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Billet de blog 18 août 2025

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Les enseignements de la guerre en Ukraine : Pour une Europe de la défense

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

États-Unis, Russie. Sont-ils les seuls pays décisionnaires dans le drame qui est en train de se jouer en Ukraine, sur le sol européen ? Sommes-nous revenus au temps où les hyperpuissances ne négociaient qu’avec les hyperpuissances ? Ce serait-là remettre en cause tout ce qui a été accompli depuis 1989 et la chute du Mur. Et, plus encore, ce serait là remettre en cause le monde multipolaire auquel nous aspirons. Mais, d’un point de vue pragmatique, ce modèle a été totalement remis en cause. Les puissances s’adressent aux puissances, et, l’Ukraine, pourtant partie essentielle de ce conflit, car il en va de son sort, n’a pas son mot à dire. Voyez-là, chers lecteurs, la problématique énorme qu’emporte ce conflit. La souveraineté des États n’est donc pas respectée. Pourtant, l’Ukraine fait partie de l’ONU, sa souveraineté, et surtout sa sécurité, devraient être respectées. Ceci relève de l’illusion. Nous sommes revenus à un monde où les hyperpuissances américaines, russes, et, chinoises, ne dialoguent qu’entre elles. Alors, que faire ?

            Ce billet sera l’occasion de revenir sur la réalité du monde diplomatique actuel, lequel est gouverné par les superpuissances, leurs armes ainsi que par leur orgueil (I), le tout en précisant que l’Europe a non pas le droit, mais le devoir d’intervenir, d’une façon coordonnée, précise et implacable (II), mais en n’oubliant pas le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en l’occurrence le peuple d’Ukraine, afin de limiter ce qui n’a pas de prix, à savoir la vie humaine, au sein d’un ensauvagement des relations internationales (III).

            Chers lecteurs, pour comprendre précisément la genèse de la gestion de ce conflit, il convient de faire un petit détour historique. En 1945, face à l’atrocité des exactions commises par les forces de l’Axe, sans omettre celle des Alliés, mais, comme vous le savez, les vainqueurs écrivent l’Histoire, a été mis en place l’ONU et, plus précisément le Conseil de Sécurité[1]. Naturellement, ont été invités à cette table, les États-Unis, l’URSS, la Chine, le Royaume-Uni, tous pour avoir largement contribué à l’anéantissement des forces de l’Axe. Paradoxalement, une puissance, en l’occurrence la France, sur un coup de chance, que l’on peut appeler Charles de Gaulle et le résistancialisme[2], l’idée selon laquelle toute la France a été résistante durant la Seconde Guerre mondiale, ce qui est faux d’un point de vue factuel, fut invitée à cette table. La table des décisionnaires des relations internationales, celle qui décide en cas de crise, où tous les membres ont un droit de veto qui annihile toute action diplomatique ou militaire même si les quatre autres puissances sont d’accord pour entreprendre une action afin de gérer une crise, quelle que soit sa nature.  Or, entre la doctrine Truman[3] (1947) et la Chute du Mur de Berlin (1989), que je considère, à titre personnel, comme la fin de la Guerre Froide car l’année 1989 marque la libéralisation des démocraties populaires donc du bloc de l’Est, tout en sachant que Gorbatchev tuait de l’intérieur l’URSS avec la Perestroïka (économie capitaliste) et la Glasnost (libéralisation politique)[4], donc la fin de la Guerre Froide. Mais là n’est pas le plus important. Entre 1947 et 1989, le Conseil de Sécurité fut absolument inutile, les États-Unis et l’URSS faisant la loi et la météo internationale. Pour preuve, qu’a fait le Conseil de sécurité des Nations-Unies face à la mise en place des dictatures en Amérique latine, lesquelles ont perpétré assassinats politiques, actes de tortures comme en Argentine ou au Chili[5] ou encore l’institutionnalisation de répressions de masse. Or, ces exactions auraient pu être passibles de la mise en place d’un tribunal pénal international, selon les lois de Nuremberg[6], tout simplement car elles constituaient des crimes contre l’humanité, la plus haute sanction prévue par le droit international public. Alors pourquoi ne s’est-il rien passé ? Tout simplement car ces régimes soutenaient les États-Unis et faisaient barrage au communisme, cette idéologie même hantant les nuits des Présidents américains et des fermiers du Texas. Rien n’a été fait alors qu’il s’agissait là de crimes monstrueux. Pourquoi ? Tout simplement car il s’agit de Realpolitik, cette même politique qui a toujours gouverné les relations internationales. Dans une même mesure, la conquête spatiale n’était-elle pas une course d’orgueil ? Évidemment. Or, ce mode de gouvernance des relations internationales prévaut encore aujourd’hui, bien que le monde ne soit plus bipolaire, mais quadripolaire[7] entre les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Inde qui ne fait même elle-même pas partie du Conseil de Sécurité. Cet organe est donc futile. La Guerre en Ukraine nous le prouve, bien qu’elle ne soit pas gouvernée par le Conseil de sécurité, ce sont les hyperpuissances qui parlent et décident, comme le montre la rencontre en Alaska de M. Trump et M. Poutine. Les grandes puissances décident de tout. C’est sur ce point-là que les Européens doivent se réveiller.

            C’est dans cette dynamique que les Européens doivent être en mesure de tenir tête au Président de la Fédération de Russie et au Président des États-Unis. Et, pour cela, il faut s’unir à travers les traités européens. Il ne s’agit pas de s’unir d’un point de vue politique, bien évidemment, ce qui serait trop compliqué à mettre en œuvre aujourd’hui, mais bien d’un point de vue militaire. À l’heure actuelle, seulement deux pays faisant partie de l’Europe, la Russie exclue, disposent de l’arme nucléaire : le Royaume-Uni et la France depuis l’opération Gerboise bleue, menée en Algérie par le général De Gaulle en 1960. Or, le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union européenne. Il ne s’agit donc pas là d’une proposition d’Europe fédérale, ce qui paraît impossible, mais bien d’une alliance militaire. En 1950, le Président du Conseil en France sous la IVème République, a proposé une Communauté européenne de défense[8](CED), afin d’intégrer rapidement l’Allemagne de l’Ouest au sein d’une alliance qu’elle ne maitriserait pas, mais qui pourrait permettre la mise en place d’un système de défense collective. Or, pour diverses raisons politiques divisant les forces françaises, la Communauté européenne de défense fût refusée par cette même France le 30 août 1954. C’est outrageant, et cela n’est pas sans rappeler que la France, qui a elle-même proposée la Constitution européenne, l’a finalement refusé par référendum le 29 mai 2005. Mais, là n’est pas le sujet. Cette Communauté européenne de défense aurait permise à l’Europe de peser d’avantage sur la scène internationale, et, pourquoi pas, de jouer un rôle de médiateur, si ce n’est plus, dans l’affrontement passif des États-Unis et de l’URSS. Quel échec. En refusant cette fameuse CED, la France, ainsi que le reste de l’Europe de l’Ouest sont restés les chiens dociles des États-Unis. Pourtant, en 1965, le Président De Gaulle annonce le retrait de la France du commandement intégré de l’Otan, afin de démontrer que la France n’a pas besoin des États-Unis. Cela n’a eu aucun impact, au niveau français, au niveau européen ainsi qu’au nveau mondial. La France est restée docile face aux États-Unis et à la logique des blocs. Et, là est le point sur lequel je souhaite attirer votre attention, chers lecteurs. Des années ont passées depuis 1965, et ni la France, ni les autres pays européens ne sont en mesure de dire non aux désirs, parfois extravagants, des hyperpuissances américaines et russes. C’est donc là qu’il faut agir. L’Europe n’a pas le droit, mais le devoir de s’unir au sein d’une alliance militaire comprenant le Royaume-Uni (puissance nucléaire), la France (puissance nucléaire), l’Allemagne dont le futur nucléaire est à venir, ce à quoi je suis entièrement favorable au sens où ce régime politique en place, et notamment la démocratie, les contre-pouvoirs et surtout l’exigence de transparence sont beaucoup plus avancés qu’en France. La CED doit se réaliser pour que l’Europe pèse sur la scène internationale afin de protéger un pays faisant partie de son continent, et face au désastre actuel qui se joue en Ukraine d’un point de vue humain et économique, tout simplement car ses pays parlent encore de voix différentes. L’Europe a le devoir de s’unir d’un point de vue militaire, afin de pouvoir répondre fièrement et d’égal à égal aux hyperpuissances, qui décident actuellement de la situation ukrainienne sans contre-pouvoirs, pour prouver que c’est bien en Europe que les Droits de l’Homme ont été théorisés et établis, mais surtout, pour venir en aide au peuple ukrainien, qui n’attend que ça.

            Et pour cause, les Droits de l’Homme sont complètement bafoués en Ukraine, sous le regard de la totalité de la planète. Et, que faisons-nous ? Rien. Le monde ne fait rien, les hyperpuissances utilisent les vies humaines comme des armes, et les Européens ne font rien. Nous sommes bien loin des 10 points du Président Wilson (1918). Nous sommes bien loin du « Plus jamais ça » scandé par les Nations européennes au lendemain de la Grande Guerre. Nous sommes bien loin de la justice internationale. Pour preuve, plusieurs facteurs témoignent de ceci. Je pense que citer les chiffres ne serait pas important, nous savons, vous savez qu’ils sont horrifiants. Citer les exactions semble plus approprié afin de démontrer l’horreur qu’il est en train de se passer en Ukraine, sous le regard du monde et des hyperpuissances qui bafouent délibérément ce qui fonde un monde civilisé. En ce qui concerne les populations civiles, le nombre de morts et de blessés est alarmant. De surcroît, des infrastructures vitales pour un pays et une population sont visées comme des hôpitaux. De plus, le sort qui est réservé aux prisonniers de guerre nous renvoie vers les bas-fonds de l’Histoire : tortures physiques et psychologiques, exécutions sommaires (sommes-nous revenus au temps de la loi des suspects[9] ?) ainsi que de mauvais traitements systémiques. Les transferts de populations sont massifs alors que plus d’un siècle plus tôt cela avait été interdit. De nombreux crimes de guerre[10] sont à signaler. Sont établies des lois répressives, de nombreuses restrictions, des tensions religieuses et concernant les orientations sexuelles. L’on observe également des sanctions politiques internes en Russie pour ceux qui tenteraient de ne pas appliquer les ordres, et la corruption est massive. Face à ça, les réponses ne sont pas à la hauteur. Le Haut-commissariat aux Droits de l’homme de l’ONU se limite à publier des rapports[11]. En mars 2025, la Russie a été accusée par l’ONU de crimes contre l’humanité. La CEDH s’indigne, mais quel est son poids politique et militaire ? La CPI a depuis 2023 émis un mandat d’arrêt contre le Président Russe et l’Union européenne se contente d’émettre des sanctions. Alors, chers lecteurs, considérez-vous ces réponses comme suffisantes ? Je ne pense pas. Que ce soit les États-Unis, qui pensent que la négociation peut permettre une amélioration, sauf à considérer que Donald Trump utilise cette crise à des fins de rétributions politiques, ou encore la Russie, dont on connaît le caractère expansionniste, personne n’arrête cette catastrophe humaine. Les hyperpuissances continuent de déplacer leurs pions, en bafouant ce qui fonde notre monde en termes de lois, de justice, et surtout d’humanité. L’Europe doit agir au sein d’une alliance militaire durable, mais surtout opérationnelle, au nom de nos valeurs et de l’héritage que nous laisserons à nos enfants.

[1] Charte des Nations Unies, San Francisco, 26 juin 1945.

[2] Jackson, Julian. France: The Dark Years, 1940-1944, Oxford University Press, 2001.

[3] Truman, Harry S. “Truman Doctrine Speech”, 12 mars 1947.

[4] Gorbachev, M. Perestroika: New Thinking for Our Country and the World, 1987.

[5] Constable, Pamela, The United States and Chile: Making the Allies?, University of Pittsburgh Press, 1998.

[6] International Military Tribunal, Nuremberg, 1946.

[7] Kupchan, Charles. The End of the American Era, 2002.

[8] Wall, Irwin M. The United States and the European Defense Community, 1950-1954, Princeton University Press, 1965.

[9] « Loi de Prérial » (10 juin 1794), relative aux arrestations et jugements en matière révolutionnaire, Journal officiel de la Convention nationale, 1794.

[10] Statut de Rome, Cour pénale internationale, 1998.

[11] UN Human Rights Office, rapports sur l’Ukraine, 2022-2025.

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