communards ? Oh certes tu n’as pas encore fait tirer sur le peuple mais comment interpréter tes invectives réitérées chez moi contre les chômeurs ? Ah ! Les chômeurs, tas de fainéants, de profiteurs et j’en passe...Quelle haine as-tu pu construire de la sorte contre des victimes d’un système économique tout acquis à la satisfaction des intérêts des plus riches ? Oh ! J’aurais peut-être une explication plus personnelle et moins idéologique que tu ne crois. En effet ne serait-ce pas une réaction à ce qu’a vécu ton fils au retour du Brésil, chômage de plusieurs mois, mais situation qui n’a pas duré parce que lui, comme tu l’as dit, il ne s’est pas laissé aller, et a su se sortir de cette situation que tu abhorres...En dénigrant le groupe tu évacues la responsabilité que tu pourrais ressentir. J’avoue ne pas avoir compris tout de suite la cohérence de tes propos à l’encontre des chômeurs et ton adhésion passionnée à la personne du président de la République, « mon chéri »comme tu as osé le qualifier. Parce qu’il faut oser! Et venant de toi, en fait simple fonctionnaire de catégorie A, fille du peuple, formée par la République, comme moi, qui t’as fait ce que tu es ne t’en déplaise, j’en suis encore plus bouleversé ou scandalisé parce que tu soutiens une classe sociale à laquelle tu crois appartenir. Ah ! Les délices de l’appartenance au « Who is who » de mille neuf cent quatre vingt dix huit !...Et tout ce qui t’arrive ne doit il pas être merveilleux ? Mais lorsque le merveilleux n’est pas au rendez-vous les petits verres de vin de l’enfance ne sont rien à côté de ceux qui les remplacent maintenant. Et en fait l’incohérence de ce choix de vie tu ne l’assumes pas ! Comment comprendre ta réaction qui en vint à m’exclure de ta messagerie électronique lorsque je mis le doigt sur cette contradiction absolue consistant à soutenir d’un côté une politique de classe créant des pauvres et de la misère ce que tu ne contestes pas et de l’autre à « faire du microcrédit » comme tu t’en es vantée chez moi...D’un côté je crée des pauvres, d’un autre je les aide !...Quel programme politique humain,conscient et responsable ! En fait j’ai peur que tout cela ne soit qu’un nuage de fumée,mais tu t’enfumes toi-même, pour masquer un fait que je trouve révoltant c’est le choix de vivre au Chili après la carrière de ton mari où il a eu son dernier poste afin de profiter de la situation de « résident » au moins six mois et quelques jours qui te permet de ne pas payer d’impôts en France et très peu au Chili j’imagine. Ainsi on a un tableau extraordinaire, celui d’un couple de fonctionnaires, l’un comme ancien inspecteur des impôts et l’autre ancien inspecteur du Trésor, dont le choix de vie essentiel est celui de ne pas payer d’impôts ! Et ce n’est pas ta manière de gérer les travaux effectués autant dans ton appartement de Neuilly que chez ton fils par des groupes de Polonais savamment organisés qui m’empêchera de penser le contraire !... Quelle misère, je n’ose associer à ce mot un qualificatif !...Mais tout cela n’est-il que le reflet de l’air du temps, de notre mode de vie, de nos pensées, de nos choix existentiels façonnés par notre « civilisation »? Ou plutôt est-il le résultat d’une profonde exigence personnelle de réussite financière? Qu’as-tu construit de ta vie qui ne soit pas autre chose que la recherche initiale et perpétuelle de l’argent ? En ce sens tu ne serais que le vecteur d’un atavisme familial ou plutôt maternel tant notre pauvre mère et mère pauvre était obsédée par cette nécessité fruit de l’indigence dans laquelle elle a toujours vécu. Finalement serais-tu inadaptée à notre civilisation de surproduction et de surconsommation pour ne reproduire qu’un ancien comportement de pauvre dans une société riche et gaspilleuse ? Marguerite Yourcenar pense qu’en vieillissant on ne change pas, on s’approfondit. Quelle vieillesse d’Harpagon te prépares-tu ? Oui, autant toi que moi, nous sommes le fruit de notre époque et nos comportements comme nos valeurs en sont le reflet et le résultat. Et comme par hasard pourrait-on dire nous appartenons à deux versants de la société qui s’est sûrement clivée sur des valeurs totalement opposées, l’une se voulant dynamique, entreprenante et engagée dans la recherche du profit avec comme argument essentiel celui de « créer des richesses », et on « partagera après »! Sauf que le moment de partager participe du postulat du barbier: « demain on rase gratis! ». L’autre versant social, celui auquel je prétends appartenir est au contraire animé par la nécessité d’avancer ensemble, de faire en sorte que l’intelligence et le travail de chacun soient justement rémunérés pour qu’il ne se crée pas d’inégalités injustes et inacceptables à notre condition commune d’être humain. Le point de césure est semble-t-il, entre les deux parties, la manière de gérer et d’accompagner l’esprit d’entreprise. L’une le magnifie et lui autorise tous les avantages afin que l’intelligence, la valeur personnelle, puissent s’épanouir dans toute sa splendeur. L’autre le rabrouerait et l’inhiberait chez les citoyens au nom de l’égalité, notion intangible du dogme social ou révolutionnaire. Or il ne s’agit pas de cela, il n’y a pas une doctrine sociale assez sotte pour empêcher l’entrepreneur d’apporter son intelligence, son savoir-faire à l’ensemble de la société, sauf peut-être une dictature qu’elle soit « communiste » ou autre. Personnellement j’ai une formule, certes simpliste mais efficace... « Liberté d’entreprendre, mais pas liberté d’exploiter! ».C’est loin d’être un slogan idéologique! Heureusement parce que l’idéologie porte en elle son venin et ses limites: «On ne mesure pas la puissance d’une idéologie aux seules réponses qu’elle est capable de donner, mais aussi aux questions qu’elle parvient à étouffer ». Günther Anders dans “L’obsolescence de l’homme”. Bien modestement je réalise qu’en quelque sorte j’ai appliqué mes idées dans ma vie sans bien le comprendre. Bien que fonctionnaire j’ai aussi eu l’esprit d’entreprise en inventant un procédé simple mais efficace de prise de vue d’identité par groupe ! En effet le défi était permanent à chaque rentrée scolaire: il fallait réunir toutes les photos des élèves du lycée-mille sept cents élèves-afin d’établir un trombinoscope pour chaque classe. Bien évidemment il en manquait toujours une bonne centaine. J’ai mis six mois à concevoir le système et lors de la rentrée suivante en un quart d’heure je photographiais la trentaine d’élèves de chaque classe. Ce sont les collègues professeurs intrigués de la manière dont cela était réalisé qui m’ont alerté avec des propos élogieux : « C’est génial, fais le breveter! » Et finalement mon brevet obtint l’agrément de l’INPI sous le code 90-04-048 dont je ne suis pas peu fier!... Oh ! C’est un brevet « faible » me dit un jour l’ingénieur de l’INPI qui me soutenait dans l’élaboration du dossier qui finit par arriver à son terme après presque un an de réalisation : ce n’est vraiment pas simple d’élaborer un brevet dans notre pays. Mais je n’en eus aucun bénéfice financier, cela va sans dire, simplement une saine fierté et un grand plaisir de voir le bonheur des collègues recevoir quelques jours après la rentrée les trombinoscopes « en couleur ! » de chacune de leurs classes. Peut-être n’as-tu jamais appris cet épisode de ma vie, ce serait étonnant mais possible,la réalité de nos relations familiales forcément écourtées par ton mode de vie ne permettant pas des effusions prolongées ! Maintenant nous ne nous reverrons plus et ne nous verrons pas vieillir en tant que frère et sœur. Me vient à l’esprit la joie des gens se retrouvant fraternellement après une longue séparation imposée par les aléas de la vie. Faudra-t-il en passer par là, j’en doute puisque tu as décidé de rompre le lien fraternel. Ton mari aurait justifié cela par l’existence de mes idées « communistes »...Pourtant quand vous veniez passer plus d’une semaine de vacances à la maison mes idées communistes étaient bien inoffensives ! Il faut croire qu’en ce qui vous concerne la mauvaise foi fait de l’ombre à la mesquinerie.... De plus j’ai maintenant le sentiment que la rapidité et la manière dont cela s’est passé me font penser que vous n’en êtes sans doute pas à votre coup d’essai dans la pratique de la rupture des relations amicales ou familiales: vos différents épisodes de« squat » estival chez les uns et les autres ont-ils toujours été sans nuages ? Je commence à en douter... Allez salut ma sœur, bon vent, gère bien ton portefeuille et décarcasse toi pour ton « chéri », j’espère qu’il en aura besoin.... MartialLa Rochelle le 4 septembre 2010